Tout allait bien dans le meilleur des mondes pour le fantassin bio : l’Agence Bio – nous adorons en notre beau pays les agences de ceci et de cela, ça occupe du monde, ça consomme des crédits européens et ça à un directeur, en l’occurrence une directrice – affichait un communiqué de victoire « 2008, produits bio : solides face à la crise, les indicateurs de consommation restent au vert » ; les « bien-pensants » de Télérama, toujours le nez dans la tendance de leurs chers lecteurs « qui lavent plus blanc que blanc », tartinait un long article au titre ronflant : « En Alsace, la révolution biodynamique est en marche » de quoi faire grincer beaucoup de dents mais pas les miennes : moi je suis toujours content lorsque le vin est à l’honneur dans un organe de presse à couverture nationale ; le très sérieux journal du soir, le Monde, que le monde entier nous envie, sous la plume de Hélène Franchineau, publiait un article ébouriffant « Cet été ? Je WWOOFe !». Qu’est-ce me direz-vous ? « Le WWOF, c’est l’occasion de rencontrer des gens et d’échanger. Le monde vient à toi » Pauline Desmazières, 30 ans s’est installée dans une petite ferme du sud de la Vienne depuis mars 2009. Elle y cultive des légumes et a choisi de faire partie de l’association WWOOF (World Wide on Organic Farms) dont le but est de mettre en relation agriculteurs bio et travailleurs volontaires. Français ou étrangers, citadins ou ruraux, s’ils souhaitent découvrir l’agriculture biologique, une nouvelle région ou simplement la vie à la campagne, ils sont les bienvenus dans les fermes de WWOOF. » En résumé on reçoit le gîte et le couvert, et on donne quelques heures de boulot gratos.
Donc notre brave pioupiou bio après des années de railleries agricoles dosées aux nitrates et aux pesticides, d’ostracisme officiel, d’une image de secte d’illuminés, de néo-ruraux vendant des fromages de chèvres aux touristes, se croyait tiré d’affaires. C’était sans compter sur la perfidie de nos voisins anglais, dont la réputation de gastronomes éclairés n’est plus à faire, pour planter un poignard aiguisé dans le dos de notre vaillant soldat Bio. Dans Slate, la feuille de chou de l’ex du Monde, le Jean-Marie Colombani, c’est le docteur Jean-Yves Nau, bien connu des amateurs de vin, qui s’y colle sous le titre « Nutrition : le « bio » est-il un leurre ? » Voir son papier à la rubrique Wine News N°59. Je cite le point qui fait le cœur de la polémique « Pour le Pr Alan Dangour, principal auteur de ce travail, les choses sont on ne peut plus claires: «Du point de vue de la nutrition, il n'y a actuellement aucun élément en faveur du choix de produits bio plutôt que d'aliments produits de manière conventionnelle». De légères différences ont certes bien été relevées ici ou là mais elles ne sont pas statistiquement significatives et, selon le Pr Dangour, ne sauraient avoir un quelconque impact en termes de santé publique. »
Rien de très nouveau sous le soleil d’Austerlitz du biffin Bio comme le rappelle Jean-Yves Nau : « On peut rappeler qu'en 2003 l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) était, dans son habituel jargon, parvenue à des concluions similaires: «Les faibles écarts ou tendances pris individuellement, qui ont pu être mis en évidence pour quelques nutriments et dans certaines études entre la composition chimique et la valeur nutritionnelle des produits issus de l'agriculture biologique ou de l'agriculture conventionnelle, n'apparaissent pas significatifs en termes d'apports nutritionnels».
