Les scientifiques sont gens prudents, leur éditeur aussi – il s’agit de la Presse des Mines – puisque le sous-titre de leur ouvrage, sobrement – un comble – intitulé : Le vin et l’environnement, n’apparaît pas sur la jaquette Geneviève Teil, Sandrine Barrey, Pierre Floux et Antoine Hennion dans la foulée d’un programme de recherche financé par le Ministère de l’Écologie : « Les vins sans pesticides ? Une analyse de la prescription à la consommation » se sont attelés à la lourde tâche de mettre en forme des expressions très diverses sur un sujet souvent abordé de façon passionnelle.
Tout scientifiques qu’ils sont nos 4 mousquetaires, à parfaite parité, sous la houlette de Geneviève Teil, n’en expriment pas moins un point de vue qui, s’empressent-ils de souligner, n’est celui de personne en particulier, mais celui de tous. N’empêche que sous la froide rigueur de la recherche, sur un tel sujet, une forme très maîtrisée de leur passion commune s’exprime dans le sous-titre.
Faire compter la différence, belle ambition, vaste programme car c’est vouloir la faire entendre pour la faire reconnaître à la fois par le plus grande nombre et surtout par les décideurs professionnels et politiques. Pour rester dans le registre gaullien ce serait une ardente obligation que de lui voir conférer une certaine valeur, et voire même, et c’est là où les choses se gâtent, lui reconnaître une supériorité sur les pratiques antérieure. Peut mieux faire écrivaient les professeurs sur les carnets scolaires à l’attention des élèves, dotés d’un bon potentiel, mais se laissant manifestement aller à la facilité, au je m’en foutisme, au minimum syndical.
Oui, nos viticulteurs, comme nos vinificateurs, peuvent mieux faire ! Bien sûr, comparaison n’est pas raison, cependant notre viticulture, tout comme l’élaboration des vins qui en sont issus, au cours de ce qu’on a appelé un peu facilement les Trente Glorieuses, s’est laissée aller à la facilité en se goinfrant d’intrants divers et variés. Le vin, produit non essentiel à la nutrition, est l’enfant de la vigne qui est elle-même une des plus grosses consommatrices d’herbicides et de pesticides de notre agriculture. Paradoxalement, le mouvement dit bio, ne l’a touchée que très récemment, avant de s’amplifier et d’apparaître comme « un torrent impétueux » que nul ne pourra arrêter.
Y aurai-t-il donc le long fleuve tranquille d’une viticulture qui continuerait de vivre sa vie comme si de rien n’était, ou presque, mais qui devrait faire face à des courants contraires de force et d’importance inégales ? La réponse est oui. Nous sommes face à des stratégies d’affrontement, de cohabitation impossible, de séparation de corps, de divorce pour faute, de surtout de jamais en parler, d’exclusion, d’excommunication, d’oukase, de mise en avant d’une échelle de Richter du propre et du sale, de noms d’oiseaux : charlatan, imposteur, empoisonneur, du chacun chez soi et les vaches seront bien gardées… Dans notre petit monde de la vigne et du vin, qui n’est d’ailleurs pas si petit que cela puisqu’on y distingue même un Nouveau et un Ancien Monde, comme en témoigne le livre d’Alice Feiring Le vin nu sur lequel j’ai chroniqué hier, aborder la question du respect de l’environnement par les viticulteurs est un sujet à haut risque et, si je puis l’écrire : il sent le soufre ! C’est la bataille d’Hernani pour le niveau de bruit et, en degré de détestation, surtout chez les zélotes, il rejoint la célèbre affaire qui divisa si profondément notre pays au début du XXe siècle.
