À Bordeaux, dans les milieux professionnels, il est de bon ton de se lamenter à propos du Bordeaux bashing que subirait le grand vignoble bordelais.
Qui fait du Bordeaux bashing ?
Pas la presse spécialisée qui continue de se délecter des grands nectars de Bordeaux tout en nous serinant que c’est injuste car il existe d’excellents Bordeaux à des prix raisonnables.
Les consommateurs alors ?
Jacques Dupont, grand arpenteur des 2 rives, parle de désamour.
Bordeaux, les raisons d'un désamour
"Abandonner l'avenir de nos grands crus aux seuls hommes d'affaires équivaudrait à confier aux croque-morts l'organisation du défilé du 14 Juillet*." Par Jacques Dupont
Publié le 23/02/2016
Je partage en partie ce point de vue, en partie seulement car notre Jacques évoque, en dehors des GCC, des vins de Bordeaux qui ne sont qu’une part très minoritaire de la production.
La masse, le vrac, qui en parle ?
Souvenir de miss Glou-glou découvrant avec stupéfaction l’importance du marché du vrac dans les appellations.
Comme le dit très Nathalie Feydieu du château du Taillou à Saint-Androny.
La physionomie de la clientèle a changée…Les gens qui achetaient du vin dans nos propriétés de manière fidèle, et en grande quantité, ont vieilli et ne consomment plus, il faut donc se tourner vers la nouvelle génération, à travers des salons et les inciter à venir en propriété»
C’est la nature du produit qui est en cause, il ne correspond plus aux attentes du marché domestique et maintenant ceux de l’export.
Le marché des vins de Bordeaux en panne, les courtiers peinent à écouler les stocks
« Des nuages dans le ciel de Bordeaux. C’est un peu la métaphore qui colle au marché qui depuis 12 mois, selon tous les opérateurs, est morose et touche surtout les petits Bordeaux et cœur de gamme. Cela inquiète tout le monde, négoce, courtiers mais avant tout les vignerons »
« Bordeaux produit en moyenne 5,5 millions d’hectolitres de vin, mais sur les 12 derniers mois, 4,2 millions ont été commercialisés », me précise Xavier Coumau, président régional des courtiers de Bordeaux et du Sud-Ouest.
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Alors mon titre est-il aussi provocateur qu’il en a l’air ?
Sans ramener ma fraise je rappelle : Rapport remis à Jean GLAVANY, ministre de l’agriculture et de la pêche, le 31 juillet par Jacques BERTHOMEAU, contrôleur général des offices
Pour ma part je crois que nous sommes en train de récolter ce que nous avons semé, nos échecs à l’exportation trouvent principalement leur source dans un manque de rigueur.
En effet, depuis toujours nous sommes, et nous restons encore, la référence dans le domaine du vin. Une telle position, doublée de celle de leader mondial sur le marché des vins et spiritueux, nous oblige à maintenir notre niveau d’excellence sur tous les segments du marché du vin.
Sous les grandes ombrelles que sont nos appellations d’origine contrôlée, surtout sous celles qui jouissent de la plus grande notoriété, s’abritent des vins moyens voire indignes de l’appellation. Succès aidant ou pression d’une demande momentanée une grande part de nos vins de pays, petits nouveaux dans la cour, se sont laissés aller, comme certains de leurs grands frères AOC, à confondre rendement administré, moyenne arithmétique, et qualité du produit. On optimisait la déclaration de récolte. Nous étions sur notre petit nuage, grisés, insoucieux telle la cigale de la fable, alors qu’il eût fallu capitaliser les dividendes de cette embellie en investissements commerciaux, en un pilotage fin de chacun de nos vignobles – quel que soit son statut juridique, sa notoriété, - par les metteurs en marché.
Nous en sommes restés, pour la part volumique de certaines appellations génériques et de beaucoup de nos vins de pays, à une conduite approximative du vignoble ; le viticulteur, la cave coopérative produisent du vin et attendent le courtier pour que les assembleurs que sont nos négociants généralistes, nos embouteilleurs-distributeurs, nos embouteilleurs pourvoyeurs des premiers prix pour la grande distribution et les hard discounteurs, l’écoulent. On ne peut espérer être fort sur les marchés extérieurs avec ces vins d’entrée de gamme si on les traite ainsi sur son marché domestique
Nagerions-nous dans les eaux molles d’un de ces consensus à la française où l’on évite d’aborder les sujets qui fâchent ? Non bien sûr et, lorsque le président de la FEVS déclare qu’« Historiquement et aujourd’hui encore la France couvre tous les segments. Elle doit continuer à le faire. Mais segment par segment, nous devons analyser les choses. Une partie de la copie est à revoir. La segmentation du marché se fait par les prix. » on ne peut que l’approuver car c’est la réalité du marché.
