Je ne suis, ni Bob Parker le King de la note sur 100, ni le Jacques Dupont l’arpenteur des terroirs de Bordeaux, mais rien qu’un pauvre licheur de vins nu roturiers, un qui ne fait que critiquer cette pauvre place de Bordeaux pour le plus grand désespoir du président Farge.
Et pourtant ma cave regorge, j’exagère, de GCC, des classés 1855 surtout.
Ils dorment du sommeil du juste.
Et puis un soir me rendant à un dîner en territoire naturiste m’est venu à l’idée d’y apporter une boutanche bien poussiéreuse. J’adore le risque.
Mon choix s’est porté sur un Pichon-Baron 94 « un vin magnifique, d’une grande retenue, tendu comme un câble de téléphérique, rigoureux comme Calvin rejetant la messe. Si c’était un tableau, ce serait un paysage de Nicolas de Staël : jamais rien de trop. »
Du grand Jacques Dupont, bravo, bravissimo !
J’étais dans mes petits souliers, je me disais je cours au bide face à ces palais habitués aux turpitudes des vins nu, pour faire dans le style du Jacques je risquais une Saint-Barthélemy naturiste, une excommunication en bonne et due forme...
La bouteille fut ouverte, servie sans carafage.
« C’est un honneur et un plaisir pour moi de vous commenter ce Pichon-Longueville 1988, pour deux raisons sur lesquelles je reviendrai.
C’est au 17ème Siècle que Jacques Pichon, Baron de Longueville, a décidé d’établir cette belle propriété. C’est sur les conseils avisés de son beau-père, le Marquis de Rauzan, surnommé « le sorcier des vignes » parce qu’il avait un vrai talent et les plus belles propriétés de la rive gauche, que Jacques Pichon a suivi son exemple. Rapidement ses vignes ont été aussi célèbres que celles de Latour. Il vendait ses tonneaux de vin 300 livres or, ce qui à l’époque était un record. La renommée du Château Pichon-Longueville s’est poursuivie jusqu’à nos jours, parce qu’il a eu la chance de tomber entre les mains d’un institutionnel, mais d’un institutionnel avisé, le groupe AXA, avec Claude Bébéar qui est un grand admirateur des vins de Bordeaux et qui a su s’entourer d’un très bon vigneron, Daniel Llose. »
Commentaire de Madame Florence Cathiard le 31/10/2002 à l’Académie des Vins de Bordeaux.
Je suis un coquin, j’entretiens le suspens.
« Déjà propriétaire d’un vaste vignoble à Margaux, qui donnera naissance à Rauzan Gassies et Rauzan Ségla, Pierre Desmezures de Rauzan, négociant et fermier de Latour, achète en 1689 des vignes au sud de Pauillac à proximité de Latour. Ces vignes entrent dans la dot de sa fille Thérèse lorsqu’elle épouse peu après Jacques Pichon de Longueville. Le domaine reste tel quel dans la famille Pichon pendant plusieurs générations et la réputation de ses vins est alors établie. En 1850, par application des nouvelles règles successorales, la propriété est divisée en 2 parties, 2/5 revenant au Baron Raoul Pichon de Longueville pour donner Pichon Baron et le reste aux 3 filles, devenant Pichon Comtesse. Le Baron Raoul fait construire alors le romantique château que nous connaissons aujourd’hui.
C’est aussi à cette époque que le vin se voit officiellement classé 2ème Grand Cru du Médoc. En 1933, les héritiers Pichon sont contraints de vendre la propriété qui est acquise par Jean Bouteiller. Celui-ci maintient la réputation du vin durant des années mais le domaine, en difficulté, décline dans les années 1960 et 70 et est finalement vendu en 1987 à la compagnie d’assurances Axa qui développe alors ses investissements dans le vin. Axa s’appuie sur Jean-Michel Cazes, Directeur des Vignobles, assisté de Daniel Llose sur le plan technique. Des importants investissements sont réalisés avec reconstruction complète du cuvier et des chais. Cet impressionnant ensemble ultramoderne en partie souterrain est situé face au château qui, lui aussi, est magnifiquement rénové. Il vient d’être complété par la construction d’un nouveau chai destiné à faciliter et améliorer la production. »
Retour à l’historien Dupont du Point qui nous dit que la gestion technique du château est assurée par Jean-René Matignon « doux et modeste expert qui a considérablement réduit les rendements ces dernières années, renforçant le côté « pur Pauillac » de Pichon, c’est-à-dire un tiers d’austérité, un tiers de densité, un tiers d’élégance. »
Tout l’art de la formule ciselée au poinçon ce bas-bourguignon.
Cependant mon 1994 n’est pas goûté par lui dans sa somme bordelaise alors je me vois contraint de m’adresser à un LPVien qui le 05 Septembre 2014 écrivait à propos de ce millésime :
Bouchon parfait, non imbibé, souple.
Robe rubis, non tuilé, légèrement trouble.
Nez sur le miel cristallisé, le tabac, le cèdre. Superbe!
En bouche, les tanins sont merveilleusement fondus, c'est élégant, précis, pur...
Le vin a de la patine, le toucher de bouche est d'un soyeux incroyable!
Et surtout quelle longueur! On croit que le vin va connaitre un creux en milieu de bouche mais l'acidité légère redynamise l'ensemble pour envoyer la bouche dans un autre monde.
Un vin d'une grande jeunesse.
4 ans après c’est raccord.
Je fais un tabac, je croule sous les applaudissements, on m'adule, elle m'embrasse, le CIVB m’absout de mes fautes sans que fasse acte de contrition, me batte la coulpe, je vais enfin pouvoir revenir à Bordeaux la tête haute, me pavaner dans les châteaux, recevoir la bénédiction de l'archevêque de Bazas&Bordeaux qui adore tant les cloches sonnant l'Angélus.
Dernier renseignement : je consulte la cave des Millésimes le Baron Pichon-Longueville 1988 est coté à 174 euros.