Certes je suis irrévérent mais je n’en reste pas moins toujours soucieux de politesse à l’égard de ceux sur qui ma plume se laisse aller à quelques facilités. Frédéric Rouvillois dans son Histoire de la politesse de 1789 à nos jours publié Champs histoire Flammarion, dans l’un de ses chapitres intitulé : les sanctuaires de la politesse, en cite un : la noblesse, l’authentique bien sûr, qu’il définit en citant un passage du Code éthique de la noblesse européenne : « La noblesse, constitue un ensemble de familles plutôt que d’individus. Sa spécificité est d’inscrire l’accomplissement personnel de ses membres dans une continuité familiale. Elle voit dans la famille la cellule de base de la société, le milieu idéal pour l’épanouissement des personnes et le véhicule par lequel se transmettent les valeurs qui lui sont propres. » Nous sommes loin des strictes et pures convenances, nous touchons à un état d’esprit, à un mode de vie qui peuvent apparaître à certains hors du temps mais qui pour moi, qui suis un fieffé mécréant, nous ramènent, chez les Lorgeril du moins, aux racines de l’authenticité.
L’Esprit de Pennautier est le nom du grand vin des Lorgeril et cet esprit, par delà l’excellence du vin expression de son terroir et du savoir-faire de ceux qui l’ont fait, est bien celui du lieu, d’un château empreint d’Histoire, d’une demeure berceau d’une famille depuis des générations. Loin des images léchées des plaquettes touristiques, d’enluminures de pacotille, des superlatifs ronflants me voilà, ici, face à la rigueur un peu austère de la façade du château, en prise directe avec de l’authenticité, du vrai, de l’immuable revisité par les nécessités du temps.
En effet, une fois gravies les marches du perron tout est majesté mais aussi sobriété, rigueur et grandeur, seigneurial et familial, traces de l’Histoire, comme si Bernard et Pierre Louis de Rech de Pennautier venaient de convoquer pour moi Louis XIII qui y couchât, Molière qui y jouât, et me voilà exfiltré de mon quotidien, emplit du sentiment que cette patine du temps sur les murs, les meubles, les tapisseries, les tableaux vont marquer mon séjour ici, lui imprimer une trace unique loin de la décoration froide, formatée des grands hôtels modernes. Je suis à Pennautier, au château, non en touriste, mais en résident au sens de la villa Médicis et ce matin je me glisse dans la peau de John Malkovitch – c’est une figure de style facile mais je la trouve expressive – et je m’imagine, comme lui, en créateur d’une ligne de vêtements alliant la simplicité rustique du velours et du tweed à une touche de chic urbain, l’impossible mariage entre le discret et la couleur vive, le je ne sais quoi qui fait la différence pour que vous fussiez remarqué sans pour autant en jeter plein la vue à votre fiancée. Tout est prêt, il ne manque aucun bouton à la collection : action !
C’est dans la galerie Louis XIV que se fera mon défilé. C’est l’ancienne salle de bal du château, 200 m2 sous 6 mètres de plafonds peints. Elle est située au rez-de-chaussée dans l’aile Ouest du château. Atmosphère florentine où je déclinerai sur fond de la « Mama Morta » d’Andrea Chénier opéra d’Umberto Giordano les modèles de ma collection. Ce choix musical est le fruit à la fois de mon amour infini pour le talent de Maria Callas et de l’émotion intense provoqué par l’audition de cet extrait dans le très beau film de Jonathan Demme Philadelphia (1993) avec un grand Tom Hanks et non du destin du poète André Chénier qui, au moment des massacres de septembre, arrivé au Havre refusa de s’embarquer et revint à Paris pour tenter d’arracher Louis XVI à l’échafaud et qui fut lui-même guillotiné le 7 thermidor deux jours avant l’arrestation de Robespierre.
Sitôt le défilé terminé, les portes s’ouvriront et les invités pourront investir le salon Madame avec ses boiseries du XVIIIe siècle, le salon Choiseul avec au mur un grand tableau du dit Etienne-François de Choiseul ambassadeur puis secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères à la Guerre et à la Marine de Louis XV, pour se détendre autour d’un verre. Certains se réfugieront dans l’écrin de la bibliothèque pour converser ; d’autres s’attarderont dans le salon des porcelaines ; d’autres enfin s’égailleront dans le parc qui est de plain pied avec l’ensemble de ces prestigieux salons. Ensuite je tiendrai une conférence de presse à l’Orangerie située à l’aile Est du château. Pour le déjeuner, autour des vins de Pennautier, nous sortirons de la cour du château par la grille qui donne accès au village et, tout en papotant nous nous rendrons à pied jusqu’au Restaurant du Château situé à 150 mètres. Simple et de bon goût, comme ma collection, nous nous attarderons et puis nous retournerons au château prendre le café dans le Salon d’Honneur du premier étage. Ensuite, quartier libre : certains gagneront leurs chambres, le château en dispose de 20, alliant confort et esprit du lieu, c’est la touche de Miren, chacune d’elle a sa personnalité, son âme et donne envie de s’y attarder. Quand viendra le soir nous dînerons dans la salle à manger du rez-de-chaussée, avec un feu de bois dans la cheminée. Nous converserons et laisserons l’Esprit de Pennautier nous habiter.
Sans tomber dans le dépliant touristique, ni l’hagiographie, force est tout de même de constater que loin des emballements récents pour l’oenotourisme et bien avant cet engouement, au château de Pennautier et autour du château, Miren de Lorgeril a décliné depuis quelques années avec beaucoup de talent, de professionnalisme et de ténacité, autour de ses vins, de ses terroirs, une palette d’offres d’une grande diversité : ses gîtes de charme, son restaurant-bar à vins simple et de bon goût, et plus récemment, la mise à disposition du château lui-même et de son parc pour de grands évènements : séminaires, réceptions, mariages avec, cerise sur le gâteau, 20 chambres restaurées avec un goût raffiné respectant l’esprit de Pennautier. (voir très belles photos en Wine New N°66 ) et www.chateaupennautier.com Sabine JACOBS tel +33 (0)4 68 72 76 96 port +33 (0)6 19 86 34 64 pour plus de renseignements.
À ce propos, permettez-moi de souligner qu’en notre beau pays, les défricheurs, ceux qui sans rien demander à personne vont de l’avant, sauf de rares exceptions, sont rarement mis en avant, comme si leur sens de l’anticipation, leur réussite aussi, donnait mauvaise conscience aux ouvriers de la 25ième heure. Redonner vie à un bâtiment historique, loin du pur luxe et de l’ostentation, mais en réponse à une demande, où le vin à sa place mais rien que sa place, participe à l’attractivité de nos territoires par la mise en place d’une offre adaptée à une nouvelle clientèle vecteur de notoriété pour la région. Plus clairement c'est montrer à tous ceux qui regardent le Languedoc avec hauteur, commisération, parfois comme SC avec dédain : la piétaille, que les vrais châteaux, sont bien plus que ceux du Bordelais porteurs d'Histoire. L'un des enjeux de ce nouveau joujou qu'est l'oenotourisme se situe dans cette capacité d'ajouter, d'élargir, de compléter l'offre et non de tomber dans le travers bien français de reproduire des schémas étroits forme de copié-collé d'une vision centrée exclusivement sur le vin.