2 – Les grands ensembles viticoles méconnus
Dans notre imaginaire collectif, celui des non spécialistes, du consommateur ordinaire qui pousse son caddie dans les rayons des grandes surfaces, l’évolution de notre vignoble depuis 25 ans pourrait se résumer à la décrue inexorable des vignes à gros rouge du Midi à haut rendement et à la montée tranquille de vignobles d’appellation d’origine contrôlée maîtrisant leurs rendements au nom de la qualité.
La France viticole serait devenue l’eldorado du vigneron cultivant sa vigne comme un bon artisan, élaborant son vin comme un artiste pour le vendre dans sa bouteille au nom de son domaine, de son clos, et même de son château. Argument de vente fort puisque le réseau Leclerc proclame sur sa marque de distributeur « nos vignerons ont du talent ». Cette vision est confortée par les cavistes, les guides, les revues spécialisées et les numéros spéciaux des grands news magazines : le Point en particulier. Elle correspond bien sûr à une réalité, celle des multiples joyaux nichés dans de plus vastes vignobles.
La batterie de chiffres que j’ai jeté en vrac dans le point précédent montrent que le ventre de notre production est bien dodu, qu’il ne répugne pas à la productivité : les hauts rendements ne sont pas là où l’on s’attendrait à ce qu’ils soient. En le soulignant je ne porte aucun jugement de valeur. Mon objectif est simplement de mettre en exergue ces grands ensembles vinicoles, ceux qui dégagent des volumes, ceux qui devraient permettre à nos metteurs en marché de trouver la ressource vin longue pour alimenter l’assemblage de produits de marque.
C’est vieux : 2001 !
18 ans l’âge de la majorité légale.
On va me rétorquer que la qualité technique des vins s’est depuis largement améliorée. J’en conviens mais sont-ce des vins qui sont vendables ou plus exactement : le processus de leur mise en marché n’est-il pas obsolète ?
On en reste, en matière de vrac, à une forme modernisée d’économie de cueillette auprès des viticulteurs, même les grosse coopératives ont été incapables de sortir du modèle dominant.
On ne change pas un modèle par décret et j’ai nettement le sentiment qu’il est trop tard !
Nous nous cachons derrière les bons chiffres en valeur de nos exportations de vins et spiritueux.
Nous importons à tour de bras des vins de début de gamme, euphémisme cachant l’effet prix, venant d’Espagne.
Nous mélangeons dans le même tonneau des vins dit d’origine que nous ripolinons à grand coup de terroir.
C’est le gros ventre mou.
En un mot nous bricolons alors que nos concurrents déroulent un modèle qui ne se cache pas derrière un faux-nez.
Entendez-moi bien, tout comme en 2001, je ne prêche pas pour ma paroisse, ces vins ne sont pas les miens mais je me contente de mettre le doigt là où ça fait mal, non pour me la jouer oiseau de mauvaise augure mais tout bêtement pour couper court aux lamentations d’usage.
Et si c’était la faute du gouvernement néo-libéral ?
Je plaisante bien sûr puisque je suis rangé des voitures, il n’en reste pas moins vrai comme le dit l’adage : « il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre… »
Le Crédit Agricole acte la crise des vins de Bordeaux
Lundi 17 juin 2019 par Alexandre Abellan
Face au blocage des ventes en vrac, la banque verte vient d’accroître son aide à court-terme aux chais indépendants afin de limiter la chute des cours.
Chais pleins et marché atone pèsent sur le moral et les finances du vignoble bordelais. « Premier financeur du vignoble girondin*, nous avons une responsabilité vis-à-vis de la filière. Nous n’avons pas vraiment le choix, nous devons la soutenir dans ce moment compliqué de méventes. Certains viticulteurs n’ont pas eu de rentrées [de trésorerie] et de retiraisons [en vrac] depuis des mois, nous leur ouvrons une enveloppe supplémentaire pour permettre d’assurer les coûts de leur cycle de production » explique Pascal Gentié, le nouveau président de la caisse régionale du Crédit Agricole, qui connaît bien le vignoble, étant pépiniériste dans le Lot-et-Garonne. Pour assurer leurs frais de fonctionnements (taille, traitements, travaux en vert…), les prêts vignerons ont augmenté : +8 % d’encours depuis le début d’année, +13 % sur l’année glissante s’achevant en mai 2019.
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La crise viticole n'est pas une fatalité !
