Cette première chronique inaugure une série sur la table du palais de l'Elysée lieu de résidence du Président de la République Française. Au temps de ma «splendeur » bien évidemment je ne fus jamais convié à un déjeuner ou à un dîner officiel à la table du Président car on n'invite ni les soutiers, même de luxe, ni les «nègres». Cependant j'ai déjeuner par deux fois à l'Elysée à l'invitation d'un éminent conseiller de Mitterrand, un vieux Conseiller d'Etat qui «chassait des têtes» pour Tonton - j'ai oublié son nom mais ce n'était pas de Grossouvre qui lui chassait tout court et qui m'emmerdait régulièrement pour les chasses de Chambord - Il rassemblait 10 personnes d'origines très diverses et à la fin du déjeuner le photographe de l'Elysée prenait une photo de groupe qui nous était envoyée. C'est le seul souvenir qui me reste car du côté popotte ça ne m'a pas marqué aussi bien le solide que le liquide. Enfin j'ai souvent dîner avec les permanenciers c'est-à-dire le conseiller du cabinet qui pieutait à l'Elysée pour assurer la permanence téléphonique (en ces temps reculés les portables n'existaient pas). Là aussi ça ne cassait pas trois pattes à un canrd. Dernière précision, j'ai toujours refusé d'aller à la Garden-Party de l'Elysée car ça me gonflait. Notre Président vient de la supprimer pour cause d'économies budgétaires (y'a tant de trucs qui pourraient être supprimés mais je ne suis pas payé pour conseiller le Président de la République).
Pour commencer expédions vite fait bien fait les défuntes républiques (je passe sur la Ie et la IIe) : la IIIe et la IVe qu'aimait tant notre Grand de Gaulle.
Ce Palais est fort mal commode. Les cuisines sont enfouies dans les sous-sols. Sous la IIIe République elles étaient si vétustes que pour les grands dîners et les buffets on s’adressait à des traiteurs. Le confort des appartements du Président étaient très spartiates : une seule salle de Bains dont le président Armand Fallières, et son épouse, n’utilisèrent jamais. C’est Sadi Carnot qui fit installer l’électricité et Lebrun le chauffage central. De tout les présidents, Jules Grévy fut considéré comme le plus ladre par ses invités tellement les buffets étaient médiocres. Rochefort dans son l’Intransigeant ironisait « Un jeune homme a été arrêté vers deux heures du matin comme il venait de voler un petit pain chez le boulanger. Interrogé par le sergent de ville, il répondit : « Je sors de l’Elysée. » Il fut immédiatement relâché et une collecte organisée en sa faveur. »
Avec la IVe c’est madame Auriol qui reprend les choses en mains. Elle introduit le tout-au-gaz dans les cuisines et engage un tandem de chefs qui s’était connu au service des Windsor à Marnes-la-Coquette. Le président surprise René Coty qui par sa gentillesse, son urbanité fut le plus populaire des hôtes de l’Elysée : à plusieurs reprises après des réceptions réussies on le vit descendre aux cuisines féliciter les chefs. En dehors des obligations officielles, les repas de famille sont pris dans les petits appartements dans la plus grande simplicité, aussi bien chez les Auriol que chez les Coty. La petite histoire élyséenne mentionne que « le président Auriol, levé dès 6 heurs du matin réchauffait lui-même le café au lait qu’on lui avait préparé la veille. »
Les présidents changeront mais leur table ne variera guère et l’on ne s’y attardera jamais beaucoup : le record de rapidité étant détenu par le général de Gaulle qui ne dépassait jamais quarante minutes. Comme l’écrit un chroniqueur de l’époque « Dommage, car la chère est fine et la cave excellente, avec ses Château-Lafite, Haut-Brion, Châteauneuf-du-Pape, Meursault, Pommard, Pouilly- Fuissé, Château Margaux des meilleures années. Pour le champagne, de rigueur à l’heure des toasts, on prend bien soin que toutes les grandes marques, d’Heidsieck à Lanson, de la Veuve Clicquot à Dom Pérignon, et de Pol Roger à Perrier-Jouet, figurent tour à tour sur la table présidentielle. »