Dans ma jeunesse je gardais les vaches et avant la vendange je grappillais dans les vignes du grand-père. De nos jours nous bucolisons grave dans les mégapoles. Le vert est tendance. C’est beau et je n’ironise absolument pas sur ce grand besoin d’air et de nature mais je m’interroge sur la capacité de beaucoup de nos concitoyens à faire le lien entre leur comportement quotidien de consommateur et leur empathie pour tous ces petits producteurs que les grisouilloux de la Commission Européenne veulent purement et simplement évacuer de nos beaux territoires ruraux. Entre le pack de lait UHT à quelques centimes d’euros et la paisible normande aux yeux tendres paissant dans les verts pâturages du Pays d’Auge c’est la boîte noire. D’où vient-il ce lait ? Combien vaut-il vraiment ? Permet-il au producteur de vivre ou simplement de durer ? Comme je le faisais souvent remarquer à ceux des chercheurs ruralistes qui voulaient « maintenir le plus grand nombre d’agriculteurs dans la France profonde » : devrons-nous les attacher ?
En effet, pour vivre au pays il faut que le pays vous fasse vivre, que les produits qui y sont cultivés, que les animaux qui y sont élevés, dans le cadre d’une économie marchande, procurent des revenus comparables à ceux du reste de la population. Dans les années 60 les lois d’orientation proclamaient l’objectif de parité. Notre agriculture, avec de grandes disparités entre produits, sous la protection des politiques communes, s’est intégrée dans une économie d’échanges intra-communautaire et mondiale. La part de l’alimentation dans les dépenses des ménages a fondue. Le nombre d’agriculteurs lui aussi a fondu sous les effets d’une « modernisation » essentiellement tournée vers la productivité. La France « sans paysans » que prévoyait Mendras n’est pourtant pas au rendez-vous puisque nombre de petits producteurs continuent de s’accrocher aux territoires dit difficiles.
Sont-ils menacés aujourd’hui ? La réponse est oui dans le secteur du lait qui fait la une de l’actualité en ce moment. Pourquoi ? Tout bêtement parce que l’abaissement des protections communautaires conjugué avec un déséquilibre offre/demande a provoqué une chute vertigineuse du prix du lait acheté aux producteurs. De plus, l’allergie de la Commission, soutenue par les pays producteurs du Nord, à toute forme de régulation rajoute au désarroi des producteurs qui ont le sentiment que les lendemains seront plus durs encore. Je ne vais, pour des raisons de devoir de réserve, aller au-delà de ce constat. Cependant, je puis écrire que la régulation est possible à condition de bien vouloir traduire cette volonté en des mécanismes concrets pour mieux lier le prix payé au producteur à la valorisation de son produit. Les très « libéraux » américains pratiquent ce genre de sport sans complexe. Dans notre secteur les champenois l’ont fort bien compris avec le rendement disponible à l’hectare.
Bref, j’en reviens à mes voisins qui veulent voir des vaches dans le pré et des vignerons dans la vigne, pour les interroger sur quelques gestes de leur vie courante :
- croient-ils qu’un petit producteur du Massif Central dont la coopérative fabrique de la mozzarella pour les pizzas à 2 balles qu’ils achètent est compétitif face aux géants du Nord ?
- se posent-ils la question de savoir si en achetant du lait UHT en brique au moins cher du moins cher ils participent au déménagement de nos territoires ? En pleine surproduction nous importons du lait en briques !
- de même pour leur emmenthal à deux balles se doutent-ils que même les producteurs bretons mordent la poussière face aux poids lourds du Nord... Entremont et ses milliers de producteurs sont au bord du gouffre. En pleine surproduction nous importons de l’emmenthal !
Certains me diront qu’y’a faire que le petit producteur du Massif central fasse du bio, du fromage AOC pour s’en tirer. Plus facile à dire qu’à faire car les places sont prises et chères et je pourrais leur retourner le compliment pour les pizzas ou l’emmenthal à 2 balles : vous n’avez qu’à changer vos habitudes de consommation... Nous retrouvons là le sujet que j’avais abordé lorsque Coffe s’affichait pour Leader-Price : Le discount ou comment fabriquer des pauvres : « merci JP Coffe de promouvoir le modèle WAL•MART » http://www.berthomeau.com/article--31535901.html . Et que les bonnes âmes ne viennent pas me chanter que le moins cher du moins cher c’est pour la défense du pouvoir d’achat des plus démunis.
Comme je l’ai écris récemment le déni de réalité ne change pas la réalité et nous ne pouvons pas faire comme si les grandes machines à lait hors sol du Nord n’existaient pas ou comme si le modèle extensif Néo-Zélandais ne dominait pas le marché mondial beurre-poudre. Nous sommes dans l’Union Européenne et, même si la situation est grave et difficile, il faut rappeler que nous avons su générer de grandes entreprises laitières aux marques reconnues : Danone, Président, La Laitière. Yoplait... qui exportent des produits à forte valeur ajoutée. De même des AOC, même si elles n’occupent moins de 10% du marché, comme le Comté, le Beaufort, le Roquefort, participent à la tenue des territoires.
