Dans une récente chronique, en citant le sociologue Gérard Mermet, je m’inquiétais de l’émergence dans notre pays d’une société « sans contact » qui cultive ses peurs, se recroqueville, se stérilise, pour tenter de vous convaincre que le meilleur antidote à la phobie du risque était l’investissement dans le « bien-vivre ».
Mon initiative : la création d’un réseau citoyen avec l’Amical des Bons Vivants a rencontré l’enthousiasme de beaucoup d’entre vous, mais aussi à l’indifférence narquoise de la minorité des revenus de tout, de ceux qui ont autre chose à faire, beaucoup mieux à faire car, eux, ils travaillent, le nez dans le guidon, et qu’ils n’ont pas, bien sûr, de temps à perdre avec les gamineries d’un gugusse comme moi. Après tout rien de plus normal, se plaindre de ses dirigeants professionnels ou politiques, pester contre leurs décisions ou leurs non décisions, est un sport national que pratiquent avec délectation ceux qui se tiennent loin de tout engagement collectif. Reste une dernière catégorie, plus inquiétante, assise entre deux chaises, qui ne souhaite se mettre personne à dos, qui a pour devise vivons heureux vivons cachés, qui a peur des mots et qui se réfugie derrière le parler « socialement correct » qui va si bien avec une société incolore, inodore et sans saveur.
En contestant le langage dominant je m’expose à la réprobation de la majorité silencieuse car je dérange. En débusquant sous les mots « consensuels » leur part de non-dit je lève des lièvres qui cassent le consensus mou si propice à la conduite du troupeau. J’assume et je m’explique…
Prôner la modération c’est vouloir faire de nous des individus éloignés de tous les excès, but certes louable mais qui comporte sa part de risque : celui de l’affadissement de la vie. En effet qu’est-ce donc qu’un « modéré » ? Un individu qui, en permanence, préfère le un tout petit peu, se bride, se contraint, se retient, craint la spontanéité, calcule, arrondi les angles, fuit donc toute forme d’aspérités, compose en permanence, cherche toujours à se situer dans un inatteignable juste milieu, adore par-dessus tout le consensus mou. « Si le sel s’affadit avec quoi le salera-t-on ? » Pour autant je ne prône pas l’excès, les excès de vitesse, de table, de langage, mais je souhaite que, dans nos sociétés soi-disant encadrées, la porte reste ouverte à l’expérience, à l’apprentissage de la vie, à l’enthousiasme de la jeunesse, aux échappées belles, aux coups de cœurs, aux passions…
Peut-on aimer avec modération ?
Non ! Vivre une passion, amoureuse ou non, être sur son petit nuage, c’est prendre le risque d’en tomber, mais c’est le charme de la vie, ses joies ses peines. Dans notre sphère privée, qui se rétrécit de jour en jour, assumer notre part de risque c’est rester en capacité de choisir sa ligne de vie personnelle. Ce choix individuel ne débouche en rien sur l’individualisme, bien au contraire, avoir main sur sa vie personnelle, la gouverner autant que faire ce peu, reste une bonne école de la citoyenneté. L’excès est privatif de liberté, il débouche sur « la dictature » des purs et durs. La modération nous annhile alors, que faire ? Faut-il comme le clamait Vergniaud, le girondin, à la tribune de la Convention en 1793, « si, sous prétexte de révolution, il faut, pour être patriote, se déclarer le protecteur du meurtre et du brigandage, je suis modéré ! » être un modéré ? Je veux bien le concéder, mais sans grand enthousiasme, pour la bonne cause, face aux ayatollahs de l’hygiénisme et aux prohibitionnistes : « je suis un modéré ! » mais avec beaucoup de modération.
Pour la tolérance je ne vais pas vous faire le coup de la citation apocryphe de Clémenceau – c’est en réalité du Paul Claudel – « il y a des maisons pour ça » mais simplement noter que « tolérer » quelqu’un, ses idées ou son comportement ne me semble pas une fin en soi, le seul chemin vers meilleur des mondes. Pour preuve la tolérance zéro. Bien évidemment, face aux intolérances de tout poil, être tolérant constitue un progrès dans le vivre ensemble que je ne conteste pas. Mais, ça sent quand même le cantonnement, la mise en lisière, avec ou sans fil de fer barbelés, le « je te concède une petite place à condition que tu ne ramènes pas trop ta fraise et que tu ne contestes pas le discours « socialement correct ».
