Quand l’automne recouvre Paris de gris j’ai un irrépressible besoin de lumière, d’une lumière pure dépourvue de la marque brûlante du soleil, celle du petit matin sur fond d’un air vif, revigorant, celle de la fin de journée, plus douce, plus tendre, marcher, se désintoxiquer du fracas de la ville, respirer, ne pas se soumettre à l’impérieuse immédiateté de la Toile, aiguiser son appétit, retrouver l’envie, la simplicité, la frugalité, prendre le temps, prendre son temps, s’asseoir, entamer une conversation, écouter, entendre, échanger, consolider le vivre ensemble. Aimer.
Écrire !
Se contenter d’en rêver ou se bouger le cul !
Alors Lourmarin !
Avec son chèque suédois, Albert Camus s'offre, en 1958, une ancienne magnanerie - où l'on élevait les vers à soie - à Lourmarin, avec ses volets verts, sa terrasse arrondie, son cyprès.
Très vite, par sa simplicité, le Prix Nobel séduit le village. «Chaque matin, de très bonne heure, je préparais son café à M. Camus et il partait faire son "tour de plaine" se souvient Suzanne Ginoux, sa voisine. Une promenade qui l'emmène sur la route de Cavaillon en passant par le magnifique château de Lourmarin, « dans cette campagne austère, lumineuse, paisible, qui a bien peu changé en un demi-siècle ». Au retour, il écrit Le Premier Homme (roman autobiographique inachevé) debout à sa table, face au Luberon.
Il fumait des « Disque Bleu », beaucoup. C’était un fou de foot. «Il a même offert des maillots à la Jeunesse sportive lourmarinoise ». Ici, Camus fréquente aussi bien le forgeron du village et les brocanteurs, chez qui il adore chiner, que le poète René Char, son voisin de l'Isle-sur-la-Sorgue. En revanche, on ne le voit jamais avec l'autre célébrité littéraire du village, Henri Bosco. L'auteur de L'Enfant et la rivière, administrateur du château, a choisi de vivre un peu à l'écart, dans un bastidon de pierres sèches entouré d'oliviers et de lavande.
Le 4 janvier 1960, Albert Camus qui a quitté sa maison de Lourmarin pour Paris La nationale 5, la Facel Vega dans la voiture de Michel Gallimard, le platane à Villeblevin dans l'Yonne. Ce sont les footballeurs de Lourmarin qui portent son cercueil jusqu'au cimetière, à deux pas du château. Sa tombe est toute simple, couverte de laurier et de romarin
« Le 6 janvier 1960, une foule d’anonymes et quelques amis se retrouvent devant la grande maison de Lourmarin où le corps d’Albert Camus a été transporté dans le nuit. Quatre villageois portent le cercueil que suivent son épouse, son frère Lucien, René Char, Jules Roy, Emmanuel Roblès, Louis Guilloux, Gaston Gallimard et quelques amis moins connus, parmi lesquels les jeunes footballeurs du village. Le cortège avance lentement dans cette journée un peu froide et atone de ce « pays solennel et austère » - malgré sa beauté bouleversante. »
Camus à Lourmarin LEXPRESS.fr ICI
publié le 22/08/2005
Petit opus de José Lenzini « Les derniers jours de la vie d’Albert Camus » publié chez Actes Sud.
La naissance au domaine viticole Le Chapeau du Gendarme
« Tout avait passé si vite depuis le 7 novembre 1913. Albert était né à 2 heures du matin. Beaucoup de souffrances par une nuit froide et boueuse, dans cette charrette qui n’en finissait pas de s’enfoncer et de gémir sur des chemins détrempés. Et puis il était venu. Sagement. Sans pousser le moindre cri. Un deuxième garçon après Lucien qui avait déjà trois ans... C’était bien ! Le père était content. Elle aussi. Tout était prévu pour accueillir le bébé dans la petite maison de Mondovi. C’est là, au domaine viticole Le Chapeau du Gendarme que le père travaillait comme caviste. Ce village agricole situé dans l’Est de l’Algérie, près de Bône, était bien agréable. On y vivait bien. On avait le bon air de la campagne. Et il n’y avait presque plus de malaria »
Sa passion le foot
« Il quitte la grande maison sans éteindre le poste de radio qui crachote des informations sportives « ... ah ! vraiment une belle rencontre que celle qui a opposé le Racing à Angers, malgré... » Il sait, pour avoir entendu un précédent bulletin, que le terrain était gras, que les Parisiens ont largement dominé grâce à Ujlaki, Majhoub ou Bollini.
