Yves Legrand, un toujours jeune homme, agitateur d’idées au grand cœur, qui me précède d’une courte encolure sur le versant de l’âge, vend du vin et cultive la vigne en territoire santinien aux Chemins des Vignes. Passeur d’Histoire, fin et cultivé, intarissable sans le bagout lassant du commerçant, Yves a le coffre du marathonien et la tête dans les étoiles. C’est un juste qui s’enflamme comme de l’étoupe lorsqu’une cause lui tient à cœur. Les déboires du Muscadet le désolent, prix en berne et notoriété en charpie. Que cela ne tienne, il monte à l’assaut, ferraille argumente, il convainc ses collègues cavistes de se mobiliser pour la cause du Muscadet mais, patatras, la grande maison des vins de Loire leur claque la porte sur le pif. Tout autre qu’Yves aurait rendu son tablier, baissé les bras pour aller aux champignons avec le maire – fine allusion que seuls les habitués pourront goûter.
Que nenni, le petit père Legrand, casque lourd et bandes molletières, remonte à l’assaut pour vendre son idée : « confronter une sélection de Muscadet à quelques très bons vins blancs d’autres régions de France, dégustés à l’aveugle. » à la fois à ses confrères cavistes et a un jury de journalistes. Comme ce bon Yves persiste à me considérer comme une fine gâchette de la dégustation il m’avait invité le 18 avril au beau milieu des meilleurs. J’avais eu beau protester de ma nullité j’avais cédé. Mentalement je me préparais au désastre de Sedan mais j’en fus sauvé par une circonstance de la vie indépendante de ma volonté. Je n’y suis donc pas allé et j’avoue que ça m’a chiffonné. La dégustation portait sur 17 vins blancs, dont 7 Muscadets. David Cobbold écrit « Les vins étaient issu de différents millésimes et tous vendus par Yves dans ses boutiques, sauf 6 des 7 Muscadets. Les prix variaient de 8€ à 100€, avec les 7 Muscadets occupant le créneau bas, entre 8€ et 13,50€. Tous les vins étaient mis en carafe à bonne température identique, numérotés, et les dégustateurs fixés sur deux objectifs : (1) Noter son plaisir sur 20 et (2) Indiquer le prix que nous pensions mettre sur chaque vin dans le commerce. »
David précise « Nous ne savions rien de l’origine des autres vins, et le but, bien souligné par Yves, n’étaient pas de dire que le Muscadet écrase tout, ou bien le contraire, mais simplement de donner sa chance à ces vins dans un univers concurrentiel large et ouvert. On l’a découvert pour certains vins pendant le dégustation, pour d’autres après : cet univers (hors Muscadet) était aussi large sur le plan géographique, allant de L’Alsace au Roussillon en passant par la Bourgogne et la Loire que sur celui des prix (10 à 100 euros) ou même de l’âge des vins (1985 à 2011). » La suite ICI link
Le sieur Legrand compatissant m’a expédié, par coursier électronique, les petits crobars agrégeant les résultats des 2 dégustations. Ils sont très instructifs. Comme les supers pros de la dégustation le Taulier se serait fait piéger par le ressenti sur le prix des vins présentés. Cet exercice me semble être la base même de l’exercice de dégustation professionnelle. Du côté des cavistes de toutes tendances il est évident que l’on sélectionne pour revendre des étiquettes et des prix en fonction de sa clientèle, ce qui est parfaitement logique et normal. Mais, et c’est là où ce coquin d’Yves, avec son sourire enjôleur et ses yeux rieurs derrière ses petites lunettes, a fichtrement raison. Les cavistes sont aussi des prescripteurs de prix, ils peuvent contribuer auprès de leurs clients à faire comprendre que des vins sont sous cotés et c’est le cas du Muscadet. Pour les journalistes critiques de vin c’est aussi un exercice salutaire car il participe à une approche consumériste trop souvent oubliée dans le milieu. Bien évidemment je ne porte aucun jugement de valeur sur qui que ce soit dans la mesure où d’une manière générale il est clair que l’exercice de dégustation, dit à l’aveugle, est révélateur des limites de la dégustation.
Quelques remarques sur les tableaux qui suivent :
1- Du côté des cavistes : ils surcotent tous les Muscadet présenté et tout particulièrement les 3 affichant les plus petits prix. Ils placent en première position le Muscadet 2005 n°2 Domaine de l’Ecu 15/20 note plaisir et au plus haut niveau des prix ressentis 19,2€ en moyenne. Ils n’apprécient guère le Château de Fieuzal 8/20 et 9,25€ prix ressenti pour un prix réel de 100€ et le Pinot d’Alsace 2005 n°1 9,1/20 en lui attribuant un prix identique à la réalité. En revanche, tous les autres vins en compétition avec le Muscadet sont très nettement sous-cotés en termes de prix.
2- Du côté des journalistes aucune note plaisir inférieure à 11 et supérieure à 14,6 (prudents les gars). Ils mettent six 14, quatre13, six 12 et un seul 1. Pour les prix la grosse décote, hormis le château Fieuzal, est le n°3 Chablis 1er cru 2007 de Dauvissat coté 9,38€ pour un prix réel de 34€. Leur fourchette de prix ressenti, hormis celui du Chablis, est très ramassée : de 10,13€ à 17,75€ (des prudents je vous dis). Tous les Muscadet sont surcotés, sauf un le n°13, mais du fait de leur prudence dans une moindre proportion que les cavistes. Ils sous-cotent les autres sauf le n°1 coté à 15,13€ face au 10€ prix public. À nouveau c’est un Muscadet, le n°11, un Sèvres et Maine 1999 Château du Coing 14,635/20 note plaisir et un prix estimé de 16€ juste devant le domaine de l’Hortus 2010 (une IGP) n°8 note plaisir 14,4375 et prix estimé 16,08€. Le château de Fieuzal est mieux traité 14/20 mais à 16,50€ au lieu de 100.