Le thème de cette chronique m’a été inspiré par la mésaventure vécue par Jean-Baptiste Senat, telle que l’a contée Laurent Bazin sur son blog Le vin de mes amis
http://levindemesamis.blogspot.com/2008/12/quand-la-belle province-fait-la.html, qui a vu sa Nine échouer aux portes de la SAQ, en dépit d’une excellente notation et d’un très bon rapport qualité/prix, et ce pour insuffisance de notoriété. En effet, comment faire pour percer dans un univers qui privilégie les situations acquises, comme celles des GCC qui vendent du luxe, du statut avant de vendre du vin, ou comme celles des vignerons stars qui vendent des mots avant de vendre leur vin, ou qui s’en remet le plus souvent à ceux qui sont en capacité d’aligner des budgets de promotion permettant de mettre en avant les vins auprès des consommateurs ? Efficacité commerciale avant tout : les distributeurs de vin ne sont pas des mécènes.
Pour autant faut-il tout sacrifier pour entrer dans le système médiatique qui permet de capitaliser de la notoriété par le truchement de la presse spécialisée, des faiseurs de roi ou des juges aux élégances ? « Mais alors ce n'est plus la bouteille qu'on juge... C'est l'attachée de presse ? » s’interroge le chroniqueur en traduisant sûrement le désappointement de JB Senat. L’attachée de presse – je note le féminin utilisé, c’est symptomatique – serait-elle le vecteur essentiel pour placer sa cuvée fétiche dans Régal ou dans un new-magasine ou pour séduire les préposés aux Guides ? La notoriété se bâtit-elle sur le seul bruit du tambour médiatique ? La réponse est bien évidemment non car dans cet univers de l’instantanéité, du scoop, de la fausse différence, une nouvelle « découverte » chasse très vite « la petite merveille » dénichée la veille chez un small is beautiful du fin fond du terroir. Le nouveau vieilli vite aussi bien pour les produits de pur marketing que pour ceux surfant sur des tendances pas toujours solides.
Sans m’en référer à l’histoire des 3 petits cochons, je pense que pour bâtir il faut des fondations, du solide, et du temps, donc une forme de patience. C’est de l’investissement d’image, et comme je l’ai écrit dans une récente chronique, l’irruption d’une nouvelle génération de vignerons « atypiques », se référant à des pratiques « durables », met en orbite sur le marché une nébuleuse de points, à la fois indépendants les uns des autres tout en gravitant autour d’un corps de doctrine commun, sans pour autant produire un langage commun ni dessiner une nouvelle géographie des vins de terroir. Trop de fragmentation, de personnalités fortes, de singularité identitaire, implique des démarches solitaires. Le potentiel actuel des consommateurs se reconnaissant dans ces « pratiques » étant restreint – le bruit médiatique n’étant pas un indice probant de la capacité de ces vins à trouver leur public – ce segment de marché reste marginal et la frilosité des distributeurs peut se comprendre. En effet, comme me le faisait remarquer le patron du principal site de vente de vins en ligne : mettre en avant des « valeurs sûres » c’est la garantie d’un taux de visite 10 fois plus important que lorsqu’on se risque à mettre en avant des « découvertes ».
Pour sortir du cercle, se faire reconnaître de façon durable, plus particulièrement en dehors du marché domestique, tout en restant attaché à ses valeurs, à son indépendance, sans sacrifier au maelstrom médiatique, il me semble que nos « indépendants », au sens des peintres du Salon des Indépendants, devraient tenter de susciter l’émergence d’un nouveau métier : éditeur de vin. Je n’aurais pas ici l’outrecuidance de rappeler le rôle de l’éditeur auprès des écrivains mais de souligner que l’une de ses fonctions essentielles est de découvrir de nouveaux talents, de prendre le risque de les éditer, de les promouvoir. Dans le passé des négociants, de grandes ou de petites maisons de commerce, ont joué, et quelques-uns jouent encore, à leur manière, ce rôle d’éditeur auprès de domaines ou de châteaux. Pourquoi ne pas imaginer – ça ne mange pas de pain d’imaginer – que nos « atypiques » puissent confier, pour certains pays, tout ou partie de leurs enfants à des « éditeurs de vin » afin de construire avec eux cette fameuse notoriété. Celle-ci, une fois acquise, même si en ce domaine rien n’est jamais acquis, quelques-uns pourront ou voudront voler de leurs propres ailes, d’autres viendront les remplacer. Je rêve direz-vous – c’est beau aussi de rêver – mais comme je ne recule devant aucune provocation j’avoue que je me verrais assez bien dans ce rôle d’éditeur de vin, appuyé bien sûr, vu mon incompétence, sur un comité de lecture – pardon de dégustation – dans le giron d’une maison de confiance.
Ainsi, Vin&Cie pourrait lancer des collections par thème, jaquette commune avec en reprise sur cette étiquette de l’identité de la cuvée de l’indépendant sous la forme toute bête d’un timbre ou d’une miniature de l’étiquette de la cuvée originale. Innovation d’image identifiant une démarche commune, un état d’esprit, un fil rouge pour tous ceux qui ne sont pas des experts ou des esthètes du vin. Mariage intelligent, du moins je le crois, d’un découvreur de talents qui, en s’appuyant sur des outils commerciaux existants, pourrait ouvrir des portes, apporter sa caution aux nouveaux arrivants, investir dans le temps sous la référence d’une signature reconnue et respectée. Plutôt que de s’éditer à compte d’auteur, de n’espérer que de ses propres forces pour bâtir sa notoriété, je suis intiment persuadé que pour beaucoup de vignerons atypiques le passage par un éditeur de vins, assembleur de diversité, inventeur de notoriété, est une voie à expérimenter : faire un Actes Sud du vin quel beau challenge !