© Ligérienne de Presse
Mon titre, ce n’est pas nouveau avec moi, se veut volontairement provocateur, la réalité n’est jamais aussi tranchée, dans le monde du vin tout particulièrement. Tout est dans l’échelle des valeurs que l’on s’est donné, dans le niveau de la compétition auquel on se confronte ou auquel on souhaite se confronter. Pour prendre une image sportive : il est possible d’être excellent en Division d’Honneur et de se révéler fort médiocre dans la division au-dessus. Si j’aborde ce matin ce sujet à haut risque c’est pour montrer l’extrême difficulté à laquelle sont confrontées les « appellations volumiques » qui, si elles veulent adapter leur ressource vin à la nouvelle donne mondiale, se doivent de faire le ménage, de mettre un peu d’ordre dans la maison. Bien évidemment il est toujours possible de faire illusion, de cacher la poussière sous le tapis, mais pour autant rien n'est réglé. Ceci étant écrit je suis très conscient qu’une telle remise en question n’est pas facile à assumer par les responsables professionnels car elle est difficile à vendre à ceux qui la vivent comme une exclusion, comme une rétrogradation. En revanche, ceux qui se trouvent « cernés » par des collègues qui tirent l’ensemble vers le bas ont de bonnes raisons d’appeler de leurs vœux une certaine forme d’écrémage.
René Renou, que l’on invoque parfois à tort et à travers, l’avait fort bien compris lorsqu’il avait mis sur la table ses AOCE, fraîchement accueillies, y compris par moi, puis préconisé « une remise en ordre basée sur les données du marché ». À l’époque, peu de temps avant qu’il ne nous quitte, il déclarait, avec le lyrisme que nous lui connaissions que d’un côté il devait y avoir « des vins de rêve, les AOC, dont la logique économique reste traditionnelleet de l’autre des vins plaisir, faciles à boire les AO. » Il précisait « l’AOC repose sur le principe de l’excellence et l’AO sur celui de l’assouplissement. Si les producteurs veulent relâcher les règles, une majorité simple doit suffire » Il ajoutait « dans tous les cas de figure, les exigences de qualité seront strictes. Le principe est d’assurer la sécurité du produit, mais aussi sa compréhension. Du confort du producteur, on doit se tourner désormais vers le confort du consommateur, jusqu’ici plutôt ignoré, en clarifiant notre offre. » Enfin, il n’abandonnait pas son approche initiale « Dans les AO, existeront les règles habituelles des AOC. Mais un viticulteur d’une AO pourra exprimer son souhait de respecter des règles plus strictes et il faut que ces producteurs soient distingués. »
Avec la distinction AOP-IGP le cadre juridique est ouvert à un vrai choix clair. Il ne serait pas sérieux que certaines grandes AOC comme Bordeaux ou Côtes du rhône par exemple se contentent de passer telles quelles dans la catégorie des AOP. Soit elles durcissent leurs conditions de production pour ce faire, soit elles tiennent compte des conditions économiques et elles se rattachent aux IGP ce qui n’est pas forcément dévalorisant. C’est à ce stade que se pose le problème de ceux qui, ayant haussé la barre, se retrouveraient dans un univers qui ne serait plus le leur. Pour eux, à mon sens, une seule voie est envisageable : celle d’une démarche de reconnaissance collective de leurs différences qui leur permettrait de se différencier auprès des consommateurs. L’idée de René Renou de « sites et terroirs d’excellence » dans un univers d’Indication Géographique de Provenance retrouve toute sa pertinence car elle s’adresse soit à des domaines isolés ou à des blocs de domaines qui ne forment par un continuum géographique.
Pour ma part je vois dans cette démarche collective, qui d’ailleurs pourrait-être menée de concert par des domaines, des châteaux, des entités, de zone IGP différentes pour bâtir un socle commun sur lequel s’exprimeraient les différences et les spécificités locales, tous les ferments d’un nouvel élan pour une part de notre vignoble. Cette démarche de labellisation sites et terroirs d’excellence se devrait, dans un premier temps de revêtir une forme purement privée pour que s’exprime une approche fondée sur l’émergence d’un dénominateur commun élevé, quitte à lui donner par la suite, du moins pour son cadre général, force de loi. Certains vont m’objecter que je suis en train de rajouter une couche de complexité à notre système déjà considéré par certains comme incompréhensible. Ma réponse à cette objection est simple comme une alternative :
- soit toutes nos AOC deviennent des AOP, tous nos vins de Pays des IGP et rien ne change, nous cultivons l’ambigüité avec le bénéfice que nous connaissons depuis cette dernière décennie ;
- soit nous offrons aux vignerons confrontés à des choix difficiles des portes de sorties (moins de contraintes pour certains ou plus de contraintes voulues par eux pour d’autres), économiquement viables face à une concurrence accrue et nous nous donnons les moyens de la reconquête.
Plutôt que de se contenter d’attribuer tous les ans un prix René Renou – ce qui est une belle initiative – ceux qui sont en charge des décisions concernant notre grand secteur d’activité honorerait bien plus hautement sa mémoire s’ils revisitaient ses propositions en leur donnant un contenu à la hauteur de sa vision et des défis du moment. Je ne suis pas l’exécuteur testamentaire de René, beaucoup se prévalent de son héritage sans en assurer la bonne fin, mais nous avons pendant tout un temps partagé la même ambition, par des voies parfois différentes mais avec la même pugnacité et le même désintéressement et je me sens légitime à repasser les plats qui n’ont même pas besoin d’être réchauffés. Ainsi j’espère échapper tout au long de l’année à la commémoration de Cap 2010 et au dépôt de gerbes « avec nos regrets éternels »