Que nous le voulions ou non, le non-déménagement de certains de nos territoires – c’est-à-dire la non-délocalisation de la production – passe par un partenariat obligé entre les producteurs et les entreprises. Ils ont partie liée et « une chirurgie de champ de bataille » est évitable si le contractuel se substitue à l’administré. Encore faut-il que le citoyen-consommateur toujours prompt à venir au secours, en pensée, des petits producteurs traduisent ses bonnes intentions en actes. Si aucun changement de comportement ne se dessine je ne vois pas pourquoi les distributeurs, les hards-discounteurs, n’iraient pas au moins cher du moins cher, d’où qu’il vienne, et que les transformateurs effectuent le même chemin en réponse en s’approvisionnant auprès des producteurs en capacité de supporter, grâce à des coûts de revient plus faible, des prix d’achat de plus en plus bas. Dans ce paysage, les seules vaches bucoliques qui subsisteront seront celles qui alimenteront les circuits pour consommateurs en mesure de s’offrir les produits à forte valeur ajoutée environnementale : bio ou AOC...
La voie qui s’ouvre à nous est étroite, les virages à prendre sont difficiles à négocier, aucun modèle de production ne peut avoir la prétention d’être unique et substituable à un autre, seule la complémentarité entre un secteur industriel, encadré par une régulation assumée, jouant la carte partenariale, et un secteur artisanal valorisant le lait des zones à handicaps, peut nous permettre de faire vivre des éleveurs dans la majeure partie de notre territoire et de ne pas aboutir à une hyper concentration des élevages.
Croyez-moi nous ne sommes pas très loin des problématiques du secteur du vin sauf que celui-ci est a front renversé par rapport au secteur laitier : il découvre l’univers impitoyable de l’agro-alimentaire... Si nous souhaitons garder un grand vignoble, donc beaucoup de viticulteurs et de vignerons, la même synergie entre un artisanat créateur : le vigneron-commerçant et un négoce internationalisé en capacité de vendre des volumes importants – ce qui ne signifie pas pour autant de la bidouille – doit être voulue et assumée. Loin des oppositions stériles, des anathèmes, des discours qui font tant plaisir à ceux qui ne mettent jamais leurs mocassins dans les vignes, c’est la seule voie qui nous permettra de garder à nos territoires la vitalité qui permet d’y croiser encore des vignerons dans les vignes et des vaches dans les prés... C’est, d’une certaine manière pour le consommateur, étendre la notion de commerce équitable à nos territoires les plus difficiles...
Je vous recommande de lire
Le diable se cacherait-il (aussi) dans les proximités ? (billet) |
Par Jean-Claude Flamant, Mission Agrobiosciences |
Jean-Claude Flamant |
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La consommation engagée, tout particulièrement l’approvisionnement en proximité ou encore l’achat de produits issus du commerce équitable, semble avoir le vent en poupe. Portés par des valeurs "citoyennes", ces modes de consommation, visant à aider les petits producteurs, auraient, par ailleurs, bien d’autres qualités. Ainsi, par exemple, s’approvisionner en proximité permettrait de réduire, en limitant les transports, l’émission de gaz à effet à serre, notamment celle de CO2. Qu’en est-il dans le faits ? Et quels freins ces nouveaux modes de consommation rencontrent-ils ? Jean-Claude Flamant mène l’enquête dans ce billet de la Mission Agrobiosciences.
http://www.agrobiosciences.org/article.php3?id_article=2712
Samedi dernier un homme d'envergure et de pouvoir est mort. Jean Pinchon, éduqué par les Jésuites, ingénieur agronome de l'INA de Paris, Directeur de cabinet d'Edgard Faure Ministre de l'Agriculture, fut l'un des premiers promoteurs de la Sopexa avant de rejoindre la Cie Louis Dreyfus. Président de l'INAO pendant plus de 10 ans lui, le normand, homme des grandes cultures, aima sincèrement et passionnément cette maison. Je lui ai succédé au Bureau du Calvados. Il se voulait mon père spirituel mais j'étais un fils rétif. Nous fûmes de grands amis. Nous ne le fûmes plus. La vie est ainsi faite et la mort ne change rien à ce qu'elle fut. Lorsque Françoise, ses enfants, ses proches, ses voisins, les officiels, tous ceux qui lui étaient chers, le porteront en terre, à Epaignes, dans ce bocage normand qu'il aimait tant, paraphrasant l'évêque d'Ajaccio je penserai « Ici, ce n’est pas un rassemblement de gens parfaits. Mais que Dieu nous pardonne nos péchés. » J'embrasse affectueusement Françoise ma grande amie.