Notre arrogance cocardière à propos de la supériorité incontestée de notre cuisine semble depuis une dizaine d’années avoir laissé la place à une forme de passivité outragée. N’ayant que peu de goût pour le chauvinisme ou les classements ce qui m’intéresse ce matin c’est de battre en brèche le déclinisme qui porte en lui tous les stigmates du mal français : notre incapacité à prendre conscience de nos forces et de nos faiblesses pour nous projeter dans ce fichu monde mondialisé. Nous n’avons pas que des fers aux pieds, même si nous en avons bien sûr, et si nous voulons bien, collectivement, nous prendre en mains nous pourrons, non pas défendre, mais affirmer le « modèle », qui n’est pas le seul apanage de notre pays, d’un art de vivre qui ne cède pas aux sirènes de l’industrialisation de notre alimentation.
Comme souvent ce sont nos voisins qui ne se laissent pas abuser par le prétendu déclin de la cuisine française. Tel est le cas de Jörg Zipprick, journaliste à Stern et critique gastronomique allemand, installé en France depuis 1992, fervent défenseur d’une cuisine naturelle fondée sur la qualité des produits. Dans son livre « les dessous peu appétissants de la cuisine moléculaire » il a dénoncé les dérives de cette cuisine incarnée par le chef catalan Ferran Adrià ainsi que les liens entre le secteur agroalimentaire de certains chefs. Dans le hors-série du Monde « à table » il signe un remarquable article sur « Le prétendu déclin de la cuisine française ». Il commence par y dénoncer « un drôle de patriotisme gastronomique dans les pays de l’Ouest » dont « le coup d’envoi fut donné en 2003 par le New York Times, avec ce gros titre « Comment l’Espagne est devenue la nouvelle France ».Vous allez me dire que le sieur Pousson pousse en permanence la même chanson. Certes, mais tout en reconnaissant au blog de Vincent une portée planétaire je reste encore persuadé que la presse papier à plus d’impact que nos écrits sur la Toile plutôt lus par le milieu (pas celui de Marseille bien sûr).
Je souscris totalement à ce qu’écrit Jörg Zipprick
« Ce nationalisme gastronomique est extrêmement réducteur et déformant. On ne parle jamais de la « cuisine » en soi, on parle de la cuisine des grands chefs et souvent, dans le cas des destinations culinaires à la mode, de la cuisine d’un seul chef qui, au moins au Danemark et en Espagne, est mis en vedette grâce à des financements publics considérables. Or, une culture gastronomique se vit d’abord au quotidien et ne se mesure pas en nombre de retombées médiatiques pour un, trois ou cinq restaurants. De bons indicateurs se trouvent facilement, il suffit d’aller sur un marché de plein air, chez un poissonnier, un boucher, dans un restaurant populaire, voire un supermarché. En observant attentivement l’offre et la demande, on en saura plus sur un pays et sa cuisine qu’en dînant chez le dernier chef à la mode. Seule l’offre en Italie peut égaler celle de la France, à condition de connaître les bons endroits. Bref : la cuisine française est plus variée que la plupart des pays voisins. Tant qu’on la pratique dans les ménages, elle ne peut pas mourir. »
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2 citations pour finir « Il est vrai qu’elle offre (la cuisine française NDLR) une cible facile : mauvaise communication de la profession, un rapport qualité-prix-plaisir parfois contestable, des guides qui ne font plus leur travail, une alliance de certains chefs avec l’industrie alimentaire, un manque d’encadrement du législateur, et un certain manque d’éthique (ethos) de la part de certains cuisiniers. »
« On assiste partout en Europe, à la montée d’une stratégie de l’esbroufe culinaire. Faute de vendre des grands plats, certains chefs se mettent à vendre une « philosophie », une « vision », une « expérience » (…) » Derrière ces termes se cache souvent un autre mot profit « Auparavant, les additions étaient basées sur le food cost (prix des produits). Aujourd’hui, on paie cher la philosophie, la « vision » qui, par définition n’a pas de prix et dont le food cost est proche de zéro. »
Et un clin d’œil appuyé : À New York, la renaissance de la cuisine française Sylvie Bigar le 25 mars
« Le New York Times consacre une page entière à Lafayette, le « grand café » français que l’Américain Andrew Carmellini ouvrira mi-avril. A Calliope, dans le Lower East Side, c’est un très français œuf-mayo qui fait office de pub. Au menu de Montmartre, le nouveau bistrot de Chelsea, on trouve une blanquette de veau revisitée et radieuse.
Allô New York: la cuisine française serait-elle tout à coup branchée ? Pour une toute nouvelle génération de chefs new-yorkais, la réponse est « oui ». Bien loin des clichés sur le prétendu déclin de la cuisine française traditionnelle que nous servait dès 2010 le journal britannique The Independent quand il déclarait « la vraie nourriture française est morte ».
« La cuisine française n’est pas morte », rétorque Andrew Carmellini (ancien de Café Boulud et déjà patron de deux restaurants, Locanda Verde et The Dutch), «elle n’était plus à la mode peut-être, mais je ressens les choses différemment. J’adore manger. Il ne s’agit pas de showbiz ou d’inventions.» Il va plus loin : « Ce qui me rend heureux, c’est de mitonner une magnifique côte de veau et je n’ai pas peur de dire : eh oui, nous ouvrons un restaurant et notre cuisine sera française. »
Carmellini connait bien la France. « J’ai fait les vendanges au pays de l’Armagnac, j’ai moulé des fromages de chèvre frais en Ardèche, j’ai gavé des canards dans le Gers. En voiture pendant quatre mois, carte Michelin à la clé, j’ai sillonné le pays sans jamais prendre les autoroutes. C’était le seul moyen de comprendre le terroir. » L’année dernière pour se remettre dans le bain, il emmène son équipe à Paris puis dans une maison près de Vence. « Nous allions au marché à Antibes, chez le meilleur tripier de Nice, nous faisions la cuisine toute la journée. »
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