Hier matin sur France Inter (voir plus bas le reportage de Matthieu Ferri de France Bleu Roussillon) alors que j’étais déjà au turbin mon oreille fut captée par un titre « Le scandale de la Socodivin enfin devant la justice » et d’entendre Paul Armengaud de Maury évoquer cette affaire vieille de plus de 10 ans.
Flash souvenir :
C’était en août 1998. J’arrosais mes jeunes arbres à l’orée de ma forêt reculée. Mon téléphone a sonné dans ma poche : un des premiers Nokia. J’ai décroché. À l’autre bout JL Dairien alors conseiller pour les affaires viticoles de Louis Le Pensec alors Ministre de l’Agriculture du gouvernement Jospin suite à la brillante dissolution de Jacques Chirac. Bien embêté le petit père Dairien (il est l’actuel directeur de l’INAO) car il avait en main une patate chaude : une crise du Rivesaltes qui mettait à feu et à sang Perpignan. « Ça te dirait d’aller faire le médiateur là-bas avant que ça dérape encore un peu plus (un vigneron était allé jeter un cocktail Molotov dans le chai de la SOCODIVIN)… Louis (le Ministre) est bien embêté, tu lui tirerais une belle épine du pied. » J’ai dit oui en faisant cette réflexion peu aimable pour le Rivesaltes « y’a encore des gens qui en boivent ? »
Le dossier était lourd comme celui d’un juge d’instruction tatillon, les catalans étaient procéduriers. Je pris mes dispositions et quelques jours après j’embarquais pour les Pyrénées-Orientales sans mettre des sandales dans mon bagage. En ce temps-là Perpiniyà pétait dans la soie avec deux compagnies aériennes : AOM et Air Liberté. Je choisis la première car sa carte d’abonnement était très avantageuse et permettait de bénéficier de siège, type première à l’avant de l’avion (c’était des DC10 et MD82 ou 83 consommant 30 % de carburant de plus que des Airbus) et de plateaux dîners de qualité bien arrosés. Bien évidemment j’y voisinait les parlementaires du cru et un régional de l’étape : Jacques Séguéla qui s’était mis en tête de racheter l’USAP. À mon arrivée m’attendait la voiture « blindée » (je plaisante) du Préfet Dartout. Je nouerai avec son chauffeur d’excellentes relations qui me permirent de bien comprendre la vie secrète de Perpignan. Le précédent Préfet était celui qui deviendrait célèbre avec l’affaire des paillotes en Corse, Bernard Bonnet qui adorait faire du VTT en compagnie… (Censuré). J’appris aussi que les horodateurs du parking de l’aéroport avaient été pillés manuellement pendant des années par le président de la CCI.
Le Préfet Dartout fêtait la naissance de sa sixième fille je crois. Il faisait une chaleur quasi-tropicale. Le dîner fut bien arrosé et le DDA de l’époque Guy Bringuier continua de m’informer sur l’étendue du désastre. C’était l’un des plus beaux sacs de nœuds de ma carrière. Mais en leitmotiv revenait un seul acronyme : la SOCODIVIN et son âme damné un certain Gilbert Conte. Celui-ci, simple courtier, s’était mis en tête avec l’aide de son beau-frère JL Cabaner de « nettoyer les écuries d’Augias du CIVDN (le comité interprofessionnel) » et de faire rendre gorge à son président de l’époque Bernard Dauré de la famille Dauré ayant régné pendant des années sur les VDN (la marque Dauré avait été vendue à la Martiniquaise)
Ouille, ouille Jacquouille, c’est une mêlée ouverte où tous les coups sont permis. Pendant deux semaines j’auditionne le ban et l’arrière-ban de la viticulture des PO et je vois défiler les bataillons « des y’a qu’a faut qu’on » si ça se vend pas faut trouver des clients bien sûr. Je découvre l’ampleur des détestations entre les dirigeants professionnels, les politiques, tout le monde déballe les vieilles histoires : les collabos, las latifundiaires, les profiteurs du système j’en passe et des meilleures. Le conflit est porté à Bruxelles par un Paganini du mémoire auprès de la Commission, un certain Claude Ortal, qui profite de son poste de lobbyiste pour EDF à Bruxelles et de ses attaches locales au Clos Saint-Georges. C’était le déluge. En plus la campagne de Séguéla pour promouvoir les VDN en catalan fut le bide du siècle.
