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20 novembre 2008 4 20 /11 /novembre /2008 00:03

Claire Naudin-Ferrand je l’ai découverte, le 24 juin après-midi, à la tribune de l’AG du BIVB, où elle prenait la parole en tant que présidente du SAQ au cours du débat  « Agrément, typicité et marchés » judicieusement organisé par PH Gagey en présence d’Yves Bénard, le président du CN Vins et Eaux-de-vie de l'INAO. Les propos de Christelle Mercier de l'INAO sur la définition de la typicité venaient de me plonger dans un état d’attrition profond. Ébranlé donc, partagé entre l’effroi et la colère face à ce gloubiboulga de pseudoscience – j’ai subi lorsque j’étais président du Calvados le dénommé  Jean Salette, père de la typicité  directeur de recherches émérite de l’INRA et membre de l’Académie d’Agriculture de France qui se targue d’être le spécialiste des relations entre les terroirs et les produits et qui joue les consultants dans le domaine des produits de terroirs et des appellations d’origine. Dieu nous garde des consultants de cet acabit – je regrettais le temps où mes fonctions me permettaient de donner le signal de la fin de la récréation. Je m’attendais donc à un gentil discours de présidente. Elle le fit et puis, avec conviction et finesse, ce furent : « des paroles simples d’une vigneronne sur la typicité » : une chronique donc, vous pouvez vous y reporter  link

  

Mais, comme les AG ne sont pas les lieux privilégiés de l’échange je m’étais promis, lors d’un de mes déplacements en Bourgogne de revoir Claire Naudin-Ferrand. Mes complices bourguignons réglèrent aisément cette question. Au sortir de chez Alain Hasard, avec notre heure de retard, cap sur le nord de la Côte de Beaune où nous sommes attendus pour déjeuner par Claire Naudin-Ferrand et Jean-Yves Bizot à Vosne-Romanée. Claire est descendue de ses « Hautes Côtes ». Elle me présente Jean-Yves Bizot et, en bout table, Hadrien 6 ans 1/2, qui vient de commencer de déjeuner car lui « il a école ». L’accueil simple, chaleureux, sans façon comme aurait dit maman, fait que l’on s’assied à la table du quotidien, bien mise, avec grand plaisir et l’envie de converser. On sent d’emblée que l’histoire de Claire et de sa famille est « viscéralement » liée à celle des « Hautes Côtes ». En effet, le domaine Naudin-Ferrand est situé à Magny-lès-Villers qui se trouve sur la frontière entre les deux appellations, Bourgogne Hautes-Côtes de Beaune et Bourgogne Hautes-Côtes de Nuits. Il s’est développé suite à la naissance, en 1961, de cette appellation. Avec notre salade de mâche, la pintade, les fromages et la tarte, nous buvons – j’ai bien écrit buvons et non dégustons, nous sommes à table, pas en représentation - justement un Hautes-Côtes de Beaune (orchis masculata) Vin élégant, raffiné même, qui vous caresse la bouche, lui donne un goût de fruit discret et léger mais persistant comme lorsque vous allez vous-même cueillir une baie aux premières lueurs de l’aurore et que vous la croquez. Sans doute que je vais mal l’exprimer mais ce fruit on le sent nature, il s’exprime dans sa fraîcheur sans les artifices d’une extraction violente. 


Ce "Hautes Côtes" plaît aux consommateurs, j’en suis un, mais il n’entre pas vraiment dans le profil de ces messieurs les agréeurs. Nous y revoilà : « typicité, vous avez dit typicité… », et comme Claire nous a parlé au cours du repas de ses capsules « timbre bleu » qui vont lui permettre de commercialiser son 1er vin de table blanc : A… Naudin 007 je ne résiste pas au plaisir de vous dévoiler « Les confidences » de Claire. Pas celles qu’elle m’aurait faites au cours de notre repas mais celles qu’elle livre sur son site.  www.naudin-ferrand.com car pour moi elles résument bien sa démarche et ses interrogations.


« M
ais d’où vient-il ce vin ? A la base, il y a une petite vigne plantée en cépage aligoté, en 1902, donc par mon arrière grand père. Depuis plusieurs années, je rêvais d’en vinifier le raisin séparément, et d’une façon bien particulière, de le presser en raisin entier, sans apport de sulfites. Je voulais le travailler comme mes ancêtres… J’avais l’impression que cela m’apprendrait beaucoup, une intuition très forte, qui s'imposait à moi…

En 2007, année pourtant un peu difficile d’un point de vue météorologique, je me sens prête, je me lance. La vendange est rentrée à 11°2 d’alcool potentiel naturel, et là mon intuition me dit de ne pas y toucher : non seulement il n’y aura pas de sulfites, mais pas non plus de sucre ajouté, ni bien sûr de levures, d’enzymes, de bentonite (argile qui sert à clarifier le vin)…

Rien que du raisin !  Et tout se passe bien... J’envisage donc assez vite une mise en bouteille sans filtration, par gravité, avec juste un petit apport de sulfites afin de stabiliser le vin et de lui permettre de voyager un peu, si besoin !