J’exagère à peine, et moi qui fréquente, sans discrimination aucune, toutes les parties en présence, je puis témoigner de la virulence et de la quasi-impossibilité de dialogue entre les divers courants. Au mieux, on s’ignore, au pire on s’insulte. Le grand mérite de l’ouvrage piloté par Geneviève Teil c’est de tenter « avant tout de rendre des efforts, couronnés ou non de succès, de tous ceux qui se sont engagés d’une façon ou d’une autre… » dans un meilleur respect de l’environnement. « Contrairement à nombre d’études qui cherchent à comprendre pourquoi le bio ne s’impose pas à eux, la parole est ici donnée en priorité à ceux qui agissent pour donner une place à l’environnement. »
Une telle approche dépassionnée, utile, bien plus que les postures de certains gourous urbains plus préoccupé de leur ego et de leurs idées reçues que du devenir des vignerons, me satisfait. En effet, ce sont les gens qui font, qui agissent, dont il faut tenir compte bien plus que d’une « force supérieure » qui imposerait, contraindrait les femmes et les hommes de la vigne et du vin à agir.
Comme l’écrivent les auteurs dans leur INTRODUCTION « L’engouement actuel pour le bio n’est pas né comme une source qui jaillit de nulle part. La qualité environnementale des vins tourmente bien des producteurs, revendeurs, consommateurs, journalistes, restaurateurs, fonctionnaires, chercheurs. Depuis plus de vingt ans, ils pointent du doigt cette production prestigieuse, emblématique : la vigne est la meilleure amie de l’homme, mais c’est aussi une une très grande consommatrice de produits phytosanitaires. Et c’est une culture pérenne ; aucune rotation des cultures ne permet d’alterner les traitements ou d’utiliser des complémentarités entre plantes. Depuis des dizaines d’années les vignes sont aspergées des mêmes pesticides, fongicides et autres herbicides. »
Et de poser la question « Cette accumulation permet-elle de contenir les maladies ou favorise-t-elle les résistances ? Présente-t-elle un danger pour la santé des viticulteurs ou des consommateurs, pour les sols et les terroirs qui ont fait la réputation des vins français, pour l’environnement, la faune, la flore ? Aucune de ces questions n’a de réponse simple, universelle, qui permettrait de prendre des mesures immédiates, de faire des lois. »
Les auteurs le constatent « Agrobiologie et agriculture raisonnée sont donc en opposition farouche, car chacune représente une menace pour l’autre ; elles se voient en concurrence pour donner un contenu à la notion de protection de l’environnement et conquérir le marché de la qualité environnementale. Au début des années 2000, de nouveaux acteurs s’invitent à la table de la qualité environnementale : les vignerons de terroir. Ils entrent dans le débat « par la bande », parce que les pratiques respectueuses de l’environnement sont pour eux des pratiques respectueuses de leur terroir. Leur problème est agnat tout un problème de qualité gustative. Des vignerons très engagés dans la recherche de l’expression du terroir notent un changement du goût de leurs vins. Ils ne sont pas les seuls. Les jurys de dégustation des AOC qui goûtent les avant de donner leur accord de commercialisation font de même. Mais au lieu d’associer comme les producteurs ce changement de goût à une meilleure expression du terroir, ils reprochent à ces vins de ne pas « être conformes aux canons organoleptiques de la typicité de leur appellation ». Il leur arrive ainsi de refuser le label AOC à certins vins, alors qu’ils sont issus d’une zone d’appellation et qu’ils respectent toutes les contraintes du cahier des charges, parce qu’ils manquent de typicité. »
Ceux d’entre vous qui me lisez depuis les origines savent bien que telle est ma porte d’entrée sur les questions environnementales. J’ai été un compagnon de route fidèle, et somme toute courageux, de la démarche de la petite poignée d’hommes et de femmes qui ont initiés le mouvement « vignerons dans nos appellations », que d’amis ai-je ainsi découvert, puis de SEVE qui lui a succédé. Jamais je me suis substitué à leurs réflexions, ni parlé en leur nom car je ne suis pas vigneron. Si je souligne ce point d’histoire c’est que, trop souvent, ceux qui s’autoproclament penseur et porte-parole des diverses mouvances ou courants de l’agrobiologie sont des urbains qui gravitent à divers titres dans le monde du vin. Accompagner un combat, défendre des vignerons maltraités par les grands-prêtres de la typicité : oui ! Penser et agir à leur place : non ! Cette manière de faire conforte les dirigeants des organisations professionnelles dans leur attentisme, leur immobilisme. Je n’ai jamais cru à l’efficacité des avant-gardes révolutionnaires dominées par des intellectuels ou de petits bourgeois et, surtout j’ai toujours constaté, leur peu de goût pour le débat démocratique. Imposer ses idées, ses conceptions, exiger un ralliement pur et simple des autres, sans transition, sans prise en compte des contraintes économiques et commerciales tel est trop souvent la stratégie de ceux qui ne s’insèrent pas dans une démarche collective.
