J’avais lu les premiers romans de Fred Vargas, dont sans doute le meilleur : Pars vite et reviens tard (2001) alors, en 2004, un dimanche d’ennui j’étais allé l’écouter à l’auditorium du marché St Germain, c’était organisé par Télérama. Un public très Télérama, le personnage en chair et en os, plein de postures, d’une fausse gouaille, décontraction feinte, m’avait fait regretter d’être venu. Pourtant, je m’accrochai et, tout à la fin, cet auteur, par ailleurs bon écrivain, avait fait l’apologie de « pauvre » Cesare Battisti. C’était plein de mépris pour la justice italienne.
« Déni de droit, non-respect de la parole de la France et désinformation, tout oblige à lever le voile sur l'affaire Cesare Battisti et sur l'homme, afin que chaque Français puisse atteindre, de manière objective et par l'usage de la Raison chère à Voltaire, à la vérité qui lui est scellée. Cet ouvrage, recueil de textes et de documents, met en évidence, par la seule présentation des faits et loin de toute polémique partisane, combien l'extradition de Cesare Battisti constituerait une injustice profonde pour l'homme, un affront à l'honneur de notre pays et de ses citoyens, et une faute gravissime au regard de l'Histoire. »
- Fred Vargas
Connaissant bien l’histoire des années de plomb, J’étais outré, furieux, tout à la fois de cette charge sans nuances et de la bonne conscience de la salle ; je me retins d’intervenir car j’aurais été très virulent, la colère n’est jamais bonne conseillère.
Cependant, je pris sur le champ une décision : plus jamais je n’achèterais ni ne lirais un livre de Fred Vargas.
Parole tenue, et comme le dit l’adage populaire : « La vengeance est un plat qui se mange froid»
Quarante ans après, Cesare Battisti avoue
Par Lucie Lespinasse — 25 mars 2019
L'ancien activiste italien d'extrême gauche, extradé dans son pays d'origine en janvier, a reconnu ce week-end sa responsabilité «dans quatre meurtres», commis dans les années 70.
Une «clarification» qui a surpris. Cesare Battisti, l’ancien activiste italien d’extrême gauche, a reconnu toutes les charges pesant contre lui et ses responsabilités «dans quatre meurtres» commis à la fin des années 70, lors d’interrogatoires samedi et dimanche, a annoncé ce lundi le procureur, Alberto Nobili. Condamné à la perpétuité pour quatre meurtres qu’il n’avait jamais reconnus, l’ex-militant de 64 ans a finalement avoué sa responsabilité dans ces évènements : «Quand j’ai tué, je pensais que je combattais pour une guerre juste. Maintenant, je comprends le mal que j’ai causé et je m’excuse auprès des familles des victimes.»
Pourquoi donc un tel revirement, alors qu’il a toujours nié toute implication dans ces meurtres, comme dans un portrait paru en 2012 dans Libération, alors qu’il était en exil au Brésil : «Tous ceux qui sont bien informés savent qu’il n’y a aucune preuve contre moi. Que je suis innocent. Le reste c’est de la machination.»
Contumace
Cesare Battisti est condamné en 1993 par la justice italienne pour le meurtre en 1978 d’Antonio Santoro, gardien de prison et celui d’Andrea Campagna, chauffeur de police, en 1979 ainsi que pour complicité de meurtre en 1979 d’un bijoutier, Pier Luigi Torregiani et d’un boucher, Lino Sabbadin. Le procès se déroule par contumace, puisque l’ex-activiste est en cavale depuis 1981 après son évasion de prison où il purgeait une peine de douze ans et dix mois pour «participation à une bande armée» et «recel d’armes».
Réfugié au Mexique puis en France pendant quinze ans, il profite de l’engagement de Mitterrand contre l’extradition des anciens activistes d’extrême gauche italiens. Mais en juin 2004, la justice française accepte la demande d’extradition de l’Italie et Battisti doit alors fuir un pays qu’il considère comme le sien. Il se réfugie au Brésil où il se voit accorder l’asile politique en 2009.
«Une image juste»
Pourtant, le 14 décembre 2018, la Cour suprême brésilienne ordonne l’arrestation de Battisti en vue de son extradition. L’ex-activiste italien se retrouve de nouveau dans la clandestinité et est arrêté le 12 janvier à Santa Cruz de la Sierra, dans le centre de la Bolivie, alors qu’il essaie de fuir la justice brésilienne. Il est finalement ramené en Italie où il est incarcéré en Sardaigne, mettant fin à une cavale de près de quarante ans.
