Chère Carole Bouquet,
Si je me suis permis, en exergue de cette chronique, de faire référence à votre âge, c’est que vous l’avouez très simplement dans le dernier numéro du Nouvel Observateur. Avouer son âge, l’expression peut prêter à sourire : l’âge est-il un péché ? Faut-il se faire pardonner son âge ? Au-delà de quelle limite devient-il péché mortel ? Éternelle jeunesse : « 50 ans, Tout est possible » titre l’hebdo chic qui en appelle aux statistiques d’espérance de vie pour affirmer que tout a changé et qu’ « à 50 ans, ce n’est plus comme autrefois, on a trente ans devant soi… ». J’avoue que l’enfilade de ce tout, de cet autrefois, de ce on, forme moderne du flou du langage, de l’indéfini, mots valises, fourre-tout, m'ont mis en appétit. Sans vous connaître mais, en me remémorant une très lointaine réponse à une interview, où vous déclariez, pour casser votre belle image « papier glacé » de trop belle pour moi, que vous aimiez manger à l’italienne – versus spaghettis – faire des taches sur votre chemisier immaculé, j’attendais avec gourmandise, face à autant de lieux communs, votre revers décroisé le long de la ligne.
Je ne fus pas déçu car il fut gagnant. À vos consœurs « quinquagénaires rayonnantes qui disent que c’est le plus bel âge… » vous retournez le compliment, en douceur d’abord « Je les trouve attendrissantes ! » puis vous claquez « Je n’y crois pas. Elles ont peur de vieillir et elles s’accrochent à l’idée d’être toujours jeunes, belles et pleines d’avenir. Mais c’est une posture. Ou une illusion. 50 ans n’est pas le plus bel âge de la vie. Pour la femme, c’est un âge de fragilité. Le corps ne répond plus comme à 30 ans. Vous ne pouvez plus faire d’enfants. Et quand vous en avez eus, vous les voyez s’en aller faire leur vie. Je ne suis pas particulièrement possessive, au contraire. Mais c’est dur. Certaines vivent avec des hommes bien plus jeunes qu’elles. Cela doit être épuisant ! À 50 ans, il y a des choses auxquelles il vaut mieux renoncer. Je ne trouve pas gracieux de s’accrocher à la séduction à tout prix. Ça me fait même peur, ça marque le temps… Ou alors il faut se soucier de soi toute la journée. Le boom de la chirurgie esthétique pour empêcher l’inexorable, c’est effrayant. Pourquoi mener un combat qu’on sait perdu d’avance ? La seule chose dont j’ai envie de prendre soin, c’est de mon cerveau, en continuant d’entretenir ma curiosité. »
Votre réponse, chère Carole Bouquet, me plaît beaucoup car elle vaut, à quelques nuances près, pour nous les garçons. Du haut de mes 61 ans, de mes cheveux blancs assumés, hormis que je pourrais encore être père, j’y souscris en tant que grand-père de Martin et de Zoé et, même si je fais Vinexpo à vélo, comme vous, à la question « vous êtes fatigué ?», je répondrais : »Non, je ne suis pas fatigué, j’ai 60 ans. » Permettez-moi de vous remercier pour votre sincérité si rare dans notre monde du paraître. Mais, comme moi, si je puis me permettre de vous annexer pendant le temps de ce courrier, parfois vous doutez. Je vous cite : « À Pantalleria, où j’ai planté mes racines, je peux me lever, regarder les arbres, profiter de la terre. Mais une voix en moi me dit : est-ce vraiment parce que tu aimes ce spectacle sublime ou parce que tu as renoncé à d’autres joies ? C’est ce moment-là qui est désagréable. J’espère que je vais arriver à un état où il n’y aura plus que la contemplation des arbres qui m’intéressera. Je n’y suis pas, j’ai encore besoin d’autre chose… »
Chronos, le temps, dont Alberto Toscano affirme qu’il est l’une des caractéristiques essentielles du vin, ce qui lui permet d’acquérir son caractère et ses vertus, me permet, chère Carole Bouquet vigneronne – car, dites-vous, « je préfère ce mot à celui de viticultrice, parce qu’il est plus terrien et que je suis très attachée à la terre… » – de vous solliciter pour qu’un jour de doute, ou un quelconque autre jour, vous veniez passer quelques instants sur mon petit espace de liberté pour nous parler avec vos mots de passion de votre Sangue d’oro, vin christique qui raconte une histoire qui vous ressemble, celle de cette terre rude et austère qui produit un vin doux et sensuel ; pour nous faire partager votre amour pour cette lumière du Sud, de la Sicile, de Pantelleria, dont vous dites qu’elle est « votre antidépresseur, votre force… » ; pour nous dire comment Nunzio Gorgone, votre premier vigneron, a rendu possible, avec sa famille, votre aventure ; pour nous parler de cette solidarité sans laquelle rien n’est possible sur l’île...
Je ne sais si cette lettre, perdue dans l’immensité de la Toile, parviendra jusqu’à vous, chère Carole Bouquet, mais, confiant dans les facéties du hasard qui sait si bien ouvrir grandes d’improbables fenêtres, patient aussi, j’espère qu’un jour, un beau jour sans aucun doute, vous me ferez le grand plaisir de répondre à cette amicale invitation. Dans cette attente sereine, recevez, chère vigneronne italienne de cœur et d’adoption, le salut d’un de vos spectateurs attentif et admiratif.
Jacques Berthomeau
QUESTION N°10 : J
- J comme Jaja de Jau, quel peintre signe l’étiquette de ce jaja célèbre ?
- J comme Jacob Creeks, à qui appartient cette marque de vins australiens ?
- J comme Jasnières, comme j’adore les blancs du Domaine de Bellivière, quel le cépage de cette minuscule appellation de 5 km de long sur 300 mètres de large ?