Á la dégustation il ne ressemble pas vraiment à l’appellation qui devrait lui correspondre : plus aromatique, plus complexe, avec des nuances inhabituelles... En outre, sa vinification particulière fait qu’il n’est pas tout à fait « dans le schéma type », qui vient d’être redéfini par la réforme de l’agrément.  En effet, après questions aux organismes responsables, il apparaît :

  • Qu’il est de bon ton de filtrer les vins (en tous cas un dépôt, même naturel, même s’il n’est aucunement amer ni désagréable au goût, est considéré comme un défaut)…
  • Qu’il est bien vu de sulfiter les vins à des niveaux élevés (même si la loi fixe des valeurs maximums, non pas des valeurs planchers)… Par exemple, là où je me contente de 50 mg par litre de dioxyde de soufre, certains exigent plus de 100 mg/l…
  • Qu’il n’est pas prévu une expression aromatique aussi exubérante, même si elle est le fait d’un terroir, d’un raisin issu d’une très vieille vigne, d’une vinification peu interventionniste, c'est-à-dire de facteurs inhérents à l’appellation…

Alors, analysant cette situation, considérant que ce vin n’est pas chaptalisé, je décide de le porter sur ma déclaration de récolte sans son appellation, et de le vendre vin de table. En effet :

  • d’une part je ne prendrai pas le risque de me voir mal noter par un collège de dégustateurs qui n’admet aucune déviation par rapport au « vin type », ou du moins à l’idée qu’ils s’en font.  C’est toujours assez difficile d’accepter ce type de critiques, à l’emporte pièce, et de devoir se justifier sur sa façon de travailler, lorsque justement on a tout fait depuis plus de 16 ans pour aller dans le sens de ce que l’on considère être la qualité du vin justement :
    • baisse des rendements
    • amélioration du palissage
    • amélioration de la maturité et de l’état sanitaire des raisins
    • tri draconien lorsque ce n’est pas suffisant
    • suppression des manipulations inutiles ou irrespectueuses du terroir...
  • d’autre part, je m’ouvre un champ de liberté énorme, d’un point de vue commercial, car ce vin ne sera plus emprisonné dans une « petite » appellation.  Le « Bourgogne aligoté » est sans cesse davantage tiré vers le bas, galvaudé voire même méprisé par nombre de collègues qui ont oublié à quel point il pouvait pourtant procurer du plaisir…

Au contraire, je souhaite tirer ce vin vers le haut pour aller au-delà de ce que l’appellation m’aurait permis. D’ailleurs les premiers commentaires de dégustation montrent à quel point ce vin surprend positivement !

Et j’avoue que je suis bien tentée de reproduire cette démarche en 2008, si les conditions climatiques me le permettent. En effet, les cuvées Clou 34, Omayga, Orchis et Bellis peuvent se retrouver demain en difficulté, lors de l’agrément, car elles ne sont pas «dans le moule».  Vous êtes cependant nombreux à me manifester votre satisfaction sur ces cuvées, vinifiées d’une façon bien particulière…  Et personnellement elles me font aimer mon métier : elles exigent une immense rigueur technique, tant aux vignes qu’en cave, et elles me procurent un immense plaisir des sens : complexité, saveur, émotion, tout y est !

Une fois encore je le dis, je rêve d’AOC où cohabiteraient des vins aux multiples faciès, pour votre plus grande satisfaction. J’ai passé des heures et des heures en réunions, pour défendre ce point de vue. Mais je crains de ne pas faire le poids…

Alors l’année prochaine, peut-être la liste des vins de table du domaine Naudin se sera t’elle un peu allongée. Alors ne pensez pas « Claire a échoué, elle a perdu l’appellation »…Dites-vous plutôt qu'elle exprime ainsi sa liberté et son esprit d’indépendance, par amour de son métier ! »

Claire Naudin
15 septembre 2008

 

Merci Claire pour tout, l’excellent repas d’abord, mais aussi et surtout ce qui précède : comme vous je rêve d’AOC aux multiples faciès ; comme vous je crois aux espaces de liberté où l’on revisite la tradition de ses aïeux, où l’on suit ses intuitions, où l’on prend des risques ; comme vous je suis persuadé qu’il faut emprunter des chemins difficiles même si être border line n’est pas du goût de tout le monde. Alors, pour conclure et vous encourager à persister dans votre démarche je vous retourne le compliment que m’a fait parvenir Yves Legrand du Chemin des Vignes « Bravo pour cet "arche de Noé" que représente ton blog qui nous aide à ramer. Mais comme le dit le proverbe africain : "ceux qui nagent dans le sens du courant, font rigoler les crocodiles".

Affaire à suivre dans une prochaine chronique sur mes Riches Heures en Bourgogne...

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commentaires

M
Le vin de Claire est une pure merveille de .....typicité de grand et vrai pinot noir. Le refus de ce vin aux dégustations d'agrément est hélas le signe de l'analphabétisation galopante du monde des techniciens du vin! Je fais des voeux pour que ICON qui est désormais en charge de l'agrément ne ressemble pas trop à ses trois dernières lettres....<br /> <br /> Michel Bettane
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M
Libre Claire ! La Dame des Hautes Côtes a encore montré son indépendance. Elle devrait inspirer tous les jeunes - et moins jeunes - Vignerons de la terre !
Répondre

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