C'est la suite d'hier, toujours aussi "politiquement incorrecte" en effet, dans son « Petit Manuel du Parfait Suicidé », Jean Bruller dit Vercors écrit : « Le suicide est l’acte qui consiste à se donner la mort de sa propre main. Il est généralement mal jugé, et l’opprobre qui s’attache au nom du suicidé s’étend jusque sur sa famille. Je ne connais point de préjugé à la fois aussi stupide, néfaste et malsain. Aussi ai-je résolu de consacrer ma vie à combattre et à le vaincre, et ce livre est le résultat de mes recherches et de mes travaux. Il tombera sur le monde comme un roc dans l’eau dormante, et je ne doute pas que les ondes ne s’en propagent jusque dans les plus lointaines contrées.
Mon but n’est pas de réhabiliter le suicide*. Ma tâche est plus haute, et d’une portée autrement étendue. Je n’ai pas consumé une vie entière en d’ingrates compilations pour obtenir seulement qu’on laissât les suicidés tranquilles. Le rêve que je poursuis est plus absolu : je voudrais que la lecture de mon livre fît admettre à la Société que l’anormal est, non point qu’on se suicide, mais bien qu’on ne se suicide pas.
Il est peu de personnes qui ne regrettent de n’avoir pu choisir le lieu, l’époque et les circonstances de leur naissance. Or, il a été donné à l’homme de pouvoir mourir, s’il le veut, quand il lui plaît, et comme il lui plaît. Or, loin de profiter d’un avantage aussi merveilleux, non content de laisser, par une surprenante paresse, le hasard se substituer à sa volonté, il dit des sages qui osent attenter à leur vie qu’ils sont fous, et les accablent de son mépris. Cela dépasse l’esprit ! Conçoit-on un dîneur qui, après avoir soigneusement composé le détail de son menu, confierait le choix de l’entremets et le moment de le servir au goût de son cuisinier ? Cela semblerait extravagant. »
* L’auteur serait d’ailleurs bien tard venu. Il y a beau temps que les stoïciens, Zénon et Chrysippe en tête, en avaient fait une vertu (N.de.É.).
16ième recette : du suicide par excès hydraulique
« Cette forme de suicide, inspirée d’un supplice fameux de l’Inquisition, n’est plus guère employée. Elle ne manque point pourtant de caractère, et mérite un meilleur sort. Très favorable aux hydropiques, qui n’auront que quelques gouttes à absorber pour obtenir l’effet désiré, très plaisant pendant les rigueurs de la canicule où l’on ne saurait manquer d’apprécier l’agrément d’un tel trépas, très attrayant en tout temps pour les amateurs de bon vin qui pourront remplacer l’eau par le produit d’un cru renommé, cette méthode regorge d’attraits qui me font espérer qu’elle rencontrera, à l’avenir, les nombreux adeptes sur lesquels ses qualités lui donnent droit de compter. »
Commentaire de l’auteur (lors de la réédition en 1977 par Tchou)
« Hélas, cinquante années d’observation n’ont pas permis à l’auteur, si incroyable que cela paraisse, de constater le plus humble succès de cette méthode pourtant exquise, et en laquelle il mettait ses plus grands espoirs. Les statistiques, de plus en plus sûres n’ont toujours pu signaler aucun suicide par ce moyen et ce dans aucun suicide recensé comme tel : car si l’excès de boisson a souvent causé des morts, il n’est pas prouvé que celles-ci fussent volontaires) ; et de leur côté les sondages d’opinion, qui n’existaient pas encore en 1926, ne révèlent aucun goût de la population à recourir à cette méthode. Pénible déchéance, si l’on pense en quel honneur ce procédé é été tenu non seulement au Moyen Age mais, depuis, par diverses polices. C’est pourquoi, sans nous décourager, nous persistons à le faire figurer dans cet ouvrage, dans l’espoir qu’il finira par convaincre les hésitants. »