Provocateur JB Doumeng l’était. Face à une flatterie indécente ou un propos maladroit ou un comportement minable il était capable des pires extravagances qui trahissaient « ses rancœurs et défis de gosse frustré, sinon méprisé ». Ainsi à un apparatchik fat, Ministre hongrois du commerce extérieur, qui à la fin de son discours osait placer cette aumône : « À présent, cher ami français, s’il vous manque quelque chose dites-le moi... » il rétorquait
- Oui, monsieur le Ministre, une belle peau d’ours.
- Simple détail, et facile à trouver. Pour un manteau, je suppose.
- Pas du tout... L’hiver, ma femme et moi adorons faire l’amour, nus, sur une peau de bête, devant un feu de bois... Ça amuse les enfants... La civilisation capitaliste, trop sophistiquée, nous a coupés de la nature. »
Parfois il poussait le bouchon très loin, trop loin comme ce qui suit qui n’est pas du meilleur goût. Âmes sensibles s’abstenir !
illustration tirée de la BD de Tardi-Pennac La Débauche chez Gallimard
« À Vichy, l’assemblée générale de la Mutualité Agricole lui avait offert un soir, l’occasion d’inviter à dîner l’épouse du ministre de l’Agriculture, Edgard Pisani, et deux de ses amies. Il les entraînait ensuite sabler le Laurent Perrier Grand-Siècle au cabaret du Casino. Comme il fanfaronnait un tantinet, il s’était attiré cette remarque de Mme Pisani :
« Si je comprends bien, M. Doumeng, avec votre notoriété et votre fortune, vous pouvez tout vous permettre.
- Exactement, chère madame... Aussi bien péter chez Rothschild, que pisser contre le mur de ce cabaret.
- Oh ! Vous n’oseriez pas ! » gloussa l’une de ces dames, ignorante qu’il ne fallait jamais défier Jean Doumeng.
Et il s’en fut, sans hésiter, uriner dans un coin de la salle, sous les regards sidérés du voisinage. La réprobation le disputait à la surprise, et un murmure le raccompagnait à sa table, où il y alla de sa petite plaidoirie : « Je sais que je vous écœure, mais vous n’osez rien dire parce que j’ai du pognon. Lorsque je tirais la langue, gosse, et que, premier de la classe, j’ai demandé une bourse pour la poursuite de mes études, on me l’a refusée. Pardonnez-moi donc, si je n’ai pas d’éducation. Ce n’est pas tout à fait de ma faute, si je traîne toujours un peu de merde de bouseux... On me l’avait bien dit et répété, gamin, quand tout m’était interdit, qu’avec du pognon, tout me serait permis. Et il me plaît parfois de le vérifier, comme aujourd’hui. À présent que j’ai réussi, certains, notamment des journalistes à l’affût qui apprécient ma table et mon champagne, trouvent géniales mes conneries. Il en va ainsi dans la vie. Mais sachez que, s’il m’arrive de jouer au con, c’est plus fort que moi, et ça ne m’amuse pas. »
In Jean-Baptiste Doumeng, Le grand absent de René Mauriès chez Milan