L’histoire du type, père tranquille, sans histoire, qui descend un soir en pantoufles avec le chien pour aller acheter un paquet de cigarettes au bar-tabac du coin et qui ne rentre jamais chez lui m’a toujours fasciné. Pas même un bonsoir, ni de valise, se les mettre, se casser, se tirer, se barrer, se tailler, foutre le camp mettre les voiles, larguer les amarres, s’en aller, partir… pour ne jamais revenir. Filer. S’arracher. S’évanouir. Disparaître. Se fondre dans l’anonymat.
Je ne fume plus.
« La poésie c'est toujours le récit d'un retour.
Un peu comme le laboureur au bout du champ qui revient accompagnant un nouveau sillon.
Il y a ceux qui ne reviennent pas. »
Dernier stigmate de mon élevage, j’ai toujours eu et j’ai toujours du mal avec la Poésie avec un grand P car trop souvent elle emprunte les chemins de la grandiloquence, de la Pompe ou pire encore ceux d’un ésotérisme abscons, d’une forme de pré-carré pour initiés, mais les poètes, surtout ceux que l’on croise dans la rue sans les reconnaître, les vrais, sont le sel de la terre.
Enjeu de mots, mots fracassés, concassés, brisés, déchirés, jetés en l’air, crachés, maltraités, la poésie se glisse dans toutes les failles, prospère dans l’aridité, l’abandon, les marges, se moque des hauts lieux, vit, survit, dure, perdure loin des douceurs officielles. Elle est éclat, éclat de voix ou simple murmure intérieur sans avoir besoin de mur pour s’exposer. Chaissac peignait avec des épluchures les poètes d’aujourd’hui en sont réduit eux aussi aux miettes de nos tables opulentes.
Oui, il est des jours où face au bruit, au tintamarre de l’insignifiance de ceux qui tiennent la chaire officielle de la parole, l’envie de prendre son sac s’installe, lancinante, lourde, visqueuse… Pour s’en débarrasser, s’en défaire, je ne connais qu’un seul remède : de la musique, c’est le substrat, l’excipient comme dirait les potards, et les mots des poètes sans statut : vous, moi, lui, l’autre ou Serge Pey.
Ici c’est un discours, je hais les discours mais celui-ci c’est un fleuve en cru. Il a été prononcé par Serge Pey en décembre 1994 lors de la remise de la médaille d'or de la ville de Toulouse par les autorités municipales.
Ce matin comme un voleur j’ai déchiré un tout petit lambeau de l’affiche où les officiels l’avaient imprimé pour la coller sur un mur ladre d’une rue oubliée menant nulle part. C’est le sort de la poésie, c’est le destin des poètes, disparaître, se dissoudre, n’être rien ou si peu.
Merci Sylvie.
Je me souviens d'un graffiti magnifique
rue Peyroliere qu'un jour un passant
avait écrit hâtivement en gros caractères rouges sur un mur :
« J'aime une folle ».
Quelques jours après,
au-dessous,
un autre passant avait ajouté : « Moi aussi ».
Je trouvais cette écriture des murs plus fondamentale
qu'une page de papier,
mais qu'elle ne fut pas ma surprise,
un mois après,
alors que je passais dans cette même rue
pour relire ce poème magnifique
de voir un troisième graffiti
surajouté au bas des deux premiers
et qui disait « Et c'est la même »!
Ainsi un poème avait surgi dans l'anonymat de l'amour
et qui proclamait
« j'aime une folle, moi aussi, et c'est la même » !
Devient poète celui qui n'existe pas.
Le but de la poésie est l'anonymat de sa signature.
Serge Pey
La chanson de Trenet est belle : l’âme des poètes mais ce jour c’est Dave Brubeck qui aujourd’hui m’arrache un morceau de mes souvenirs… et je n’ai même pas de sac pour mettre les bouts…