Chère vous,
L'inoubliée et l'indomptée,
l'une pourrait-être ma compagne et la seconde ma fille,
mais la première vit en Patagonie avec l'homme de sa vie et vous, Anna, qui venez d'être mère, au a minuscule près, vous portez le même prénom que celui de la mère de mes petits-enfants Martin et Zoé.
Vous faites toutes les deux les actrices.
Dominique avoue : « j'ignorais mon souhait d'être actrice quand Robert Bresson m'a appelée pour être Une femme douce après m'avoir vu dans Vogue. »
Ce que vous, « la trop belle » Anna, au dire de Brian de Palma, confirmez : « c'est le hasard qui vous mène dans ce métier ». Anne-Cécile, ma fille, elle aussi est tombée dans le cinéma par hasard, celui d'une rencontre, et la voilà avec son mari, productrice : Mille et Une Productions, avec comme fleuron le dérangeant Cauchemar de Darwin.
Pour la petite histoire – la grande avec un grand H n'a pas de chair – j'ai dîné, lors d'un festival d'Avoriaz, face à Dominique, alors que vous Anna je n'ai jamais eu le plaisir de vous croiser alors que vous chevauchiez votre scooter et moi, mon vélo.
Comme le cinéma « était une rupture avec sa famille » changer de nom, pour Dominique, était « naturel », alors « Sanda est venu tout de suite. Je voulais être DS, et avoir un nom doux, qui sonne comme une note de musique. »
Le vôtre, Anna, on se prend les pieds dedans facilement, et pourtant vous n'en avez point changé, ce qui ne m'étonne pas de votre part car, en dépit de votre sourire « à faire craquer un blindage de sept pouces » votre tempérament ne vous incline guère aux concessions, alors va pour Mouglalis et ceux qui ça dérange n'auront qu'à prendre des cours de diction au Conservatoire.
Très vite, l'une comme l'autre, la notoriété vous est tombée dessus très vite ; pour Dominique ce succès lui était « quasiment insupportable » alors que vous, « l'éperdue de beauté brute », acceptez de devenir l'égérie de Chanel et de vous faire couvrir de fleurs par l'envahissant Lagerfeld.
« Par définition, les actrices projettent des images qui ne sont pas elles... » se défend Dominique Sanda mais, pour vous deux, par-delà votre jeu, hors de nos phantasmes masculins ou de notre imaginaire, ce qui m'émeut, me trouble, c'est qu'au-delà des personnages que vous incarnez sur l'écran vous me semblez, comme le dit si bien Dominique, n'aimer que les gens qui savent « exister en apesanteur » car vous-même êtes des éthers, impalpables, insaisissables, à la fois grisantes et froides.
Assonances et dissonances, intellectuelles et charnelles, fiévreuses et tragiques, silencieuses et lointaines, pour moi vous vivez pleinement, sans trop de concessions, parce que « la vie à cette saveur qui fait qu'on n'a pas envie de la perdre. » Entre la Dominique Sanda du Jardin des Fizzi Contini et l'Anna de Merci pour le chocolat se tisse le même lien d'éternelle jeunesse, privilège unique du cinéma. Entre l'inoubliée et l'indomptée, par-delà vos différences, se dresse la même solitude altière qui me plaît.
C'est le privilège de mon âge que de pouvoir garder, et la fraîcheur de ses souvenirs de jeune homme, et la fougue d'un vieux jeune homme adepte de la diagonale du ouf, alchimie merveilleuse, loin des embûches de l'amour, de ses toujours, pure esthétique me permettant de vous écrire, en toute liberté, en toute sincérité ces quelques mots que, sans doute, jamais vous ne lirez chère Dominique, chère Anna.
En ces temps où tout s'achète et tout se vend, mon acte gratuit me donne le doux privilège de pouvoir vous embrasser avec volupté très chères vous, si proches et si lointaines.
Jacques