Editorial de Mgr Ricard
Très présente dans la presse à certains jours, plus discrète à d’autres, la crise viticole est bien toujours là. Contrairement à une série de crises rencontrées par la viticulture depuis plus d’un siècle, la crise actuelle n’est pas conjoncturelle mais structurelle. Il serait vain d’attendre que « ça passe » en rêvant au retour des années fastes pour les vins de Bordeaux.
La sortie de cette crise est un vrai problème régional pour ne pas dire national. Certaines régions sont peut-être encore plus touchées que la nôtre. Le 4 février dernier, les évêques du Languedoc-Roussillon ont fait part de leurs préoccupations devant l’inquiétude et la souffrance de beaucoup de viticulteurs. Mais notre région, longtemps épargnée, est touchée elle aussi.
Certes, la crise viticole ne touche pas toutes les propriétés de la même façon. Certains châteaux, des crus renommés, s’en sortent plutôt bien et n’ont pas de mal à commercialiser leur vin. D’autres sont frappés de plein fouet et on peut dire que c’est toute une partie de la profession qui ressent les contrecoups de la crise. Au cours de mes visites pastorales et des rencontres que j’ai pu avoir, j’ai été témoin du drame vécu par un certain nombre de viticulteurs qui se sont endettés au moment des années fastes et qui, aujourd’hui, devant la difficulté à vendre leur vin, se sentent étranglés par les remboursements auxquels ils doivent faire face. Cette réelle angoisse du lendemain a chez eux des conséquences sur leur moral, parfois sur leur vie conjugale et familiale. Certains enfants ne voient pas comment prendre en charge après leurs parents la propriété familiale. Cette crise a fatalement aussi des répercussions sur la situation des ouvriers agricoles, des saisonniers et des artisans. Ces viticulteurs sont guettés par le désespoir et la désespérance n’est jamais bonne conseillère. On peut redouter qu’elle provoque parfois des réactions de violence ou pousse à des extrémités.
Devant cette crise, certains sont tentés de baisser les bras et de se laisser gagner par un sentiment de fatalisme. D’autres cherchent un bouc émissaire qu’ils chargent alors de tous les maux (les organisations professionnelles, le négoce, les pouvoirs publics, les campagnes antialcooliques, la mondialisation…) L’heure n’est pourtant pas au découragement. D’ailleurs, au cours des deux siècles précédents, les viticulteurs ont toujours fait preuve de courage et d’ingéniosité pour surmonter les crises rencontrées. Une telle ténacité continue. Il nous faut saluer ici les efforts de ceux qui courageusement veulent relever le défi d’aujourd’hui. Ils savent qu’il leur faut compter avec des facteurs nouveaux qui ne disparaîtront pas dans les années qui viennent : la baisse en France de la consommation du vin, la concurrence des vins européens et des vins du nouveau monde et la politique commerciale des grandes surfaces. Ils sont convaincus également qu’il faut veiller à la qualité du vin produit, à sa commercialisation et donc à des campagnes de promotion de leur vin en France, en Europe et dans d’autres pays du monde. En effet, produire, malgré tout le savoir-faire que cela met en jeu, aujourd’hui ne suffit pas. Il faut commercialiser, tenir compte de la demande, et gagner de nouveaux marchés.
Cette crise ne peut être surmontée qu’ensemble, solidairement, qu’en s’appuyant les uns sur les autres, qu’en s’entraidant les uns les autres. Or, la viticulture a été une profession qui a favorisé jusque-là l’investissement individuel et la recherche personnelle du profit. L’argent gagné était le secret de chacun et on se méfiait de l’autre qui pouvait toujours devenir un concurrent possible. D’où la difficulté qu’ont eu beaucoup de viticulteurs, même voisins, à se parler quand la crise a commencé. Or, la solidarité et l’entraide sont aujourd’hui des conditions sine qua non pour surmonter la crise.
Devant cette crise qui marque profondément notre région, les communautés chrétiennes ne peuvent pas ne pas se sentir concernées. Il est important qu’elles partagent les préoccupations des viticulteurs, soutiennent ceux qui sont dans une passe difficile, encouragent ceux qui se battent pour relever le défi. Je les invite à lire le document de réflexion ci-joint sur « La crise viticole » et à manifester à tous les viticulteurs leur solidarité.
Dans ce temps pascal, le Christ vient à nous, vainqueur du fatalisme et de la résignation. Sa résurrection ouvre une brèche, déploie un avenir nouveau. Elle crée du neuf. Que cette espérance soutienne tous ceux qui se battent aujourd’hui pour ouvrir des voies d’avenir à la viticulture dans notre région.
Bordeaux, le 5 mai 2006
+ Cardinal Jean-Pierre RICARD
Archevêque de Bordeaux
Evêque de Bazas