Cher Guillaume,
Le temps des voyages, des excursions, des balades a-t-il définitivement laissé la place à celui des migrations, celles des fins de semaine, celles des grandes et petites vacances : les fameux chassés-croisés, celles des charters, où, en cohortes serrées, pressées, plus personne ne prend le temps de se poser, de se restaurer ? Alors, dans tous les lieux drainant les grands flux : les gares, les aires d’autoroute et les aéroports, les points de restauration, à quelques rares exceptions, s’apparentent à des boui-bouis, chers, malpropres, proposant le plus souvent une nourriture indigne que même un quelconque Mac Do n’oserait pas servir. Sous le prétexte, souvent justifié, que les voyageurs ne sont qu’en transit, qu’ils ne viennent pas dans ces lieux pour le bien manger, que c’est dans tous les pays pareil, le traitement qu’on nous inflige donne de notre beau pays, qui se vante d’être celui de la bonne chère, une image déplorable.
Nous qui adorons tant les exceptions, la culturelle surtout, pourquoi – restons modeste laissons de côté les aires d’autoroute, qui me semblent incurables, et les aéroports qui eux ne sont plus que des hubs – ne changerions-nous pas cet état de fait, dans quelques-unes de nos gares emblématiques, des très anciennes si belles comme des nouvelles, ces cathédrales tégévesques labellisées QF, au nom de l’attractivité de la France. Il me semble que ce serait bien plus utile, pour l’image de la France de la bonne chère et du bien boire, que de revendiquer auprès de l’Unesco l’inscription de la Gastronomie française au patrimoine de l’humanité. Vaste programme, belle ambition, mon cher Guillaume, qui ne sauraient buter sur des objections du type : la SNCF a d’autres chats à fouetter que de s’occuper de toutes ces broutilles qui ne sont que des services concédés ou que l’heure n’est pas aux opérations de prestige… car, je te rassure, cher Président du Chemin de Fer Français, dans mon esprit il ne s’agit pas de faire dans le somptuaire – des petits « Train Bleu » en tout lieu – mais de retrouver l’esprit des pionniers des gares et de buffets, d’apporter un plus au service ferroviaire dans la compétition européenne qui s’ouvre. Alors, parlons-en cher Guillaume, réinventons le buffet de gare du XXIe siècle et, peut-être que nous en exporterons le concept.
Afin de te mettre l’eau à la bouche, toi qui es aussi un fin lettré, permets-moi de citer un extrait d’une lettre, qu’Henry James envoyait, le 9 avril 1876, au journal new-yorkais Tribune, dont il était le correspondant, où il dit tout le plaisir que lui a procuré sa halte au buffet de la gare Montparnasse : « J’ai presque honte de dire à quel moment mon amusement commença. Il commença, je pense, dès que je hélai une petite voiture ouverte sur le boulevard et me fis conduire à la gare de l’Ouest – sur l’autre rive, en remontant la rue Bonaparte, d’estudiantine mémoire, puis la rue de Rennes, longue et rectiligne, jusqu’au boulevard Montparnasse. Naturellement, à ce compte-là, avant même que j’eusse atteint Chartres – le trajet dure environ deux heures – j’avais presque vidé la coupe du plaisir. Mais elle s’emplit de nouveau à la gare, au buffet, à l’aide d’une excellente bouteille de vin, que je bus à mon déjeuner. Là, soit dit en passant, se trouve une parfaite excuse pour être ravi par toute une journée d’excursion en France – où que vous soyez, vous pouvez faire un bon déjeuner. Il se peut, certes, qu’il n’y ait pas de buffet, si la gare est très petite ; mais s’il y a un buffet, vous pouvez être sûr que la civilisation – en les personnes d’une sympathique jeune femme vêtue d’une robe noire seyante, et d’un serveur rapide, zélé et reconnaissant – y préside * »
Sillonnant la France des terroirs, des coteaux, des domaines, des châteaux aussi, des climats et des crus, petits et grands, je suis un grand voyageur habitué de tes lignes mon cher Guillaume et, comme nous sommes au début d’une année qui s’annonce difficile, et que c’est le temps des vœux et des souhaits, permets-moi d’insister sur « le plaisir simple », évoqué par Henry James dans son courrier, que pourrait à nouveau procurer ce lieu d’un nouveau type que sera le buffet des gares du XXIe siècle que nous allons inventer : un atelier du voyage et de la découverte ou de la redécouverte de notre bien manger simple et généreux… Même si, dans ta grande maison d’ingénieurs, on va me prendre pour un farfelu ou un doux rêveur, j’assume auprès de toi qui fus, 127 rue de Grenelle, mon collègue alors que je logeais au 78 rue de Varenne, le caractère iconoclaste de ma proposition. Quel que soit son devenir, plus que quiconque tu sais que « le chemin de fer » a, depuis ses origines, joué un rôle éminent dans « la sainte alliance » entre le tourisme et la gastronomie, alors en ces temps de crise cultiver nos atouts ne peut que nous redonner de l’élan, le moral comme on dit.
Dans l’espoir de te lire, avec mon amical souvenir.
Jacques B.
* Henry James, Esquisses parisiennes éditions de la Différence, 1994, p.140-141.
Chers lecteurs de Bordeaux et de sa belle région,
Le 13 janvier à 20 h 30 j’animerai en compagnie de : Erik Thévenod-Mottet (Agridea, Suisse), Filippo Randelli, économiste à Florence et Raphaël Schirmer (Bordeaux 3 MA géographe) :
Un café géo qui aura lieu au Café Castan, 2 quai de la Douane (juste à côté de la place de la Bourse, arrêt de tramway du même nom).
Le thème : "Le vin au XXIe siècle, regards sur la modernité (Suisse, Italie, France)"
Au plaisir de vous voir. Amenez vos amis, vos copines, votre chef, votre belle-mère, qui vous voulez de toute façon nous lèverons nos verres et nous referons le monde...