Dali était fou du chocolat Lanvin moi je le suis du vin d’Embres&Castelmaure lieu qui dispute à la gare de Perpignan le privilège d’être le centre du monde. Savoir être fou, retrouver le goût des chemins de traverse, oser faire « l’éloge de la paresse » c’est redonner au vin son supplément d’âme, l’inscrire à nouveau dans l’imaginaire des gens. Dans le mien de petit vendéen cerné par les particules des de Baudry d’Asson, de Tinguy du Poët, Boux de Casson, de Larocque-Latour, Morrison de la Bassetière hobereaux châtelains « régnant » sur leurs terres, leurs métairies et leurs métayers : « bonjour notre maître » ces noms à rallonge m’ont toujours fascinés. Alors, au scrabble de ceux-ci, celui de Patrick de Hoÿm de Marien m’ébaffe, m’épatoufle, m’éberluque.
L’homme est un seigneur, de cette aristocratie qui force le respect car elle tire sa supériorité, non de privilèges, mais de son action. Dans la galaxie postsoviétique des présidents de la coopération audoise, avec son allure à la de Staël, P.H.M jette comme un trait de blanc de kaolin sur leur grisaille. L’homme cultive aussi une forme d’insolence, policée dans ses mots mais luxuriante, provocante, dans ses choix de taggueur pop’art. Osez, osez Joséphine chantait Bashung, dans le scepticisme du Languedoc, dans ce bout du monde des Corbières, Patrick de Hoÿm de Marien et son équipe, au lieu de s’abouser, se sont affanés, « du courage, du courage... » comme le chante la Grande Sophie avec ce qu’il faut de patience, d’intelligence des choses et des gens, de ténacité pour nous offrir des couleurs pleines de bonheur.
Que des « grands », au long bec et au palais fin, sous la houlette de Michel Bettane, s’intéressassent enfin à l’un de ses vins, l’emblématique N°3, et lui décernassent, dans Terre de Vins www.terredevins.com, le titre envié de meilleur vin du Languedoc-Roussillon, n’a pas de quoi me surprendre mais me donne l’occasion, entre deux comportes de raisin mur, de demander des explications sur ce miracle corbierenc à Patrick de Hoÿm de Marien, président de Castelmaure. Si c’était Stéphane Bern qui s’y était collé – il aime le vin ce garçon – sans aucun doute l’interview aurait débuté par : altesse...
1ière Question : Bonjour Président, mon petit doigt m’a dit que jeune homme, fringant et altier, vous adoriez la céréale et les gros tracteurs, comment avez-vous débarqué à Castelmaure ? Puis, une fois adopté, comment avez-vous fait pour convaincre vos pairs de ne pas faire comme tout le monde ?
Patrick de Hoÿm de Marien : Par amour. En venant, juste après les moissons de 1979, m'occuper des vignes de ma femme. J'avais un peu moins de 30 ans, j'étais né paysan, mais à l'autre bout de l'Aude, dans la Piège, à Marquein au milieu des collines de blé dur, des basse-cours et des élevages de cochons. Du coup, ici, en Corbières, j'étais un « étranger », il a fallu que je montre, que je prouve que je faisais réellement partie de la « race » de ceux qui cultivent la terre. Apparemment, j'ai réussi à me faire, sinon naturaliser, au moins adopter puisqu'en 87 les vignerons m'ont élu président de Castelmaure, une structure qui regroupe 60 adhérents répartis sur 360 hectares de vignes.
Parce que je suis un paysan et qu'un paysan aime vivre libre. Mes échecs en tant que céréalier et éleveur, enchaîné à un système productif qui m'obligeait à me battre sur le marché des génériques, m'ont fait comprendre que pour continuer à vivre debout, indépendant, il fallait d'abord élaborer des produits porteurs d'une identité. Rien de plus évident à Castelmaure où la géologie, le relief et le climat ne permettent guère d'envisager d'autre démarche.
Ma grande chance a été l'arrivée en 1983 de Bernard Pueyo, un jeune œnologue aussi perfectionniste que taiseux, qui, supervisé par son mentor Marc Dubernet, a fait basculer notre vieille coopé dans une autre ère. Très vite, les parcelles ont été informatisées, les méthodes culturales assainies, la machine à vendanger prohibée et les bénéfices retrouvés. Les vignerons eux aussi ont accepté de faire des sacrifices, d'investir en fait : ils en touchent aujourd'hui les dividendes.
2ième Question : Patrick de Hoÿm de Marien, dans cette belle région où beaucoup causent sur tout et son contraire alors qu’ils devraient se taire, même si ça les chagrinent un chouïa, depuis Castelmaure, comment lisez-vous l'évolution des vins du Sud ?
