Pas très vendeur Clairvaux me direz-vous ?
Certes, mais avant de répondre à cette question, pour ceux qui n’auraient pas le courage de lire mes explications je me dois d’indiquer que cette cuvée, élaborée par la maison Drappier dans les anciennes caves de l’Abbaye de Clairvaux à Urville, je l’ai dégustée et appréciée au Salon des Vins d’Abbayes – Cellier du Collège des Bernardins 20, rue de Poissy 75005 Paris – (pour plus d’explication lire l’article très bien documenté, « Sur la route des abbayes qui font encore du vin » de Raoul Salama avec de belles photos d’Amarante Puget dans la RVF de novembre 2008).
« Il y a un mythe de Clairvaux, sans doute lié à la continuité qui existe entre l’enfermement volontaire des moines pour prier et l’enfermement imposé aux condamnés pour expier. Lieu de mémoire, Clairvaux est aujourd’hui encore un lieu de mystère avec ses trente hectares clos de hauts murs interminables… » écrit Jean-François Leroux-Dhuys dans « Les Abbayes Cisterciennes ».
Étrange destin que celui de cette abbaye située aux confins de la Bourgogne et de la Champagne, à proximité de la grande route des foires de Champagne, construite au cœur d’un vallon isolé dans la forêt, bien orientée est-ouest, avec une rivière, des étangs et une source non polluée. C’est ici que Bernard de Clairvaux a exercé pendant trente ans un pouvoir religieux et politique presque sans partage. Défenseur d’un Occident chrétien dirigé par la seule Église, cet homme de Dieu, petit moine famélique, mal habillé de la robe de laine écrue des cisterciens, va être investi par les papes, les rois et les princes vêtus de pourpre et d’armures d’un pouvoir à nul autre pareil. À sa mort, en 1153, l’ordre qui ne regroupait que 10 implantations en 1119 compte 351 abbayes, dont la moitié hors de France et 169 pour la seule filiation de Clairvaux »
« L’église scintille de tous côtés, mais les pauvres ont faim. Les murs de l’église sont couverts d’or, les enfants de l’église restent nus. Pour Dieu, si vous n’avez pas honte de tant de sottises, que ne regrettez-vous tant de dépenses ! Vous me fermerez la bouche en disant que ce n’est pas à un moine de juge, plaise à Dieu que vous me fermiez aussi les yeux afin que je ne puisse voir. Mais quand je me tairais, les pauvres, les nus, les faméliques se lèveront pour crier… » Apologie à Guillaume 1124
L'abbaye de Clairvaux fut acquise par l'État le 27 août 1808 en même temps que treize autres anciens monastères pour mailler le territoire de « maisons centrales de force et de correction ». La Révolution ayant érigé la liberté en valeur fondamentale le nouveau système pénal s'élabore autour de la privation de liberté, éventuellement associée aux travaux forcés. Quelques aménagements suffirent à transformer en bureaux, en dortoirs et surtout en ateliers, les immenses bâtiments dont l'autre intérêt résidait dans son haut mur d'enceinte. De quoi faire de Clairvaux dans les décennies suivantes, non pas une maison centrale parmi d'autres, mais la plus grande de France : 1 456 détenus en 1 819 ; 2 700 en 1 858 dont 1 650 hommes, 489 femmes et 555 enfants.
Un enfer lié à la surpopulation – pour une capacité initiale de mille places elle compta jusqu'à trois mille condamnés – et le système de la concession : le directeur et les surveillants étaient des fonctionnaires mais l'entretien des détenus – l'habillement, l'alimentation, le chauffage, le couchage – étaient confiés à l'entrepreneur qui avait soumissionné auprès de l'État le prix de journée le plus bas. En échange, il avait une main-d'œuvre taillable et corvéable à merci. La nuit, entassés dans de vastes dortoirs, livrés à la loi des plus forts, les détenus tombent comme des mouches « La mortalité qui était de 1 sur 63 s'est élevée à la moyenne formidable de 1 sur 11. En Belgique, elle est de 20 sur 700 », s'indignent déjà les députés. En 1832, l’exécution de Claude Gueux à Troyes donna l'occasion à Victor Hugo de pointer sa plume sur Clairvaux et d'entamer un réquisitoire tant contre la peine de mort que contre la prison.
En dépit de l’instauration en 1834, d'un quartier de quatre-vingts places, destiné aux «politiques», un lit par condamné et pas de travail obligatoire, le quotidien des détenus fut sans grand changement. Il y eut bien pire ailleurs quand, à partir de 1852, les condamnés furent déportés dans les bagnes de Guyane puis de Nouvelle-Calédonie… Il fallut attendre la loi Bérenger de 1875 pour un premier vrai progrès : la généralisation de la cellule individuelle, au moins pour la nuit. Autre grande avancée pénale, en 1885 grâce au même Bérenger : la loi inaugurant le sursis et la libération conditionnelle.
Clairvaux, la Centrale fut rendue « célèbre » par « l’affaire Buffet/Bontemps », et le réquisitoire de Robert Badinter contre la peine de mort.
Clairvaux, où fut enfermé un certain Jean Genet, qui y rédigea le « Journal d’un voleur ».
Clairvaux est l’une des maisons centrales les mieux gardées de France ses hauts et longs murs interminables, en rangées successives, interdisent toute vue sur les vestiges des splendeurs d’autrefois. Les privilégiés qui peuvent y pénétrer découvrent que cette ville close recèle des trésors d’architecture (cf. pages 174-175 les Abbayes Cisterciennes éditions Place des Victoires). Les bâtiments historiques ont été libérés par la Ministère de la Justice. Ils sont en cours de restauration sous l’égide du Ministère de la Culture par l’Association Renaissance de l’Abbaye de Clairvaux. La « cuvée de Clairvaux » est vendue dans le cadre d’une action de mécénat qui permet à l’Association de participer aux travaux de rénovation.
« Mais il faudra encore de nombreuses années pour que le centre pénitentiaire et la vieille abbaye, chacun dans son pré-carré, puissent occuper ensemble le Val d’Absinthe… » François Leroux-Dhuys.
Renaissance de l’Abbaye de Clairvaux Hostellerie des Dames Clairvaux 10130 abbaye.clairvaux@orange.fr tél. 03 25 27 52 55