S’il est un petit livre qu’il vous faut lire, une centaine de pages, c’est 6 publié par ZS Zones Sensibles link. De la bombe absolument, scotché, impressionné par le tranchant et l’efficacité de l’écriture. Le soulèvement des machines ça donne le frisson, ça fout les jetons, mais c’est pourtant la réalité des fameux marchés qui mettent à genoux ceux qui se considéraient comme les maîtres de notre planète.
De qui s'agit-il ?
Je m’appelle Sniper, et je suis un algorithme.
Je travaille de 9h30 à 16 heures, sans relâche.
L’espace où je travaille ne fait que quelques centimètres carrés, dans un bureau grand comme 7 stades de football américain loué spécialement par mes employeurs, pour une somme que j’estime entre 10 000 et 25 000 $ par mois, au 1700 MacArthur Boulevard, à Maswah*, une banlieue endormie du New-Jersey située à une cinquantaine de kilomètres de New York.
- mahwah signifiait pour les Indiens delawares qui vivaient au XVIIIe siècle, « lieu de rencontre » ou « lieu où les chemins se croisent »
Je vis, comme certains étudiants, en colocation. Ceux qui partagent le frigo avec moi s’appelle Guerrilla, Stealth, Sumo, Blast, Iceberg, Shark. Je passe mes journées à les observer attentivement, avec obstination.
Je suis tout sauf paresseux, je n’ai pas de costume ni de casquette arborant le logo de mes employeurs.
Je n’ai ni tête ni visage.
Je ne suis pas impressionné par les limousines.
Je ne dîne pas dans des restaurants quatre étoiles.
Depuis 2007 et le début de la crise économique mondiale, je n’ai cessé d’envahir les marchés financiers.
«En 2013 les algorithmes que l’on appelle « traders à haute fréquence » réalisent aux USA plus de 70% du marché, contre 10% en 2001. Après la seconde guerre mondiale, un titre appartenait à son propriétaire pendant quatre ans. En 2000, ce délai était de huit mois. Puis de deux mois en 2008. En 2013, un titre boursier change de propriétaire toutes les 25 secondes en moyenne, mais il peut tout aussi bien changer de main en quelques millisecondes. »
« Le 11 octobre 2010, deux ans après le soulèvement des traders à haute fréquence et au terme d’une année marquée par un krach fameux, Thomas Peterffy prenait la parole dans le salon Opéra du Grand Hôtel Intercontinental de Paris à l’occasion du congrès annuel de la World Federation of Exchanges. Cette année-là, le symposium était organisé par NSYE Euronext, d’où la présnec de son PDG Ducan Niederauer, l’ancien artisan de la montée en puissance des machines chez Goldman Sachs, et celle de Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie française et future directrice du FMI. Devant la crème de la crème de la finance mondiale, Thomas Peterffy eut l’honneur de prononcer le discours d’ouverture du congrès »
1er temps : il retrace l’histoire du marché, l’émergence des courtiers, la question de la confiance en eux par leurs clients, puis la première révolution avec le télégraphe et le téléphone qui permettent d’augmenter le nombre des transactions, de mettre de la distance, de voir émerger des marchés centralisés avec des « règles élémentaires, des règles justes, nos marchés étaient en ordre et transparents. »
2e temps « l’émergence des ordinateurs, des communications électroniques, des marchés électroniques, des dark pools, des flash orders, des marchés multiples, des systèmes de négociations alternatifs… le trading à haute fréquence…
1ère conclusion « ce que nous avons aujourd’hui est un vrai bordel »
Silence de mort dans la salle.
Peterffy enfonce le clou « Pour le grand public, les marchés financiers ressemblent de plus en plus à un casino, sauf qu’un casino est plus transparent et plus simple à comprendre. »
C’était du lourd car Thomas Peterffy est « le précurseur des marchés électroniques, respecté par tous, lui qui programmait des algorithmes avant de construire un cyborg unique en son genre, lui qui dirigeait une des plus importantes sociétés de courtage au monde, présente sur plus de cent marchés. »
Peterffy disait tout haut ce que tout le monde pensait tout bas.
Sa CONCLUSION «Les marchés financiers, du moins ceux de pays développés, sont arrivés à un tournant. Les technologies, la structure des marchés et les nouveaux produits financiers ont évolué plus rapidement que notre capacité à les comprendre et à les contrôler…
Tout cela a engendré ces dernières années une série de crises qui ont poussé beaucoup d’investisseurs à perdre confiance, à penser que le système tout entier est désormais un jeu truqué.
C’est une évolution très dangereuse, car le but de nos marchés financiers est de guider l’évolution de notre économie en distribuant du capital aux industries et aux entreprises que nous voulons voir grandir, de permettre aux affaires et aux investisseurs de gérer les risques efficacement. Si le public en vient à penser que les marchés financiers sont une escroquerie, alors, les entreprises n’obtiendront pas les fonds dont ils ont besoin pour développer notre économie, créer des emplois et améliorer le niveau de vie. »
A la fin de l’intervention : le silence respectueux, puis soupçonneux qui avait accompagné son discours perdura, puis l’on entendit un premier et timide applaudissement, puis d’autres, enfin toute la salle se mit à applaudir.
« Tous ces costumes qui ovationnaient Thomas Peterffy n’étaient en vérité qu’une belle bande d’hypocrites » qui savaient fort bien que le bordel allait continuer, rien ne pouvant entraver la fuite en avant de machines devenues incontrôlables.
À lire absolument !