Éric Neuhoff écrit « À la première page des Épées*, le jeune héros se masturbe sur une photo de Marlène Dietrich. Par la suite, Sanders s’engagera dans la milice. On voit où mène l’amour des comédiennes germaniques. Nimier provoque. Dans la vie, il lui arrive de porter un gilet qui arbore d’un côté des croix gammées, de l’autre des croix de Lorraine. Invité dans des dîners, il pisse dans le piano de la maîtresse de maison, ce qui avait le don de produire des fausses notes. Une légende tenace rapporte qu’une nuit, il fit cuire des œufs sur la flamme du soldat inconnu. « Je ne veux pas qu’une seule minute me serve à quelque chose. »
1952, une éternité pour ceux qui ne vivent qu’à la nanoseconde, Bernard Franck, dans les Temps Modernes d’un dénommé Sartre, fourrait dans le même sac : Roger Nimier, Antoine Blondin, Michel Déon et Jacques Laurent, en leur collant l’étiquette de « Hussards ». Que des mecs de droite donc, en un temps où il était du plus grand chic d’être un compagnon de route des communistes, eux se disaient vaguement monarchistes et « des nuages de Maurras flottaient au-dessus de leurs têtes. » Ces messieurs carburaient au champagne, adoraient les cabriolets – Nimier roulait en Aston-Martin – et les jolies filles, se coucher à l’aube, parfois faire le coup de poing. « La vie qu’est-ce que c’est ? Une invention des adultes. La société est prévisible, assommante, anonyme. Il faut s’en échapper. Pour cela, il y a les livres, les bars et l’amitié. Il valait mieux, oui, boire avec Chanel un vin blanc pétillant de Neufchâtel, cultive le canular et la nostalgie, suivre le Tournoi des 5 Nations, raconter aux demoiselles qu’elles étaient des héroïnes de Stendhal… » Nimier donnera sa définition du Hussard « Militaire du genre rêveur qui prend la vie par la douceur et les femmes par la violence. »
Le 28 septembre 1962, se tue dans un accident de voiture au volant de son Aston Martin DB4 sur l'autoroute de l'Ouest. Le Journal du Dimanche du 30 septembre 1962 écrivait : « L’écrivain Roger Nimier s’est tué vendredi soir en voiture, à l’âge de 36 ans, sur l’autoroute de l’ouest. Dans son Aston Martin qui s’est écrasée à très grande vitesse sur le parapet du pont qui enjambe le carrefour des RN 307 et 311, à la Celle Saint Cloud, avait pris place la jeune romancière Sunsiaré de Larcône, 27 ans, qui est morte elle aussi. La voiture, qui roulait à plus de 150 à l’heure en direction de la province, se trouvait sur la gauche de la chaussée, lorsqu’elle vira brusquement à droite en amorçant un «freinage à mort». Elle faucha sept énormes bornes de béton avant d’aller s’écraser contre le parapet du pont... Nimier avait eu déjà une Jaguar et une Delahaye. Ses voitures étaient ses jouets préférés. Il en parlait longuement. Il écrivait à leur propos. Dans un de ses livres, il décrit un accident d’auto… »
Morand ne s’en remettra pas « Nimier, c’était le printemps que je regardais pour la dernière fois. »
Comme l’écrit Neuhoff « leur désinvolture réclame une attention de tous les instants. Évidemment qu’ils ne consacraient pas leurs journées aux cocktails et aux matches de rugby. Magnums de Bollinger à la main et pied au plancher, du pittoresque à la légende, il n’y a qu’un pas. Il est vite franchi. »
Alors pourquoi diable cette soudaine plongée dans un monde englouti ? Pour délasser ma plume qui a décidé de ne plus s’affuter face aux postures de ceux qui se voudraient les héritiers de Nimier et qui n’en n’ont que les Richelieu bien lustrées et des plis au bas de leur futal plutôt bien coupé…
Voilà un pluriel bien singulier !