Tout le monde en parle : de l’importance du taux de suicide chez les agriculteurs, pour combien de temps ? Compassion, empathie passagère, postures en tous sens, indignation outrée, accompagne l’horreur et la froideur des chiffres : « Un agriculteur se suicide tous les deux jours en France, selon l'Institut de veille sanitaire (INVS), qui publie, jeudi 10 octobre, la première étude officielle sur le sujet. En tout, près de cinq cents suicides d'agriculteurs ont été enregistrés sur trois années – 2007, 2008 et 2009. C'est ainsi la troisième cause de mort dans le monde agricole, après les cancers et les maladies cardiovasculaires, précise l'INVS. »link
Qui, dans sa vie, quel que soit l’âge, n’a jamais pensé au suicide ?
« J'avais planqué un fusil et deux cartouches dans une serre. Mon épouse savait que j'étais à bout. Elle me faisait suivre partout par mon fils ». Sans le soutien de sa famille, Roger Pessotto, 66 ans, sait qu'il serait passé à l'acte. Le souvenir est encore frais, mais il veut témoigner.
Roger Pessotto a toujours voulu être agriculteur. Une belle carrière de maraîcher avec la fraise pour spécialité. « On est parti de rien. Et on est arrivé à rien ». Dans cette aventure, il avait pourtant tout donné, et sa fierté, c'était d'y être arrivé. Sa success-story avait même attiré les caméras d'une émission télévisée, quand son exploitation pesait encore entre « trente à quarante salariés ».
Et puis, il y a eu la tempête de 1999. « Six hectares de serres ravagés, 1,5 million de francs rien qu'en pertes occasionnées ». L'assurance n'a pas fonctionné. « En 2003, il y a eu la sécheresse et là, on a mis pied à terre". S'ensuivent quatre années de procédures judiciaires. « J'ai tout perdu, ils m'ont tout pris. Toute ma vie. Même ma Renault 19, vieille de 400 000 km, fulmine Roger Pessotto. Ils ont même essayé de saisir la maison de ma belle-mère. Je n'étais plus rien, je n'ai eu droit qu'au mépris. »
Réfléchir d’abord, s’interroger, mais aussi prêter attention à la détresse souvent muette de proches qui soudainement vont passer à l’acte.
1- La réflexion philosophique : écouter la vidéo ci-dessous
« Dans Le Mythe de Sisyphe, Albert Camus déclare qu’il n’y a qu’un problème philosophique sérieux : le suicide et que la plus pressante des questions à laquelle il faut répondre est de savoir « si la vie vaut ou non la peine d’être vécue ». C’est en effet parce qu’on a soudain l’impression que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue qu’on se suicide, de manière brutale, en se jetant sous un train ou dans le vide, en avalant des barbituriques, ou de manière lente, par la drogue, le cancer ou d’autres maladies. Que la question du suicide soit la plus pressante, c’est l’évidence, quand on constate l’effrayant développement, dans le monde moderne, de la drogue, des cancers et des suicides brutaux, notamment des adolescents auxquels on n’a pas pu démontrer que la vie valait la peine d’être vécue. »
2- Un témoignage au travers du film d’Edouard Bergeon « Les fils de la terre » qui fut diffusé sur France 2 le 28 février 2012 à 22h51
C’est un morceau de mon expérience de médiateur laitier et suite à la projection du film en avant-première j’ai écrit cette chronique « Et si un instant vous quittiez vos clichés pour vous intéresser un peu à la vie quotidienne des « Fils de la Terre »link
« Du sujet traité je ne savais rien en arrivant dans la salle. Dès ses premiers mots Edouard Bergeon a capté mon attention, ce garçon aime les gens, ça se voit et ça se sent. Il dit simplement, avec pudeur mais sincérité, que c’est un bout de sa vie, de sa jeune vie, qu’il va nous proposer. Le 29 mars 1999, à 4 heures du matin, Christian son père, agriculteur à Jazeneuil dans la Vienne, qui a ingéré des pesticides pour en finir avec un long calvaire, agonise dans ses bras. Edouard n’a que 16 ans. « Je lui ai mis sa tête sur mon épaule. Il m'a dit qu'il ne voulait pas mourir mais c'était trop tard. » Son père, 45 ans, va mourir. Pour Edouard, sa mère et sa sœur c’est une blessure largement ouverte car son père jusqu'au bout s'est battu dans l'indifférence générale. Y compris contre son propre père, un patriarche intransigeant qui lui prédisait l'échec. Cette descente aux enfers, l’accumulation des dettes, le lâchage des banques, le sentiment de ne pas pouvoir assumer l’héritage d’une longue lignée d’agriculteurs, vont précipiter cet homme joyeux, sociable, dans un enfermement mortifère »