Comme vous vous en doutez je ne vais pas m’aventurer sur le terrain des blouses blanches où je suis, plus encore que d’ordinaire incompétent, mais me contenter de souligner que pour moi les méta-analyses (démarche statistique consistant à analyser les résultats d'une série d'études indépendantes ayant déjà été menées sur un thème donné) frisent souvent l’escroquerie scientifique et leur publication en rafales sur des sujets sensibles n’est pas dénuée d’arrière-pensées. En quelques mots je voudrais rassurer notre brave soldat bio en lui disant tout d’abord que ceux, qui se tournent de plus en plus vers lui, sont plus attachés au respect de l’environnement, aux équilibres détruits par une surexploitation, à tout ce qui touche au développement durable et que les purs arguments santé ou nutritionnels, même s’ils sont encore prégnants pour la frange la plus militante, ne sont pas déterminants dans les choix des néo-consommateurs. Les ravages des algues vertes sur le littoral breton et l’eau saturée de pesticides, par exemple, plaident bien plus en la faveur d’une agriculture respectueuse de l’environnement, sous toutes ses formes, n’en déplaise aux intégristes, que le taux d’oméga 3 du lait bio. Moi je m’en tiens à l’adage de ma mémé Marie : « si ça me fait pas du bien au moins je suis sûr que ça ne me fera pas du mal… » qui plaide en la faveur d’une alimentation plus saine sans pour autant faire une obsession sur ses effets sur la santé : la dictature du nombre de fruits et légumes à consommer journellement ou les alicaments.
En tant que bon vivant je voudrais ici insister sur le goût des aliments qui, pour moi, est à la base du plaisir simple de se retrouver plusieurs fois par jour autour d’une table pour faire autre chose que s’alimenter. Sur ce point, il n’y a pas photo : les produits de l’agriculture et de l’élevage intensif n’ont pas de goût, ils sont sans saveur parce qu’ils ont été forcé à se développer à grand renfort d’engrais ou d’alimentation hautement énergétique. Même si les progrès de la recherche de nouvelles variétés, les fraises par exemple, ont fait progresser la saveur de certains fruits, la grosse cavalerie de notre alimentation en produits frais est dénuée de saveur. Le temps de croissance, associé au choix de la variété ou de la souche, est capital pour l’obtention de produits gouteux. Si je reviens à ma mémé Marie, si ses poulets étaient délicieux, c’est qu’ils prenaient le temps de forcir, d’abord en liberté où ils bouffaient ce qu’ils trouvaient avec une poignée de grains jetée de temps en temps dans l’aire, puis en cages où ils se remplumaient en ingurgitant de véritables pâtés – désolé pour les défenseurs du bien-être des animaux – même tarif pour les cochons engraissés aux eaux grasses et aux patates, quand aux fruits et légumes du jardin ils vivaient leur vie au rythme des saisons pour notre plus grand plaisir.
Mais le temps c’est de l’argent. Laissez faire la nature a son rythme c’est se condamner à des petits rendements, à des croissances plus lentes. Bien plus que la stricte observance des grands principes du bio je suis intimement persuadé que si les producteurs de produits frais ne veulent pas tomber sous la coupe des discounters chers à Jean-Pierre Coffe l’inflexion vers une agriculture et un élevage revenant aux grands fondamentaux est la seule voie d’avenir. Bien sûr, ce type d’agriculture, de viticulture, d’élevage à un coût qui pourra être abaissé à la fois par l’élargissement des marchés et l’amélioration des circuits de distribution, mais qui restera toujours plus élevé que celui de la grosse cavalerie. C’est un vrai challenge pour la ferme France. C’est un problème économique qui conditionne la survie de certains de nos territoires situés en zone de montagne ou des zones intermédiaires : l’impératif de faire de la valeur, des fromages AOC ou des laits bio par exemple, est capital. Sachez qu’en ce moment la grande majorité du lait bio vendu par la GD et le hard-discount est importé. Importé d’où me direz-vous ? De Hollande où des exploitations intensives font pisser leurs vaches avec une alimentation certifiée bio. Nos économies développées, aux coûts de main-d’œuvre élevés, trouveront des débouchés dans les nouvelles couches de la classe moyenne des pays émergeants. Ce choix n’est pas antinomique avec le maintien d’une production concurrentielle dans le secteur des produits de commodités. La France agricole éternelle, chère au cœur des ruralistes, a toujours été ainsi structurée. Elle doit, comme aurait du le faire d’ailleurs la viticulture languedocienne voilà presque 10 ans, faire des choix liés aux marchés de consommation en développement.