Août 2001, nous avions décidé de suivre le sentier Stevenson dans les Cévennes, de le faire bien sûr avec un âne pour compagnon, en l'occurence comme pour Robert-Louis une ânesse prénommée non pas Modestine mais Sarriette. Je venais de remettre mon rapport au Ministre et ... c'est une autre histoire. Ce matin je vous offre un extrait du Journal de route en Cévennes de R.L.Stevenson.
Vendredi 4 octobre Adieu Modestine !
Examinée le matin du 4 octobre, Modestine fut déclarée inapte à voyager. Il lui fallait au moins deux mois de repos, d'après le palefrenier(...) je résolus de vendre mon amie et de partir par la diligence cet après-midi là (...) Notre marche de la veille, avec le témoignage du charretier qui nous avait suivis dans la montée de Saint-Pierre, fit une bonne réputation sur les aptitudes de mon ânesse. Des acheteurs éventuels furent au courant d'une occasion sans pareille. avant dix heures, j'avais une offre de vingt-cinq francs ; et avant midi, après une rude discussion, je la vendis avec la selle et tout le reste pour trente-cinq francs (...)
Encore une chose à noter. Le phylloxera a ravagé les vignobles dans le pays, et au petit matin, sous les châtaigniers près de la rivière, j'aperçus un groupe d'hommes travaillant à un pressoir de cidre. comme je ne compris pas tout de suite ce qu'ils faisaient, je demandai à l'un d'eux de m'expliquer : " On fait du cidre " dit-il, " oui, c'est comme ça. Comme dans le nord ! ". La voix vibrait, sarcastique : le pays allait au diable.
Ce ne fut pas avant d'être installé à côté du cocher, et de rouler dans une vallée rocheuse, entre oliviers nains, que je me rendis compte de mon deuil. j'avais perdu Modestine. Jusqu'à ce moment-là, je croyais que je la détestais ; mais maintenant qu'elle était partie, " Oh ! quelle différence pour moi "
Pendant douze journées, nous avons été d'intimes compagnons : nous avions parcouru plus de cent-vingt milles, franchi mainte crête vénérable et trottiné de nos six jambes par mainte route de traverse rocheuse et bourbeuse. Passé le premier jour, bien qu'offensé parfois, et distant d'allure, j'étais resté patient ; et quant à elle, la pauvre, elle en était arrivée à me considérer comme un dieu. Elle aimait manger dans ma main. Elle était patiente, élégante de forme, couleur d'une souris idéale, et petite inimitablement. Ses défauts étaient ceux de sa race et de son sexe ; ses vertus lui étaient propres. Adieu, et si c'est pour toujours...
Le père Adam avait pleuré quand il me l'avait vendue ; après l'avoir vendue à mon tour, je fus tenté par son exemple ; et me trouvant seul avec un cocher de diligence et quatre ou cinq jeunes gens d'agréable compagnie, je n'hésitai plus à céder à mon émotion."
Croyez-moi depuis mon compagnonage de huit jours avec ma Sarriette j'ai pour les ânes une tendresse et un respect bien plus grand que pour beaucoup d'humains...