Marie, ici, dans ce récit, restera Marie tout court. Il ne s'agit pas de ma part d'un choix mais d'une nécessité. Ainsi, je la garde et la préserve elle qui, tout au long de ce premier jour, ne fut que Marie. La révélation de son nom attendit le lendemain. Marie était ainsi, insoucieuse d'elle. Pour autant elle ne m'envahissait pas. Nous nous découvrions sans nous embarasser du fatras des apparences, par petites touches. Pour la première fois de ma vie j'agissais sans calcul. Imprégné de sa spontanéité je ne connaissais plus la peur de ne pas être à la hauteur. Il n'y avait ni barre, ni compétition, nul besoin de jouer, d'endosser mon rôle. Tout me semblait simple avec elle, et ça l'était. Alors ce fut Marie jusqu'au lendemain. La révélation de son nom, ce fut au sens propre une révélation, vaut la peine d'être contée car c'est la quintescence de ma Marie qui ne semait ni ne moissonnait.
Donc, le lendemain de notre premier jour, sous la douche, Marie me savonnait le dos. Je fermais les yeux sous le jet dru et je l'entendais me dire " dimanche nous irons voir mon père..." J'ouvrais les yeux avant de lui répondre un " oui bien sûr " comme si ça allait de soi. J'ajoutais d'ailleurs un " ça va de soi " qui la faisait rire. D'ordinaire, avec une autre, comme je suis un monsieur j'ai toujours le dernier mot, je me serais lancé dans une explication oiseuse. Là, sans réfléchir, je lui balançai très pince sans rire dégoulinant " et ta mère dans tout ça, elle compte pour du beurre..." en pensant sitôt que c'était peut-être une bourde " et si la maman de ma Marie était... " Mais non " la maman de ma Marie n'était pas " car ma Marie m'aspergeait en se moquant de moi " ne t'inquiète pas de maman mon canard. Elle, tu vas la voir dans une petite heure. C'est pour ça que je te récure. Maman est une obsédée de la propreté..."
La situation matrimoniale des parents de Marie était simple et originale. Toujours mari et femme, ils vivaient séparés : elle à Nantes, officiellement seule, en fait occupant la position de maîtresse du plus riche notaire de la ville : Me Chaigne ; lui à Paris, seul avec quelques éphèbes par ci par là. Entre Nantes et Paris leurs cinq enfants allaient et venaient. Marie m'exposa tout ça, au bas de l'immeuble de sa mère, en attachant l'antivol de son scooter. D'un air entendu, tout en lui caressant les cheveux, je ponctuais chacune de ses phrases par de légers " hum, hum..." qui traduisaient bien mon état d'absolue lévitation ce qui, en traduction libre signifiait " cause toujours ma belle. Tu pourrais m'annoncer que tu es la fille adultérine de Pompidou ou la bâtarde de Couve de Murville que ça ne me ferait ni chaud ni froid. Sur mon petit nuage je m'en tamponnerais la coquillette..." Nous prîmes l'ascenseur. Marie était resplendissante. Je le lui dis. Elle fit le groom. M'ouvrit la porte grillagée et d'un geste ample m'indiqua la porte sur le palier. La plaque de cuivre, au-dessus de la sonnette, me sauta aux yeux. Je découvris le patronyme familial. Le choc fut rude.
Si vous n'avez rien à faire dimanche matin vous pouvez écouter, de 9h à 10h, la rediffusion de l'émission de France Inter " Interception " au titre prometteur " les crus sont-ils cuits ? " www.radiofrance.fr/franceinter/em/interception/