J’ai tout à fait conscience de m’aventurer ce matin sur un terrain miné mais il faut savoir dans la vie prendre des risques, assumer des positions qui dérangent aussi bien les tenants de la prohibition non écrite que les jusqu’au-boutistes de l’ivresse, et surtout s’appuyer sur la réalité des choses : en clair ne pas continuer de véhiculer des clichés éculés ou de défendre des approches purement idéologiques.
Pour commencer rappelons que la jeunesse, dans le découpage des âges de la vie, n’est en rien symétrique de la vieillesse qui, elle, à une limite naturelle : la mort. L’arbitraire tient au flou des réponses aux questions : à partir de quel âge est-on jeune ? Quand cesse-t-on de l’être ? Quand commence la vieillesse ? Dans mon propos de ce matin je m’en tiendrai aux chiffres : je ne parle que des jeunes adultes appréhendés en 2 tranches : les 18-25 et les 25-35 ans qui recouvrent souvent 2 phénomènes : le départ du giron familial et le début de la vie en couple.
Deuxième précision, ces tranches d’âge doivent être recoupées avec les CSP de leurs familles et celles où les jeunes vont s’agréger du fait des revenus procurés par leur activité professionnelle. Parler des jeunes en général est une stupidité, même si des traits et des goûts communs les unissent. De plus, même si là encore on assiste à des phénomènes d’uniformisation, l’origine géographique et le lieu de résidence entrent en ligne de compte.
Le jeunes donc, la fête ensuite, mais qu’est-ce donc que faire la fête ? Ce n’est pas le privilège de la jeunesse mais celle-ci est un temps qui s’y prête. Au sens où, comme le dit l’adage, « il faut que jeunesse se passe » c’est s’amuser. C’est s’amuser ensemble, au dehors, au-dedans, qu’importe ! C’est bien plus que se divertir car, de plus en plus, tout ou presque, en ce domaine dit de loisirs est organisé et souvent intéressé : l’homo ludens est exploité par la rage de l’homo eoconomicus. La vraie fête est spontanée. La fête est parfois subversive car elle s’affranchit des codes en vigueur dans l’autre social officiel. Elle peut être jugée dangereuse car elle tangente la ligne jaune, la dépasse. Acteur et spectateur à la fois le fêtard peut troubler l’ordre public. Mais la fête authentique est joyeuse, libératrice, elle n’a pas pour vocation de voir ceux qui la font finir le nez dans le caniveau.
À ce stade nous abordons les rives dangereuses des ingrédients « alcoolisés » ou autres qui accompagnent généralement certains rassemblements de jeunes très médiatisés, les raves par exemple ou les opens bars ou les beuveries de rue du samedi soir. Mais sont-ce là des fêtes ? J’en doute car aucun des ingrédients d’une vraie fête s’y retrouvent. Les lieux sont glauques, tristes, le but quasi unique étant de se défoncer. Le binge drinking n’est d’ailleurs pas une spécialité française. Comme j’habite à quelques encablures de la place Denfert-Rochereau d’où partent beaucoup de manifestations ou défilés, j’ai pu assister à la préparation de la dernière Techno parade. Qu’ai-je constaté ? Les jeunes garçons et filles, des plutôt jeunes 16-18 ans et des 20-25 ans, en paquets de 5 à 10, ont dévalisé le Franprix du boulevard St Jacques : pack de bières, coca et bouteilles d’alcool fort exhibées. Au sol, une fois leur départ je n’ai identifié aucun « cadavre » de bouteilles de vin.