Un petit aperçu de chicaïas juridiques :
- Entente sur les prix des opérateurs VDN ;
- Non-respect par la France des engagements pris lors de la modification du régime des VDN liée à l’arrêt de la Cour de Justice Européenne (affaire C 24/09/19991)
- Gestion quantitative du marché des VDN ;
- Non-respect de la procédure aides d’Etat en ce qui concerne le Plan Rivesaltes adopté par le précédent gouvernement ;
- Illégalité des taxes parafiscales ;
- Délais de paiement discriminatoires ;
- Accords interprofessionnels contraire aux règles européennes ;
- Vignes fiscales…
Je m’arrête car ça n’intéresse plus personne sauf qu’au milieu de ce gros bordel s’agitait les deux larrons de la SOCODIVIN de Gilbert Conte et JL Cabaner qui passaient leur temps, surtout le premier, à me demander de couper des têtes. Des alliances improbables se nouaient avec eux qui se présentaient comme les chevaliers blancs des VDN.
Votre serviteur, lui, cherchait à sauver ce qu’il restait de meubles. J’ai passé 18 mois de ma vie à faire des AR Paris-Perpignan-Paris. J’ai beaucoup appris de ce qu’on appelle le terrain. J’ai connu grâce à cette mission Hervé Bizeul mais le camarade Michel Smith lui ne s’est pas manifesté, il n’appréciait guère les missionnaires
Lorsque le scandale de la Socodivin a éclaté en 2006 le Taulier avait quitté les PO et le dossier des VDN depuis un bail. Restait qu’en son temps il n’avait pas manqué de mettre en garde ses interlocuteurs viticulteurs des risques qu’ils prenaient des risques en introduisant un loup dans la bergerie. Le loup avait de longues dents mais la bourse plate et les clients rares. Bref, la plus belle configuration pour emmener ses fournisseurs au fond du trou.
Les dosssiers du Taulier sont bien tenus comme en témoigne ces quelques clichés, ça facilite son boulot et lui évite de réécrire l'histoire.
Le scandale de la Socodivin enfin devant la justice
Le reportage de Matthieu Ferri link
« Le négociant en vins Jean-Luc Cabaner doit être jugé jeudi devant le tribunal correctionnel de Perpignan. En 2006, son entreprise, la Socodivin, avait fait faillite de façon douteuse. Il n'avait pas payé une centaine de vignerons, et provoqué une catastrophe économique à l'échelle des Pyrénées-Orientales.
Le patron avait caché qu'il n'avait plus d'argent pour payer les vignerons. Selon l'enquête, Jean-Luc Cabaner trafiquait les comptes de son entreprise pour faire croire que tout allait bien. Pendant des mois, il continuait de constituer des stocks de vins doux naturels alors que sa structure est déjà en cessation de paiement. Il ne payait plus aucun producteur.
Les vignerons travaillaient donc pour rien, sachant qu'il n'avaient guère d'autres solutions : dans les années 2000, la Socodivin était devenue incontournable dans le secteur viticole des Pyrénées-Orientales. Installée à Villelongue-de-la-Salanque, elle était le premier distributeur de vin doux naturel du Roussillon, un quasi-monopole que les viticulteurs ne pouvaient éviter. Difficile de se rebeller contre celui qui achète quasiment toute votre production... Les viticulteurs continuaient d'ailleurs de faire affaire avec la Socodivin, même sans être payés. Le patron promettait toujours de faire le chèque dès que possible.
Et puis en 2006, tout s'écroule : la Socodivin fait faillite et entraîne dans sa chute une centaine de viticulteurs indépendants. Deux caves coopératives ne s'en remettront jamais : Pezilla-la-Rivière et Espira-de-l’Agly, obligées de cesser toute activité. Gilbert Conte, l'ancien associé de Jean-Luc Cabaner va même jusqu'à porter plainte contre lui pour escroquerie et malversations. Il avait démissionné de son poste en 2002, effaré par les malversations du co-gérant. Et puis 7 ans après, il y a tous ces vignerons qui continuent d'éponger les dettes de ce scandale.
Qu'attendre de ce procès ?
Le rendez-vous est capital pour les professionnels du vin, qui auront enfin face à eux l'escroc qui les a ruinés. Deux vignerons seulement devraient témoigner à la barre ce jeudi, mais ils se feront les porte-paroles de l'ensemble de leurs confrères. Denis Pigouche, le président du syndicat des vignerons du Roussillon appelle d'ailleurs toutes les victimes à faire acte de présence au tribunal, même s'ils ne prennent pas la parole. Une présence pacifique même si les vignerons restent très énervés par cette affaire.
En plus, du point de vue financier, il n'y a pas grand-chose à attendre de ce procès, les viticulteurs ne reverront certainement jamais leur argent. La vente des biens personnels du gérant n'épongera qu'une infime partie de ses dettes. Quant à Jean-Luc Cabaner, il est resté dans le domaine du vin : on retrouve facilement son CV sur internet. Il est aujourd'hui gérant de la Cabaner Wines and Spirits Consulting... Il vend notamment du vin sur internet, via la Nouvelle Société de la Côte Radieuse. Une filiale de la Martiniquaise, le numéro 2 français des vins et spiritueux, qui avait racheté les restes de la Socodivin, lors de la faillite en 2006. »