L’art du détournement, à la Magritte, « ceci n’est pas une pipe », forme de bras d’honneur aux conventions de l’art officiel, la magie du contre-pied à la Garrincha, geste inné qui ravale au rang de besogneux le commun des autres joueurs, toutes les formes de transgression des règles, surtout si elles ne sont pas que des provocations gratuites, m’attirent. M’enchantent même. Me remettent à ma juste place. Aller par-delà le lac du miroir, se mettre en danger, explorer des territoires vierges, suivre ses intuitions, défricher les marges sans se marginaliser, inventer n’est pas à la portée du premier venu. Dans le monde de la vigne et du vin débusquer ces oiseaux rares n’est pas aisé car lorsqu’on va au-delà l’imposture du discours des stars, « on ne fait pas le vin avec des mots », d’une certaine exploitation médiatique de la position d’exclu, il est fréquent de se heurter au peu de goût pour la publicité de ces originaux. Alors, pour les atteindre, il faut recourir à des subterfuges, venir les mains dans les poches, comme ça, sans cahiers, ni micros, accompagné d’un contact, pour papoter, « bonjour j’ai aperçu de la lumière, et je me suis permis d’entrer… » Je pousse un peu mais, en général, c’est la bonne méthode pour aborder l’oiseau rare.
J’adore me faire conduire. Cet après-midi là le ciel inquiétait affichant de lourds bubons, bas et charbonneux. Mon guide, qui ne se prénommait pas Nathalie, au volant de son 4x4 agricole, après nous avoir fait traverser une cotriade de zones pavillonnaires, virait pour aborder un chemin de terre s’enfonçant dans la garrigue. Loin de l’imagerie des vignobles bien léchés environnant des bastides, des mas ou parfois des châteaux, le paysage évoquait le pastoralisme d’antan. Tel était donc le lieu où le père de Paul – c’est le prénom de notre vigneron – débarquant d’Algérie, s’installait pour élever des moutons. C’est un lieu de bout du monde, une enclave de solitude, de ce genre de beauté qui plaît tant aux esthètes urbains qui n’ont qu’une hâte : revenir bien vite dans le cocon douillet d’un bar de grand hôtel pour en parler. Quel mouche a donc piqué le père de Paul, Alain, de créer de toute pièce un vignoble de12 ha à 150 mètres d'altitude sur ces terres arides, avec bien sûr des rendements très bas et de ne choisir que des cépages blancs ? Je ne lui ai pas posé la question mais, dans l’espace de temps que j’ai passé sur les hautes terres de Camberousse, j’y vois un désir intime, à la fois atavique – Alain est fils de viticulteur – et pionnier, de défricher, de se réapproprier toutes les facettes du beau métier de vigneron en n’empruntant pas les chemins ordinaires. Mais ce souci de singularité, le lieu, la bergerie : haut et vaste hangar ouvert à tous les vents transformé en lieu de vinification et de stockage, le choix des cépages blancs, la patience et l’opiniâtreté de la démarche à contre-courant, ne s’est pas traduit par un isolement hautain : Alain Reder a été un membre actif du Syndicat des Coteaux-du-Languedoc et Paul est aussi partie prenante de la nouvelle ODG.
