Salvador Dali proclamait : « Je suis fou du chocolat Lanvin » pour ma part, ceux qui me connaissent savent que, je suis fou des pâtes. Mon amour est né dans ma prime jeunesse, aux Sables-d’Olonne, chez une « mama » italienne représentant la maison Linvosges dont le mari, professeur de français, veillait sur ma culture générale. Comme en ce moment je lis le beau roman de Sandro Veronesi « Chaos calme » chez Grasset (Prix Méditerranée et Nanni Moretti en a fait un film) et, l’effet madeleine de Proust, a joué.
Mon premier étonnement fut « la cuisson al dente » qui révélait l’âme des pâtes, en l’occurrence des spaghettis ; rien à voir avec la colle d’affiche des nouilles beurrées consommées habituellement. Le second fut « l’irruption de la sauce tomate », merveilleuse révélatrice du goût, dans l’univers jusqu’ici un peu triste des pâtes. Cependant, l’étonnement suprême fut : « la consommation à la romaine des spaghettis » c’était le pendant du spectacle du pépé Louis déglutissant sa soupe. Sur cette trilogie, Veronesi m’a touché au cœur. Reste que, lorsque je suis allé à Rome pour la première fois, au temps où je m’occupais du vin au cabinet de Michel Rocard, j’ai bien sûr donné vie à tous mes fantasmes en écumant les trattorias et en découvrant le Frascati, et comme l’écrivait Alexis Lichine « si les vins de Castelli Romani perdent jamais leur place parmi les merveilles de Rome, c’est qu’il n’y a pas de justice. Ces blancs de des collines d’Albe – alertes, secs ou demi-secs – juste au sud de la ville, offrent le seul moyen d’oublier sa fatigue après avoir passé une matinée à parcourir Rome en touriste. »
Je passe la plume à Sandro Veronesi.
« Ah ah ! Ça y est ! crie-t-il à travers la porte. Trente seconde de plus et ils n’étaient plus du tout al dente.
Par la porte arrive le bruit des opérations qu’il accomplit, si net et précis qu’il me semble voir la scène : les spaghettis qui tombent dans la passoire, la casserole posée dans l’évier, les spaghettis qui tombent dans la passoire, la casserole posée dans l’évier, les spaghettis bien égouttés, transvasés dans la poêle avec la sauce et repassés sur le feu resté allumé. Et il y a maintenant un fumet de sauce tomate qui arrive de la cuisine, me chatouille les narines et sort par la fenêtre, si intense et si délicieux qu’il me semble le voir lui aussi – sous forme d’épais nuage comme dans un dessin animé. »
« Il attaque ses spaghettis bille en tête, à croire que son temps est compté. Il ne les enroule pas : il les fourre dans sa bouche comme si c’était du foin, et avec sa fourchette, il se contente de les accompagner au fur et à mesure qu’ils montent. Ça aussi c’est romain, une saine façon de manger populaire – incarnée par Alberto Sordi aux prises avec des macaronis – qu’ici à Milan on prend pour une absence de bonnes manières. »
« Ce n’est pas bon pour vous de ne manger que des sandwiches, vous savez ? Une belle assiette de pâtes al dente, avec de la tomate fraîche et un filet d’huile, est beaucoup plus indiqué pour la santé. »
Il remplit les deux verres de vin, à ras bord, comme à la campagne.
« Goûtez-moi ça. Ce n’est pas un grand cru, mais c’est un bon petit vin pas trafiqué. »
Il me tend un verre, prend le sien, le lève.
« Santé. »
Il boit une gorgée franche, décidée, et vide la moitié de son vin. J’en bois moins. C’est un de ces vins forts, âpres dont on ne comprend pas s’ils le sont par hasard ou de façon délibérée.
« Il vous plaît ?
- Oui. Il est bon.
- Frascati. C’est ma sœur qui me l’envoie, de Velletri. Qui me l’envoyait : dorénavant, j’irai le chercher moi-même. »