Ce qui ma frappé en les observant c’est l’exhibitionnisme du flacon, comme si c’était lui qui comptait avant tout comme signe d’affirmation. Les propos de Marie Le Fourn « anthropologue et psychoclinicienne à propos de la bouteille omniprésente entre les mains de ces jeunes buveurs sont instructifs : « je me suis aperçue que beaucoup en faisait collection. Ils conservent des « cadavres », un peu comme des trophées. Des bouteilles de vodka et d’autres alcools forts, mais aussi des sodas qu’on mélange à l’alcool, et des boissons énergisantes, comme Red Bull ou Burn. La publicité pour ce type de produit circule beaucoup sous forme de vidéos sur le Web. Ceux qui les consomment y sont montés comme sexuellement super-puissants, capables de faire des tas de conquêtes en une nuit. C’est un peu leur viagra »
Comme je ne suis ni socio, ni psycho, ni anthropo, logue, je ne vais pas m’aventurer plus avant sur des terres inconnues de moi. Cependant, il est indéniable que ces pratiques largement majoritaires chez les jeunes, adolescents ou jeunes adultes, n’ont pas grand-chose à voir avec une consommation festive de vin. En dehors des bulles qui s’identifient aussi à l’univers de la nuit, des boîtes, mais le coût du flacon est un frein important, notre vin est vraiment un étranger dans ces modes d’alcoolisation. De ce constat je ne vais pas tirer des conclusions hâtives et définitives mais faire une proposition qui ne va pas plaire à nos « amis » les prohibitionnistes masqués.
Comme vous le savez ceux-ci sont des adeptes du « ni touchez jamais » à propos de toute forme de consommation de boisson contenant de l’alcool afin, affirment-ils, de restreindre la base de ceux qui verseront dans l’alcoolisme. Une telle approche, sauf pour certains individus fragiles, ne résiste pas à la réalité de nos vies en société. Comme je ne suis pas un adepte du pédagogisme, c’est-à-dire de programmes éducatifs pour les jeunes du type éduc-alcool – dont je ne conteste pas l’utilité – mon approche est plus ludique. Je m’explique. Nous devons, en dehors des festivités traditionnelles autour du vin, qui se déroulent dans nos vignobles, réinvestir l’espace festif des jeunes pour qu’ils prennent la mesure exacte de ce que le vin peut leur apporter pour faire vraiment la fête sans la finir le nez dans le caniveau.
Je sais que certains vous me traiter de fou dangereux, qui veut pervertir notre belle jeunesse, car je préconise une consommation ludique, festive, socialement encadrée, responsable, de vin en affirmant qu’elle constitue l’un des moyens les plus efficaces d’une politique de prévention contre les consommations excessives. Découvrir le vin, en parler avec ceux qui le font, l’apprécier, se retrouver ensemble sur une terrasse entre jeunes, en couples ou en bandes d’amis, se détendre, écouter de la musique, c’est ce que je continue d’appeler « un peu de douceur, de convivialité, dans un monde de brutes » Quoi de meilleur contre le stress qu’une bonne rencontre festive, en fin de journée ou pendant le week-end, où l’on peut se détendre, se laisser-aller sans pour autant se pochetroner. C’est ouvrir les écoutilles. Décompresser. C’est risqué me rétorquer-t-on. Certes, mais est-ce plus risqué que de se retrouver seul dans son studio, d’être sobre toute la semaine et de se murger à mort le samedi soir pour oublier que l’on est seul ?
Comme je l’ai déjà écrit le déni de réalité ne change pas la réalité. Réinjecter un soupçon de convivialité, de mieux-vivre ensemble, devrait faire l’objet, je suis très sérieux, d’une Grande Cause Nationale. En effet, puisque notre seule certitude c’est notre finitude n’est-il pas urgent de faire en sorte que nous vivions mieux ensemble pendant notre temps de passage. Pour ma part, vu mon âge, ce qui me soucie c’est la transmission aux générations qui sont au seuil de leur vie d’adulte et c’est pour cela, sans doute avec des maladresses, j’estime qu’au travers d’un produit millénaire nous pouvons, modestement certes, contribuer pour eux et par eux au remaillage de nos liens sociaux. C’est l’ambition de l’Amicale du Bien Vivre dites des Bons Vivants et de son Secrétaire-Perpétuel autoproclamé. D’ailleurs pour ajouter du crédit à ma petite plaidoirie je me suis déplacé, sans mon célèbre aide-camp qui est très casanier, un soir de la semaine passée à une petite fête de jeunes. Alors chers lecteurs soyez patients je vous conterai cela demain sur mes lignes...