En février, sa défense a demandé que sa peine soit ramenée à trente ans de réclusion, ce qui pourrait expliquer cette confession inattendue. Pourtant, l’avocat de Battisti assure que cette «clarification n’a pas été faite pour en tirer d’éventuels bénéfices. L’espoir était de rendre une image juste de (son) client, qui n’est pas le monstre qui peut encore frapper comme il a été décrit». Si les motivations de ces aveux ne se semblent donc pas très claires.
4 mars 2012
CHAP 9 : Brigate Rosse, mes années de plomb la « doctrine Mitterrand » offre en 1985 l’asile à ceux qui ont « rompu avec la machine infernale du terrorisme » de « poser leur sac »
Période complexe, particulièrement troublée, pleine de rumeurs, d’épisodes mystérieux jamais élucidés, des tentatives de complots manipulés par des services étrangers ou le crime organisé, qui a fait l’objet de relectures à posteriori, de reconstruction tendancieuse, erronées, ce que l’on dénommera en Italie la dietrologia : dietro, derrière.
Cette approche sera confortée en France par la « doctrine Mitterrand » qui offrit officiellement le refuge, au cours d’un discours lors du congrès de la Ligue des Droits de l’Homme en 1985, à tous ceux qui ayant « rompu avec la machine infernale du terrorisme » désireraient enfin « poser leur sac ». Le clivage gauche/droite à la française permettra de bien séparer en noir et blanc ce mouvement contestataire « unique en Europe par sa densité et sa longévité » en oubliant le fond historique de Guerre Froide et de « stratégie de la tension ». Ce morceau d’histoire mal connu, enfoui sous la bonne conscience des pétitionnaires patentés de Saint-Germain des Prés, reviendra en boomerang dans le paysage médiatique après les évènements du 11 septembre 2001, lorsqu’en août 2002 le gouvernement français extradera Paolo Persichetti, ancien membre de la dernière branche des Brigades Rouges, les BR-UCC, reconverti grâce à la doctrine Mitterrand en professeur à l’Université Paris-VIII. Mais, bien sûr, l’affaire la plus médiatisée fut celle de Cesare Battisti, ancien animateur d’un groupuscule milanais : les Prolétaires armés pour le communisme (PAC), concierge à Paris et auteur de romans noirs, qui ne devra son salut qu’à la fuite au Brésil. Je garde le souvenir d’une conférence organisée par Télérama en 2004 où la délirante Fred Vargas délivrait sa version très germanopratine de l’affaire. Le BHL, non présent ce soir-là, délivrait avec plus de subtilité la même version.
Pas très glorieux tout cela, dans plusieurs textes publiés des années plus tard, Cesare Battisti indiquera avoir renoncé à la lutte armée en 1978, à la suite de l'assassinat d'Aldo Moro et se dira innocent des quatre assassinats revendiqués par les Prolétaires armés pour le communisme. Arrêté le 26 juin 1979 et condamné en 1981 pour appartenance à une bande armée il s’évade le 4 octobre 1981, avec l’aide de membres des PAC, de la prison de Frosinone et il s'enfuit d'Italie pour rejoindre la France puis le Mexique en 1982. C’est alors que Pietro Mutti, un des chefs des PAC recherché pour le meurtre de Santoro et condamné par contumace, est arrêté ; suite à ses déclarations, Cesare Battisti est impliqué par la justice italienne dans les quatre meurtres commis par les PAC, directement pour les meurtres du gardien de prison et du policier et pour complicité dans ceux des deux autres victimes. Le procès de Cesare Battisti est donc rouvert en 1987, et il sera condamné par contumace en 1988 pour un double meurtre (Santoro, Campagna) et deux complicités d'assassinat (Torregiani, Sabbadin). La sentence est confirmée le 16 février 1990 par la 1re cour d'assises d'appel de Milan, puis après cassation partielle, le 31 mars 1993 par la 2e cour d'assises d'appel de Milan. Il en résulte une condamnation à réclusion criminelle à perpétuité, avec isolement diurne de six mois, selon la procédure italienne de contumace.