Paul Reder arrive en compagnie de son chien. Ma mère aurait dit « quel bel homme ! » Le regard est franc, la poignée de main ferme, et, moi qui suis attentif à l’allure des hommes, je ressens de suite chez lui, sous sa réserve naturelle, la tranquille assurance d’un garçon de son temps qui assume l’histoire et la singularité de ce lieu étrange. Il n’a pas de paille dans ses sabots, il porte des Timberland. Nous goûtons l’une des cuves de ce qui deviendra après assemblage, le Roucaillat, la cuvée « star » du domaine, le 2007 d’abord puis le 2006, les préleveurs de l’OI sont passés il y a quelque temps, c’est la nouvelle procédure, nous en discutons. Je dois avouer, qu’il me semble, dans cette nouvelle vertu, le défaut bien français d’une rationalité appliquée à tous ne permettra pas d’éradiquer en priorité les agréments sociaux. Le vieil adage « qui trop embrasse mal étreint » profitera aux traînards et nuira aux atypiques. Nous dégustons ensuite un Roucaillat 2005. Comme l’écrit sur le blog Vino gusto chris 69, que voilà un vin étonnant, une vraie découverte. Moi qui n’ai ni le nez de Jacques Dupont, ni l’expertise de Bettane&Desseauve, j’ose écrire, non comme le guide Hachette sur la forte typicité de cette cuvée car je ne sais pas ce qu’est la typicité, mais comme l’aurait fait le héros des Gouttes de Dieu que je le situe entre la geste de Jackson Pollock (une belle expo en ce moment à Paris Pollock et le chamanisme www.pinacotheque.com/ ) et la gouaille de Zazie dans le métro. De la profondeur certes, mais sans se prendre la tête, un vin qui ne se prend pas pour un grand blanc et qui pourtant sous ses allures de spadassin révèle des qualités qui le place dans la cour des grands.
* en arrière-plan sur la photo, dessinés par Node-Vérat, dessinateur officiel du Jardin des Plantes de Montpellier quelques cépages séculaires du Midi : de gauche à droite; la Clairette, l'Aramon, le Muscat d'Espagne et le "Piquepoule" in La Garrigue grandeur nature les créations du Pélican.
Mais, le vrai contre-pied de cette après-midi sur les hautes terres de Camberousse, comme toujours est venu de là où je ne l’attendais pas : la découverte de Grigri. Qu’est-ce donc que ce Grigri ? Un vin de table rosé qui m’a enchanté. Si le vin plaisir a une définition c’est Grigri qui en est la première acception. Comme j’étais doté d’un chauffeur je pouvais tout me permettre sans me placer sous les foudres de la gendarmerie. Mais une question me venait à l’esprit : que venait faire ce roturier de Grigri en ce lieu dédié à l’appellation d’origine contrôlée ? Qui lui conférait cette basse extraction ? La réponse à toutes ces questions claquait comme une absolue condamnation, l’abomination de la désolation : l’Aramon ! Le monstre, l’hydre, « variété de raisin au rendement énorme qui donne des vins ordinaires… » écrit Alexis Lichine, le père maudit de la bibine chère à Christian Bonnet, le banni, le relégué au seul rang de l’arrachage primé. Moi, qui ai connu les riches heures de la fine fleur des démagogues de ce qu’on qualifiait de Midi, au seul nom d’Aramon j’en avais des frissons et là, sur ces terres arides, le voilà qui péniblement arrache un rendement de pénitence, une misère : 20 hl pour m’offrir d’autres frissons dont la bienséance m’interdit d’écrire la qualification. Plus jamais je ne jetterai à l’Aramon la première pierre, à tout pécheur miséricorde. J’invite mon ami Jacques Dupont Merveilleux du vignoble à monter jusqu’à Camberousse pour venir tâter du Grigri. Et pour ne pas être en reste du minimum syndical de la provocation j’imagine dans l’avenir ouvert par les gris de gris de l’Union européenne que Paul Reder inscrive sur ses futures étiquettes de Grigri : Aramon, vin de cépage postmoderne. Honnêtement ça aurait de la gueule dans l’univers formaté des cépages internationaux. Pour en terminer, avec ou sans GPS, l’accès à ce lieu de transgression : traverser Cournonterral en suivant la direction Bergerie communale, puis prendre la D114 vers Gignac. A 3,5 km, prendre le chemin sur la gauche direction Comberousse. Si vous vous perdez dans la garrigue appelez-moi ou mieux, Paul Reder, 04 67 85 05 18 ou sur votre rutilant Black Berry envoyez un message à paul@comberousse.com.
Au retour, sous les trombes d'eau, nous avons croisé, derrière de hautes grilles surveillées par des caméras, une winerie froide comme un Beaubourg sans tubulures de couleur, il y avait dans cette vision, derrière le ballet des essuies-glaces et sous les jets de lumières des voitures, un côté Brazil le film culte de Terry Gillian...