Mon nom est Michel Smith et j’ai la chance d’être journaliste spécialisé en vins. D’aucuns me qualifient de critique et je le suis assurément. La saison des dégustations marathons bat son plein. Après le Millésime Bio de Montpellier, après le salon des Vins de Loire à Angers et juste avant Vinitaly à Vérone, il me faut sacrifier au rite annuel et hivernal des dégustations en vue des « spéciaux vins » de fin d’année.
Naguère, lorsque les magazines s’en donnaient les moyens, on allait sur place. C’était génial. On avait le contact direct avec le vigneron, on mettait les pieds dans la vigne. Maintenant, il faut se démerder, faire appel soi-même aux échantillons, gérer les verres, la casse, les cartons, les retards des livreurs et prier Saint Vincent pour que l’on ne soit pas trop envahi de bouteilles. Est-ce mon âge avancé, mais je commence à avoir horreur de ce genre de situation qui dérègle ma petite vie pépère de Parisien exilé dans le Sud profond.
Rendez-vous compte : cela m’oblige à être présent toute la journée pendant une semaine au moins à faire le pied de grue pour recevoir les vins, déballer dans mon réduit du quartier de la gare, au deuxième étage, quantité de cartons blindés de scotch et bourrés de chips, trier les bouteilles et finir par déboucher beaucoup plus de flacons qu’un honnête homme ne saurait boire.
Puis, une fois la première tempête passée (j’en suis là, aujourd’hui), goûter un trop grand nombre de vins, en tout cas beaucoup plus que prévu, se concentrer sur chacun, lui accorder du temps, noter ses impressions de manière claire. Ce n’est pas tout : il faudra ensuite vider les bouteilles dans l’évier, les ranger dans les cartons, les mener à la déchetterie… On ne s’imagine pas la pagaille que cela représente. Sans compter qu’il y a quantité de vins qui agissent tel un marteau piqueur en bouche, de vins fades et sans âme, d’autres bouchonnés ou enrichis en faux goûts…
Mais je ne vais pas pleurer plus longuement. D’autant que j’ai accepté une mission supplémentaire confiée par notre mentor, le Secrétaire Perpétuel Jacques Berthomeau qui souhaite me faire chroniquer un vin. Il pense naïvement que j’ai plus de mots justes que lui pour décrire le jus de la treille alors qu’il le fait si bien depuis des mois. Le pauvre ne sait pas « qu’un vin », pour moi, cela veut dire « plusieurs ».
Bon, j’aurais pu vous sortir trois ou quatre Gaillac, aller du côté de Duras ou de Bergerac dont les flacons attendent sagement dans un coin du bureau, vous parler de mes Jurançon préférés que je viens de re-goûter pour une mission confiée par Cuisine & Vins de France.
J’aurais pu évoquer ce mois d’Avril qui me fait penser à un vin rouge ô combien printanier - vin de table si je me souviens bien - qu’il m’arrivait de goûter jadis au Clos des Papes, à Châteauneuf, dans la cave de Paul Avril. Il me semble qu’il s’appelait le Petit Poisson d’Avril ou quelque chose du même acabit.
Vous parler aussi de ce Vin de Pays d’Oc 2007 que le steward d’Air France m’a servi ce midi sur le vol Paris-Vérone. Il accompagnait un horrible sandwich de dinde et je vous jure qu’il était sacrément bon au point que je l’ai dit au type quand il est passé ramasser les cadavres. Comme pour me remercier du compliment, il m’a fort gentiment tendu une seconde mini-bouteille (187 ml) de ce vin fait par la maison Skalli, ce qui ne me surprend pas d’ailleurs. Content de cette redécouverte, je me suis même promis en mon for intérieur, une fois arrivé à l’Hôtel Leon d’Oro, d’illustrer mon propos avec cette délicieuse petite bouteille qui n’a pourtant rien à voir avec mon sujet.
Mais je m’égare. Revenons donc quelques jours en arrière. Pour toutes les raisons évoquées plus haut, histoire de mettre du baume au cœur, j’ai décidé que ma première série de dégustation serait dédiée à l’Amicale des Buveurs de Vins et qu’elle serait proche de l’idée d’une fête. J’ai donc convié un complice. Emmanuel Cazes, avec qui je partage quelques rangs de Carignan soixant’huitards du côté de Tresserre, lequel a accepté de jouer ce rôle. Fils de Bernard Cazes, lui-même fils de feu Aimé Cazes. Emmanuel est un ami, comme le sont tous les Cazes : ils furent les premiers à m’ouvrir leurs caves dès mon arrivée dans le Roussillon, il y a 20 ans. Des gens biens qui ne disent jamais de mal de leurs voisins et qui sont toujours prêts à rendre service. Emmanuel, qui pourrait être mon fils, participe souvent à mes dégustations m’apportant un éclairage différent, une approche plus moderne du vin. En gros, il est moins chiant que moi et beaucoup plus ouvert. Pour le remercier de son aide, j’avais mis en cocote deux pigeonneaux dodus et parfaitement bardés que j’avais ramené l’an dernier du marché de Libourne et mis en pension au congélateur. Avant cuisson, ils furent dûment truffés de rabasses provençales également congelées, puis posés sur de jeunes poireaux, navets et carottes bio.
