Normal, le vin délie les langues mais pourquoi diable mettre en avant le Gigondas ?
Bonne question, mais là vous touchez à la magie d’une histoire. Permettez que je vous la conte sans pour autant déflorer son mystère. Tout a commencé un après-midi où je maraudais dans une forêt de livres. Mes pas me portaient jusqu’à la clairière des opus consacrés au vin. Un bien petit espace noyé dans l’exubérance de tout ce qui se publie sur la gastronomie. Peu de nouveautés, rien que des beaux livres mais pas très originaux. Ce jour-là, coincés entre des guides ventrus, 3 petits bouquins à la jaquette violette de la collection Écrivins chez Fayard attirent mon attention, l’un est le classique de Robert Giraud : Le vin des rues, l’autre est consacré à Robert Giraud : Monsieur Bob, le dernier Les Joyeuses est de Michel Quint dont le texte de la 4ième de couverture me convainc de l’ajouter à ma besace. « L’année de mes vingt ans, je suis entré en ivresse, j’ai bu, en même temps que je montais sur les planches, et la parole m’est devenue fluide, j’ai pu enfin me vider l’âme au fur et à mesure des verres de vin et des répliques. »
Et pourtant, une fois rentré chez moi, au lieu de me ruer sur ses 221 petites pages je l’ai soigneusement rangé.
Pourquoi ce désintérêt, me direz-vous ?
Une forme de réticence face à une littérature à thème qui, très souvent, se révèle lourde et ennuyeuse.
Alors pourquoi diable avoir acheté les Joyeuses de Michel Quint ?
Pour les lire bien sûr mais au bon endroit au bon moment.
Et ce jour est arrivé dans la fin de semaine du 15 août. Enfin du cagnard, j’adore lire au soleil sur mon balcon. Nul besoin de Paris-plage, au 9ième étage, plein Sud, je retrouve l’ambiance du Sud. Mon chapeau sur la tête je prends du soleil en prévision du gris de l’hiver et je lis. En un peu plus de deux heures chrono j’ai englouti, non j’ai savouré avec gourmandise ce livre écrit d’une plume vive, légère, jubilatoire. Par bonheur ce n’est pas un livre sur le vin, même s’il est en permanence présent tel un merveilleux complice du narrateur. Tout pour me séduire : le lieu d’abord entre Sablet et Gigondas où mes souvenirs stockent des images, que de fois y suis-je passé en allant en vacances à Puyméras à la fin des années 70 ; l’intrigue ensuite tissée autour de la représentation de Falstaff nouant et dénouant les liens de deux familles ; la vigne, bien sûr, l’Algérie coloniale, ses drames, les rapatriés, les harkis, l’OAS, mai 68 et ses débordements… des bacchanales le soir après les répétitions… des femmes aux charmes offerts : que la jeune et séduisante doctoresse, veuve et libérée, est désirable… les petites histoires du village…une mystérieuse bouteille écussonnée… Un vrai régal et je vous invite, si ce n’est déjà fait, à vous précipiter chez votre libraire pour acquérir Les Joyeuses 15 euros (Jérôme le château de Trignon est cité, à l’avantage de ses propriétaires…)
Pour vous convaincre : un petit extrait, tout au début, page 15.
« Juillet. Chaque jour le pays se fendille de soleil comme une fournée de pains oubliés à cuire. Je laisse chez moi, par en bas, vers Vaison-la-Romaine et je traverse Sablet, à pied, sur le fil étincelant de midi, jusqu’aux domaines avant Gigondas. Le village est désert et je suis les ombres courtes des ruelles, entre les maisons à triples génoises, volets clos, qui déboulent en désordre du plus haut d’un court mamelon. Passé le clocher carré à campanile de fer, je descends à pas plus amples pour entrer vite dans les vignes, remonter aux prochains contreforts de maquis vert sombre. Les premières collines étaient tombées autrefois à plat ventre dans la plaine et ne s’étaient jamais relevées. Ces vignes avaient poussé sur leurs cadavres secs… »
Bonne journée et je l’espère bonne lecture…