Patrick de Hoÿm de Marien : J'ai l'impression que l'on assiste de plus en plus à une répartition des rôles qui implique des métiers très différents les uns des autres. D'une part, la production industrielle, souvent concentrée dans la plaine, qui peut et qui doit à son échelle inventer des bouteilles de qualité, parfaitement adaptées au marché aussi bien dans la forme que dans le fond ; mais il s'agira de raisins vendangés à la machine, irrigués souvent et dotés de puissants outils marketing. D'autre part, le vin artisanal, produit par des « petits » comme nous, par des gens qui n'ont d'autre choix, d'autre avenir que de s'appuyer sur les qualités propres de leurs terroirs et donc de raisonner grand cru. Ces deux métiers doivent évidemment vivre en bonne intelligence, comme dans tant d'autres régions viticoles prestigieuses de France ou d'ailleurs. À cet égard, il serait intéressant que le Languedoc et le Roussillon s'ouvrent davantage au Monde afin que chacun, et pas seulement quelques initiés, se rendant compte que le vin bouge ! Le vin a aussi soif de culture, d'audace et d'ouverture d'esprit, c'est peut-être à ce niveau-là que nous pouvons progresser. À titre d'exemple, l'inauguration de notre nouvelle cave conçue par Lacaton & Vassal (NDLR: Grand Prix National d'Architecture 2008) a tout juste suscité ici la curiosité d'un ou deux conseillers généraux…
3ième Question : Président, parlons du lauréat, de ce N°3, comment avez-vous fait la différence avec cette cuvée ? Fier d’être N°1 cher Patrick de Hoÿm de Marien ? Moi, qui ai tant bourlingué dans ce pays, comme notre Université le fait pour ses doctorants les plus méritants, je vous accorde la mention Très Honorable avec mes chaudes et sincères félicitations.
Patrick de Hoÿm de Marien: D'abord, tout simplement, en exprimant par une sélection de sélections un terroir particulier, à cheval sur le calcaire et le schiste, un terroir d'altitude sur lequel nous avons, grâce au travail de Bernard Pueyo et de tous les vignerons, des dizaines d'années de recul et donc de connaissances. Je crois que c'est vraiment là que se fait la différence, sur le terroir, car, finalement, nous ne sommes qu'une petite « coopé » des Corbières : nous n'avons ni les moyens, ni l'ambition, ni même le désir d'élaborer un vin de garage, trié grain par grain, épépiné à la plume d'oie et limité à 300 bouteilles ; cette cuvée, en 2007, cela représente 20000 bouteilles ! Notre vocation demeure de rester fidèle à une histoire, à une « culture d'entreprise » comme on dit aujourd'hui, paysanne, saine et indépendante.
Cela étant, le n°3, depuis onze ans, a aussi été l'occasion d'ouvrir de nouveaux horizons et de découvrir de nouvelles façons de travailler. La rencontre avec Michel Tardieu, qui nous conseille depuis 1998 sur ce vin, nous a permis d'intégrer des gestes œnologiques plus « haut de gamme », des gestes que jadis on n'aurait jamais appliqués à un corbières ; avec lui, nous nous sommes décomplexés et nous nous sommes mis à traiter notre terroir à l'égal de Châteauneuf-du-Pape, du Priorat ou de la Côte-Rôtie. Et puis, en partant avec notre compagnon de route Vincent Pousson de cette étiquette qu'il a créée en 98, et qui avait tant fait jaser à l'époque, de refondre, de singulariser notre gamme et de lui donner l'énergie et les couleurs qu'elle a aujourd'hui.
Le classement établi par Michel Bettane et Terre de Vins nous fait évidemment très chaud au cœur : le n°3 qui devient numéro un du Languedoc-Roussillon le temps d'une dégustation, c'est la récompense d'un travail d'équipe, d'une œuvre collective – plus dans une optique rugby que kolkhoze… Il est aussi l'occasion de se sentir moins seul, de voir dans toutes les belles bouteilles avec lesquelles nous avons concouru l'expression d'une envie commune, l'envie que le Languedoc-Roussillon prenne enfin conscience, loin du conservatisme et du défaitisme, des atouts extraordinaires que lui a offert la Nature.
Note du rédacteur : je trouve que le « parlé » de Vigàta, ce vocabulaire des « peineux » siciliens va bien à mes amis d’Embres&Castelmaure : alors s’ébaffer, s’épatoufler, s’éberluquer, s’abouser, affaner... ça parle mieux que les mots français tout appointuchés (ça c’est du patois vendéen)...