« Pas sûr qu’ils renouvellent l’exploit aujourd’hui contre Strasbourg ! »
(...)
« Ce sera sans doute un beau match, lance Camus dans une volute de fumée.
- Et vous voyez quel score ?
- Pas facile... Mais actuellement le Racing est en jambes : 72 buts en 22 matches, c’est un record ! Par contre, faudrait voir du côté d’Angers... Ils risquent de tenir la dragée haute au Stade de Reims !
- Vous croyez ? Avec Kopa, Fontaine, Piantoni ou Jonquet... ça devrait être une balade de santé !
- Pas sûr, au foot, il ne suffit pas d’avoir des vedettes, il faut se battre. Et en équipe ! »
La danse« L’Albert, c’est que... il dansait bien ! »
« C’était un après-midi où le mois de mars précédait un printemps de glycines. Moins casanière qu’à son habitude, sa mère avait accepté de l’accompagner pour une balade au grand air, du côté de Sidi-Ferruch. Mais à peine avait-il dépassé les Bains Padovani qu’il avait souhaité s’arrêter « juste un moment » dans une de ces salles où les grands animateurs du moment, Dany Romance ou bien Lucky Starway et son Grand Orchestre de Radio Alger, menait la cadence. La halte se prolongea jusqu’à la fin de la soirée, pour la plus grande joie de Mme Camus qui, pourtant, était restée sur sa chaise immobile, mais qui le lendemain confia à une de ses voisines : « L’Albert, c’est que... il dansait bien ! », joignant le geste d’une main virevoltante à sa parole saccadée pour se faire bien comprendre. Albert était fier et ému. Faute de pouvoir apprécier ses qualités littéraires, sa mère avait dit son admiration pour le danseur. Elle était même sortie de son mutisme pour le dire. »
Le Nobel et son pantalon froissé
Marcel Camus entreprend de raconter à sa mère « ces journées mémorables » de la remise du Nobel « Il extirpait de sa serviette des coupures de presse, lui montrait des photos... Là, c’était lui en habit, avec un col cassé et un nœud papillon... »
« (...) Soudain d’un geste de la main, elle lui fit signe de s’interrompre, se leva et lui dit de sa voix hésitante : « A’bert...ton pa’talon froissé. Faut repasser. Enlève ! »
Alors que la vieille installait sur la table de la salle à manger une couverture et un vieux drap jauni des stigmates du fer brûlant, il défit sa ceinture et enleva son pantalon qu’il tendit à sa mère. Bientôt le fer, au contact de la pattemouille, se mit à souffler comme un chat énervé, libérant des odeurs de roussi et de chemin d’hiver. Il était là, en chaussures, chaussettes et slip, finissant sa cigarette, un sourire aux lèvres : il imaginait l’un de ses détracteurs parisien découvrant la scène.
Son repassage terminé, la mère posa délicatement le pantalon sur un dossier de chaise. Albert savait qu’il lui fallait attendre un peu pour éviter qu’il ne se fripe à nouveau s’il l’enfilait trop vite. Il retrouva cette hâte d’adolescent avec les habits propres et repassés du lundi matin qu’on s’empressait de revêtir pour humer la bonne odeur chaude du propre qui, une fois par semaine, sentait le neuf. »
Centenaire Albert Camus: Catherine Camus parle de son père
7 JUIN 2013 PAR JOURNAL CESAR ICI