La fête du travail, des bouquets de muguet à tous les coins de rue, des défilés séparés pour nos maigres syndicats de travailleurs, et moi et moi je suis à Bruxelles chez Cantillon pour la «Quintessence brassicole» link
Afin de ne pas vous infliger une page blanche j’ai passé le manche à l’excellent PAX qui avoue humblement qu’il à « TOUT FAUX »
Elle avait tout faux cette vénérable bouteille.
Tout faux le flacon vidé jusqu’à l’épaule
Tout faux le dépôt collé au creux de cette épaule
Tout faux la capsule congé boursoufflée et moisie
Tout faux le bouchon rétréci et auréolé de la couleur du vin coulant
Tout faux le bouchon s’émiettant sous la pression du tire-bouchon et qu’il fallut pousser dans la bouteille pour délivrer le breuvage
Bref une bouteille qui n’aurait pas retenu l’attention d’un expert de salle de vente spécialisée plus d’un bref coup d’œil, le haussement d’épaule n’étant évité que par l’extrême courtoisie généralement affiché dans ces lieux autant pour flatter le chaland fortuné que pour intimider et tenir à distance le curieux désargenté.
Qu’aurait pu lire le probablement dédaigneux personnage dont le millésime 1954 affiché n’aurait même pas piqué, un instant, la curiosité ?
GRAND VIN
CLOS BEARD
SAINT- EMILION
APPELATION SAINT-EMILION CONTROLEE
Et en bas de l’étiquette, en dessous d’une belle gravure tirée en offset représentant « un groupe de vendangeurs dans la propriété du propriétaire »
PIERRE BORIE Propriétaire
Descendu dans la cave en ce jour d’élection, pour choisir les bulles à déguster lors de la « soirée » (Comme dit l’adage - à moins que ce ne soit le soldat inconnu – Il y a toujours une raison pour boire du champagne : fêter un succès ou se consoler d’une mésaventure !) je m’étais laissé à rêvasser contemplant toutes ses bouteilles que vraisemblablement je ne pourrais plus toutes boires : mais qu’importe, il y a des amis pour aider, comme dit Ophélie NEIMAN dans « Le vin c’est pas sorcier».
Tous ceux qui ont une cave un peu riche passent ou passeront par-là : on garde les bouteilles d’exception pour « les grandes occasions » puis, on se rend compte que « les grandes occasions » se font rares. Les enfants fêtent leurs anniversaires entre potes à l’âge ou leurs millésimes deviennent intéressants à boire ; on méconnait ses amis et on sert autre chose à table… Alors, avec l’âge, toute les occasions deviennent grandes et il suffit d’adapter le choix du vin à l’ami et à l’occasion pour, enfin, ne plus se contenter « d’avoir une cave » mais en profiter.
Et c’est comme cela que je suis tombé sur cette bouteille oubliée, avec quelques autres, abandonnées dans un coin. Elles me viennent de mon père qui m’a laissé quelque trésors « en caisse bois » mon cher ! et quelques pièces dépareillées comme ce clos BEARD.
Débouchée avec le mal qu’on imagine, le vin servi au travers d’un chinois pour éliminer toutes les miettes de liège la surprise fut d’abord étonnante, un nez des plus agréables, franc, net, ni trop puissant ni trop fermé ni évanoui et qui se développait sereinement dans le verre INAO.
En bouche, la surprise continuait. Vite une deuxième gorgée pour s’assurer, comme cela arrive, qu’une fois ouvert le vin de cet âge ne s’évanouisse dans le verre.
Toujours la surprise : un vin rond, une belle attaque en bouche, une ampleur généreuse et une longueur satisfaisante sans compter avec une rétro-olfaction à la hauteur.
En reposant mon verre le seul commentaire me venant à l’esprit : «Encore jeune ! »
Je reprenais là un commentaire mémorable de Paul BRUNET un de mes «professeurs en œnologie ».
Paul BRUNET, enseignant à l’Ecole Hôtelière fut, deux fois, le premier «Premier Sommelier de France». La première fois (le concours concernait le meilleurs Maitre d’hôtel Sommelier de France). Il arriva premier devant Jean Paul JEUNET le chef, étoilé depuis, du restaurant éponyme à ARBOIS. Edgar FAURE personnalité en place, grand collectionneur de mandats de l’époque et ardent défenseur de la Franche-Comté n’admit pas ce classement de telle sorte que les deux lauréats se retrouvèrent exæquo. Pour sa part Paul BRUNET « revint en deuxième semaine » et devint seul lauréat du concours du meilleur Sommelier de France l’année suivante.
Notre promotion d’œnologues amateurs forma, par la suite, un groupe d’amis curieux des vins. Des voyages furent organisés auquel participait notre maître qui nous faisait profiter de son carnet d’adresses.
C’est ainsi, qu’à l’occasion des « 3 Glorieuses » nous nous retrouvâmes dans les caves de DOUDET NAUDIN à Savigny-lès-Beaune. Cette maison avait et garde la réputation d’être spécialisée en vieux millésimes entre autre, par les hasards de l’histoire.
Lors de la seconde guerre mondiale le propriétaire mura une grande partie de ses caves pour mettre ses bouteilles à l’abri de l’envahisseur. En 1945 estimant que « les ayant déjà vu deux fois » rien ne pressait pour ouvrir la caverne d’Ali Baba. Dix ans plus tard, vraisemblablement rassuré, il se décida, en présence de « l’administration des contributions indirectes », huissiers, gendarmes, notables et amis proches, sans oublier la presse à exhumer quelques cinquante-cinq mille bouteilles devenus rares et précieux flacons.
En fin d’une déjà belle dégustation une bouteille nous fut proposée « à l’aveugle ». Sous notre puérile pression Paul BRUNET dû faire preuve de ses talents. Avec juste assez de résistance pour préserver sa modestie il se « jeta à l’eau » et énonça après avoir sacrifié, avant chaque mot, au rituel « verre/nez/bouche » :
- « CHAMBOLLE MUSIGNY »
- …
- « LES AMOUREUSES ».
- …
- « 1933 !»
Verres en main, pas d’applaudissements possibles mais de retentissants bravos et hourras fusèrent sous les voutes de la cave.
Le calme revenu le Meilleur Sommelier de France dut commenter le vin dévoilé. En un bref, et éloquent « Encore jeune ! » il résuma parfaitement tout ce qu’il y avait à en dire.
Tout faux ma bouteille de Saint-Emilion 1954 ? Pas si sûr, après dégustation. Comme il est souvent recommandé d’éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain, il est déconseillé de jeter le vin avec le flacon.
La leçon de cette anecdote ? «La suite au prochain numéro » comme il est dit à propos des feuilletons et s’il plait à notre Taulier.
patrick axelroud
Strasbourg le 25 avril 2014