Pour les besoins d’un article, le thème de ma dégustation était tout bête : les blancs secs avec un lot conséquent de blancs de Provence, vins dans lesquels le Rolle (ou Vermentino, ou même malvoisie dans certains endroits) avait son mot à dire. Il y avait aussi un petit lot de blancs de Duras pour démarrer. À cause de mes pigeons et des parfums de truffe qui envahissaient la pièce, ce furent les vins de Provence qui tirèrent leurs épingles du jeu. Cinq au total nous régalèrent sur le pigeon, même si nous fûmes d’accords pour convenir qu’un vin de Roussanne, marsanne, grenache blanc et clairette, du style de ceux de la vallée du Rhône, eut été plus approprié, surtout avec quelques années de bouteilles.
Mais passons. Pour rester sur cinq vins, inutile de dire que la sélection a été rude. Elle portait sur une quarantaine de cuvées. Il manquait d’autres domaines, assez réputés, comme le Domaine de Rimaurescq ou encore le Château de Bellet, qui n’ont pas répondu à mes appels à échantillons. Pas de commentaires non plus sur le Domaine Gavoty. En bon pingre, j’ai préféré oublier les quelques flacons que je possède au plus profond de ma cave pour un futur plat de petits rougets, qui sait peut-être un homard. Je considère en effet les blancs de Roselyne Gavoty comme « hors classes » tant ils m’ont prouvé à maintes reprises comme étant capables de tenir bien au-delà de dix ans. Trêve de blabla, je vous livre ici mes commentaires sur les heureux élus de cette amicale matinée de travail.
- Le premier est un quasi pur Rolle (90 %, le solde en clairette) vinifié par une fille, Sophie Cerciello, qui exploite avec son mari, Didier Simonini, le Château Barbanau (www.chateau-barbanau.com) un domaine de 23 ha en bio classé en Côtes de Provence, entre Marseille et Toulon. Leur Clos Val Bruyère, petit bijou hérité de la grand-mère de Sophie, figure déjà au panthéon des plus beaux blancs de Cassis, appellation voisine qui, dans ses décrets, refuse le rolle. J’en reviens donc au Côtes de Provence 2008, assez limpide, marqué au nez par des notes d’ananas et de poire. On le sent droit en bouche, bien décidé, mais fort peu pressé à se livrer, ce qui ne l’empêche pas d’être copieux, épais, frais et persistant. À mettre de côté pour un grand repas. Son prix ? 8 €, comme quoi les meilleurs ne sont pas toujours les plus chers…
- Le second est un Coteaux-d’Aix 2008 issu du décor grandiose des Alpilles. Il s’agit du Mas Sainte-Berthe (www.mas-sainte-berthe.com) où l’on fait aussi un simple mais délicieux Baux en rouge, sorte de provençal aux allures bourguignonnes. Belle attaque pure sur des notes d’agrumes, pamplemousse rose en particulier. Bien sec, un chouïa minéral, dense, ce blanc pas compliqué nous gratifie d’une belle petite longueur. C’est un rolle curieusement associé au sauvignon. Dommage que l’appellation Baux-de-Provence laisse filer son rolle en Coteaux d’Aix, mais cette sorte de « déclassement » nous permet de profiter d’un prix avantageux. À moins de 7 € départ, c’est ce que l’on peut appeler une bonne affaire.
- Vient ensuite La Courtade, joyau bio de l’île de Porquerolles (à visiter) vinifié par un géant Alsacien nommé Richard Auther (www.lacourtade.com) qui fait aussi une jolie huile d’olive pour son patron de propriétaire. L’Alycastre blanc 2008 est un Côtes-de-Provence 100 % rolle très sympathique, génial à boire en plein air, le soir, sur une grillade de poissons ou à l’apéritif. Du dynamisme et des accents de fruits exotiques (mangue) avec une gentille petite longueur. Compter 8 €. Il faut débourser deux fois plus pour une grande cuvée beaucoup plus austère pour le moment, vu qu’elle a bénéficié d’un élevage particulier.
- Du grand style aussi du côté de la famille Combard qui, après une première expérience à Chablis, a repris, depuis 20 ans maintenant, le Domaine Saint-André-de-Figuière qui, déjà dans les années 80, faisait figure de pionnier bio dans le secteur de La Londe-les-Maures (www.figuiere-provence.com). La cuvée « Vieilles Vignes », Côtes de Provence 2008 (8,60 €) aux trois quarts rolle, est la plus réjouissante en dépit de son style assez technique : belle structure minérale, douces notes d’agrumes (mandarine, kumquat) et longueur assurée. Sa grande sœur, « Réserve Delphine » 2007 (près de 10 € de plus) entièrement rolle, affiche quant à elle son élégance et sa fraîcheur rehaussée de citronnelle. On lui réservera les plus grands poissons de Méditerranée cuits au four. Un saint-pierre, par exemple.
- Sur le sol d’origine volcanique du Domaine de Curebéasse, aux portes de Fréjus et de l’Estérel, les Paquette, venus du Jura, ont planté du rolle dès leur arrivée dans les années 50 sans se poser d’autres questions que de faire un bon blanc. Aujourd’hui, leur petit-fils, l’œnologue Jérôme Paquette (www.curbeasse.com), peut faire goûter des bouteilles de pur rolle de plus de 10 ans d’âge sans craindre les critiques, comme ce 1995 au subtiles notes d’épices douces, de miel de fleurs d’oranger et de poire confite. Son « Forum Juli » (il reprend le nom romain de Fréjus), Côtes de Provence 2008 ne dépassant pas 9 € départ cave, est joliment marqué par la fraîcheur et il persiste longuement en bouche pour finir en beauté au fond du palais. Je le sens bien sur une poularde.
Voir la charte de l'Amicele des Bons Vivants à la rubrique PAGES (en haut à droite du blog) N°48.
RENSEIGNEMENTS auprès de Jacques Berthomeau www.berthomeau.com et jberthomeau@hotmail.com
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