Cette chronique, si j’avais respecté mes souvenirs de jeunesse, j’aurais du la titrer : le fion de mémé Marie mais, comme le patois vendéen n’est connu et maîtrisé que par très peu d’entre vous je me serais exposé à un vent de réprobation dans la mesure où seule l’acception argotique du mot fion a encore cours. Et pourtant, à la veille de Pâques, outre la gâche de Pâques,
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l’autre spécialité marquant la fin du Carême dans mon bocage vendéen crotté et agenouillé était le fion et, la maîtrise du fion, était placée dans les mains expertes de mémé Marie.
Comment définir le fion ? Ce sont des œufs au lait cuits au four dans un cylindre de pâte : hauteur = 20 cm et diamètre = 20 cm. Dit ainsi, ça paraît simple et pourtant le tour de main pour pétrir la pâte constituait la clé de la réussite du fion. En effet, eu égard à ses dimensions, le cylindre de pâte exposé en direct à la cuisson se devait d’être hermétique et ne pas se fissurer sous l’effet de la chaleur. Défi relevé par la mémé chaque année – avec quelques petits accidents qui se soldaient par le rustinage du fion – mission impossible pour la femme moderne ou l'artisan perclu de charges sociales qui explique qu’on ne trouve plus de vrai fion dans le commerce vendéen mais rien que de pâles copies qui s’apparentent au flan traditionnel.
Avant de vous communiquer la recette du fion je m'associe à la journée du macaron www.jourdumacaron.com organisée par l'association Pâtissiers relais desserts pour venir en aide à la Fédération des maladies orphelines (la maladie est toujours une injustice, surtout chez les enfants, mais pour ceux qui sont touchés par ces maladies dites orphelines s'y ajoute le non espoir de voir un jour la recherche s'intéresser à leur cas). Chaque pâtissier (ils sont 100 000 membres dans le monde) offre ce jour-là une dégustation gratuite à ses clients et donne 1 euro symbolique à la Fédération. C'est Pierre Hermé qui fut à l'origine de cette célébration caritative. Je rêve que le monde du vin ait un jour ce genre d'initiative sous la houlette des plus grands...
LA RECETTE
1- La pâte :
- Ingrédients : 1 kg de farine, 2 œufs, une pincée de sel, eau.
- Fabrication :
a) étendre sur la table de la cuisine un vieux drap de coton, faire un puits dans la farine placée au centre, y mettre les œufs battus, commencer le mélange, ajouter un peu d’eau pour obtenir un pâton ferme ;
b) ensuite pétrir à la main en appuyant fortement dans les paumes, et ce pendant au moins une heure, afin d’obtenir une pâte ferme et élastique. Ce travail de la pâte est la clé de la réussite. Au temps de mémé Marie je participais à ce chantier où le temps n’était pas compté ;
- Mise en moule (moule à charlotte)
a) étendre la pâte au rouleau jusqu’à l’obtention d’1mm d’épaisseur ;
b) tapisser avec soin le moule (qui n’est pas beurré) pour n’il y ai aucun trou dans la pâte.
c) Denteler le haut du cylindre.
- Cuisson de la pâte :
a) faire bouillir de l’eau dans un grand faitout
b) à ébullition plonger le moule en prenant soin que les bords ne s’affaissent pas. Opération délicate qui exige beaucoup de doigté ;
c) cuire pendant 4 mn ;
d) retirer avec douceur le moule et vider délicatement l’eau contenue dans le cylindre de pâte.
- Démoulage et séchage :
a) mettre un linge propre à l’intérieur du moule et renverser celui-ci sur le flanc ;
b) démouler avec précaution en tirant délicatement les coins du linge ;
c) placer le cylindre de pâte sur un linge et laisser le s’égoutter au frais jusqu’au lendemain.
- Enrubannage du fion :
Le lendemain enserrer le haut du cylindre de pâte, sans trop serrer, d’un cercle de ficelle de ménage afin de bien maintenir la stabilité de l’ensemble lors du remplissage du fion.
2- La Fiounaïe :
Il s’agit tout bêtement de faire des œufs au lait.
3- La cuisson
- préparation du cylindre de pâte :
a) badigeonner au jeune d’œuf les dents du fion ;
b) cuire les cylindres de pâte à blanc pendant 3 mm.
- cuisson proprement dite du fion :
a) remplir les fions des œufs au lait en laissant 3cm de marge ;
b) enfourner délicatement ;
c) laisser cuire le temps que les œufs au lait prennent et se couvrent d’une jolie pellicule brune.
d) Retirer du four avec beaucoup de délicatesse.
Placer les fions dans une pièce fraîche pour qu'ils refroidissent.
Le fion est bien sûr un dessert, très nourrissant, il est nécessaire de disposer de bonnes dents pour croquer la croûte.
Du côté accompagnement liquide, même si ça n'a rien à voir avec mes souvenirs où je buvais de la limonade, je verrais bien un Cerdon Clos de la Bierle de Thierry Troccon.
Voilà, je puis vous assurer que la fabrication du fion et sa conduite à bon port relevaient de l’exploit : à tout moment ce pouvait être la bérézina c’est-à-dire l’affaissement, le débordement, l’éclatement ou tout bêtement, lors de l’enfournage ou du défournage, le renversement. Comme je l’ai écrit, l’an dernier pour la gâche, la cuisson se faisait dans le four à pains de la maison du Bourg Pailler et l’opération était confiée au pépé Louis. D’où conflit grave entre les époux Berthomeau, Louis et Marie, et prise de bec, si les fions versaient. Bref, lorsque les fions sauvaient leur peau, restaient à les découper pour les déguster : opération à haut risques vu la configuration géométrique du fion, la dureté de la pâte et le caractère éminemment ballottant des œufs au lait. Là encore, quand tout allait bien restait à consommer la tranche de fion sans l’épandre sur soi. Le recours à l'assiette et à la cuillère n'était pas inscrit dans la tradition de la dégustation du fion. Exploit donc de le croquer, opération qui demandait un art consommé de la maîtrise du dur et du mou. Toute une époque où le temps passé ne comptait guère et où la main à la pâte alliée à de bons produits nous procurait des plaisirs simples. De plus, on ne fabriquait la gâche et le fion que pour la fête de Pâques : la rareté est le vrai luxe...
Bonnes fêtes de Pâques à tous et à toutes.