Sans vouloir noircir le tableau, c’est la stratégie choisie et appliquée par les tenants d’une Santé Publique sous contrôle exclusif de la caste médicalo-scientifique. Ils nous tolèrent, comme on tolère les petites bestioles dans une maison de campagne, parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, mais ils ne ratent aucune occasion pour proclamer que nos comportements déviants sont nuisibles à la bonne marche de la société. Pour bien le montrer, ils sortent, à intervalles réguliers, des chiffons rouges, les agitent sous notre nez pour nous faire réagir, suréagir, foncer tête baissée sur la muleta. Ainsi ils entretiennent auprès d’une frange majoritaire de l’opinion publique, la fiction d’un puissant lobby viticole, d’une piétaille irresponsable qui sacrifie la santé publique à ses bas intérêts mercantis. Et pourtant nous sommes minoritaires. Minoritaires en nombre bien sûr, mais surtout minoritaires dans nos têtes. Nous nous comportons en minorité agressée, sur le reculoir, sur la défensive, balkanisée, sans volonté d’union autour des causes communes. Silence : on plante !
Sans grande illusion sur la portée de mes plaidoiries répétitives j’entends le silence de ceux qui pensent tout bas ce qu’ils n’osent exprimer tout haut: il radote, laissons le radoter : plantons ! Après tout les planteurs ont sans doute raison. Je suis même prêt à convenir que la primauté du faire sur le dire cloue le bec au semeur d’idées que je suis. Simplement, merci de ne pas venir me dire dans quelque temps, la main sur le cœur, l’air contrit, qu’en d’autres temps « j’avais raison, que j’avais raison trop tôt… » Ça me fait une belle jambe et, d’ailleurs, avais-je raison ? Je n’en sais fichtre rien mais ce dont je suis sûr c’est de n’avoir rien lu, rien vu qui puisse ressembler à des choix, à des propositions d’action. Je comprends les planteurs, ils plantent, ils font leur métier. En revanche, je reste de marbre face à ceux qui occupent des positions de décideurs et qui cultivent le statu-quo. Je n’en suis plus et j’en suis bien aise. En revanche, face à la montée d’une société qui se dit propre sur elle mais sans chaleur, je persiste et je signe pour promouvoir le « bien vivre ».
Quand oserons-nous prendre la parole sans modération, sans nous excuser, sans qu’on nous tolère ?
Au risque de vous choquer encore – l’idée ne vient pas de moi mais d’un membre de l’Amicale des Bons Vivants – à l’image de la Gay Pride, expression outrée d’une minorité active, oserons-nous faire la fête à Paris, Londres, New-York, pour fêter le Vin ?
N’en déplaise aux « on ne peut rien faire » l’idée d’un grand pique-nique convivial vignerons-urbains ou, comme l’avaient fait les Jeunes Agriculteurs avec le blé sur les Champs Élysées, la grande table du bien-vivre sur cette belle avenue, n’a rien de farfelue, ni d’irréaliste.
Pour tous ceux qui baissent les bras avant même de les avoir levés un chiffre : il y a 20 ans, pour la première édition de Toques&Clochers, à Malras, 334 âmes, il y eut tout juste 300 visiteurs, le 4 avril prochain dans ce même petit village, ils seront proche des 50 000. Quand j’étais petit les vieux me disaient « impossible n’est pas français » Mes amis de Sieur d’Arques à Limoux, ont plantés de nouvelles vignes : le Chardonnay par exemple, mais ils ont aussi semés et crus en leurs idées de porter le tonneau de Chardonnay au plus haut, de faire la fête, de glorifier la gastronomie, d’avoir les pieds dans le terroir et la tête dans les étoiles, pourquoi diable ce qui est possible aux portes de la Haute-Vallée de l’Aude, dans cette petite ville de Limoux où, dit-ont, naquirent les premières bulles, celles de la Blanquette, ne le serait-il pas pour la communauté des femmes et des hommes du vin de notre vieux pays ? J’attends avec impatience les plaidoiries de la défense et, plus encore, vos adhésions à l’Amicale des Bons Vivants.