Le grand mérite de l’ouvrage Le vin et l’environnement c’est, tout en gardant sa rigueur scientifique, de bien montrer que l’irruption des vignerons de terroir pousse plus avant la mise en cause de la signification de la différence à faire. »Pour ces adeptes d’un renouveau du terroir, les AOC viticoles ne signifient plus rien. Il faut les reconstruire. Ils ébranlent aujourd’hui les procédures de garanties et de preuve de nos dispositifs de signalisation de la qualité en voulant réinstaurer le terroir. » Certains beaux esprits objecteront que le terroir nul ne sait le cerner et le définir et que vouloir identifier un lien entre une appellation et son terroir est une pure vue de l’esprit. Alors pourquoi le mettre à toutes les sauces comme le font les représentants du syndicat des droits acquis des AOC dont le dernier avatar est le nouveau président du comité vins de l’INAO ? Revenons aux origines des appellations origines, sortons de l’ambiguïté des appellations attrape-tout qui ne voient leur salut que dans la norme, le soi-disant air de famille.
Une telle approche ne règle pas tout d’un coup de baguette magique mais elle place le sujet de l’environnement au bon niveau, celui qui donne à réfléchir à la réalité des images du vin que nous mettons en avant pour affirmer son authenticité, sa différence et sa réelle maîtrise par la main de l’artisan. Dans la mondialisation, notre approche, celle qui prévalait chez les pères fondateurs des AOC, constitue un avantage comparatif indéniable qui, s’il continue de se diluer, de se normaliser, d’être abimé des pratiques peu soucieuse des éléments constitutifs de notre fameux terroir, disparaîtra. Encore plus explicitement notre modèle social de vignerons nombreux sur nos territoires viticoles ne peut s’accommoder d’une approche où la rentabilité ne passe que par des pratiques calquées sur un productivisme d’un autre âge. Ni élitisme hautain, ni démagogie des professionnels de la profession, mais reprise en mains par les vigneronnes et les vignerons de leur destin. Belle ambition, vaste programme certes mais, sans cela, nul ne pourra se plaindre des dérives et des pesanteurs bureaucratiques de notre système.
Pour autant, comme les auteurs, je ne sombre pas dans l’angélisme « pour montrer que l’on peut faire différemment, il ne suffit pas de convaincre. Il leur faut montrer que cette différence compte, qu’elle a une importance, des effets, qu’elle garantit des débouchés en pleine crise, qu’elle améliore la qualité des vins, qu’elle diminue les coûts de production, qu’elle protège la santé et l’environnement, qu’elle est recherchée par les importateurs, qu’elle intéresse les consommateurs… Bref, cette différence doit non seulement être une finalité en soi mais aussi une ressource pour produire mieux, quel que soit le sens donné à ce terme. »
Le vin et l’environnement 32€ pour 325 pages aux Presses des Mines www.pressesdesmines.com est un ouvrage de référence pour qui prétend aborder sérieusement le sujet. Ayant assisté, à l’Ecole des Mines, à sa présentation par Geneviève Teil, présentation judicieusement accompagnée d’une belle dégustation, je puis affirmer sans risque qu’il serait judicieux que le Comité National des vins de l’INAO consacre du temps à l’audition des auteurs pour mener par la suite une réflexion de fond sur l’évolution de notre système d’AOC gravement menacé me dit-on par la seule libéralisation programmée des droits de plantation. J’ai comme l’impression qu’en cette matière les enjeux ne se situent pas là où les maîtres du troupeau font accroire qu’ils sont ! Réguler dit-on ! Oui, mais commençons par mettre de l’ordre dans la maison pour que certains volumes produit sous les grandes ombrelles ne perturbent pas l’ensemble en maintenant les prix à un niveau où les efforts demandés aux vignerons ne sont pas finançables…