En France, à défaut de pétrole, nous avons eu droit en plein mois de juillet, selon le Président Mélenchon, à un Watergate.
Rien que ça, sans vouloir ironiser permettez-moi d’affirmer que ce genre d’affirmation sent la boursouflure, relève de l’outrance, comparaison n’est pas raison mais c’est du Mélenchon pur sucre.
Pour autant, monsieur le Président de la République, dans cette affaire, car s’en est une, que vous le vouliez ou non, vous, votre cabinet, vos ministres, vos élus, avez été calamiteux, au-dessous du niveau de la mer.
Le seul qui surnage dans ce naufrage c’est votre Premier Ministre, Édouard Philippe :
« Or réside là toute la différence entre la prestation d'Emmanuel Macron avec celle, remarquée car remarquable, d'Édouard Philippe. Celle-ci avait eu lieu devant les Français, le même mardi 24 juillet, mais au sein de l'Assemblée nationale, devant la majorité et les oppositions. Avec des techniques oratoires conformes à sa personnalité, le Premier ministre a manié l'humour pince-sans rire, le flegme et la précision pour renvoyer dans leurs réquisitoires les plus grands procureurs de l'hémicycle, y compris le redoutable Jean-Luc Mélenchon. Il l'a donc fait au milieu du Palais-Bourbon et filmé en direct ; devant les députés élus par le peuple souverain et sous les yeux des Français. »
Oui, monsieur le Président, pourquoi ne pas s’adresser à nous, directement, sans filtre, pour nous expliquer ce qu’il s’était passé ?
Au lieu de cela, vos colins froids, se sont évertués à tortiller du cul pour chier droit, à se prendre les pieds dans le tapis en donnant le sentiment qu’ils voulaient cacher la poussière dessous. La gestion par vos troupes de la commission d’enquête à l’Assemblée Nationale est un cas d’école, faire pire demandera beaucoup d’acharnement dans la stupidité.
Maître des horloges dites-vous, et soudain vous sortez de votre mutisme, que certains qualifieront de hautain, bien au chaud, à la Maison de l’Amérique latine, devant votre troupe de godillots :
« On ne peut pas être chef par beau temps. S'ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu'ils viennent le chercher. Et ce responsable, il répond au peuple français, au peuple souverain. »
Fort bien, vous assumez, « Le seul responsable c'est moi et c'est moi seul ; c'est moi qui ai fait confiance à Alexandre Benalla. » « C'est moi qui ai confirmé la sanction » et, un plus tard vous affirmez que vous ne regrettez pas de l’avoir embauché car c’était un garçon qui avait su s’extraire de sa condition à la force du poignet.
Il y a chez vous un petit côté transgressif qui ne me déplaît pas même si le trouve un peu trop propre sur lui avec une petite pointe de condescendance propre à ceux dont le parcours a été jonché de pétales de roses et non d’épines.
Mais, il y a un gros mais, vous ne pouvez pas vous empêcher de faire du Sarkozy, le petit coq de basse-cour (qualification utilisée à dessein) :
« Avec ce « qu'ils viennent [me] chercher », voilà donc qu'à l'amateurisme de François Hollande dans la gestion de crise, Emmanuel Macron adjoint le ton direct – et un brin vulgaire – que Nicolas Sarkozy avait utilisé à l'égard de pêcheurs en 2007. Il lui va mal. Subitement, la verticalité se teinte de brutalité, et la démonstration de haute volée du sens des responsabilités baisse en gamme. »
Que la presse française, Le Monde y compris, ne brille pas particulièrement pour son professionnalisme, j’en conviens. Dans la majorité des cas, sa capacité d’investigation ne va pas au-delà de la réception dans la boîte e-mail des limiers, d’informations détenues par la police. Madame Chemin écrit bien mais qui peut-elle convaincre lorsqu’elle s’autoproclame enquêtrice ?
Pas moi !
Que vous régliez vos comptes avec la presse, c’est votre choix et, pour ne rien vous cacher, ça ne me fait ni chaud ni froid ou, comme le disait le grand Jacques la fainiasse : « Ça m'en touche une sans faire bouger l'autre ».
Ce qui m’exaspère, sans que pour autant je rallie le camp des imprécateurs, c’est que vous avez choisi, dans un premier temps de sortir de votre mutisme devant les représentants de votre camp et d’en profiter pour étriller « la presse ».
Et nous, monsieur le Président de la République, les nases, on sent le gaz ?
Votre petit jeu de communication sur les fameux réseaux sociaux, beaucoup d’entre nous s’en branlent, pour ma part je n’ai comme tout un chacun qu’une toute petite voix que je glisse dans l’urne, je fais partie des retraités privilégiés qui payent plus de CSG sans bramer, mais vous ne m’empêcherez pas de vous déclarer que vous vous comportez à notre égard comme un jeune gougnafier.
Le respect de votre fonction, qu’à juste raison, vous exigez de nous, je vous le renvoie à notre égard, oui respectez-nous, expliquez-vous devant nous, sans artifice de communication.
Tempête dans un verre d’eau venez-vous de déclarer !
Vous en portez la coresponsabilité.
Si vous étiez passé par la case bouse de vache du Ministère de l’Agriculture, comme le défunt Michel Rocard, vous auriez au moins appris à gérer à chaud une crise, à vous mettre les mains dans le cambouis ou, comme je suis bon prince, dans le concentré de tomates. En passant, je profite de l’occasion pour dire que sur l’un des grands dossiers de votre quinquennat, l’alimentation, vous êtes en train de trouver vos limites, vous allez subir un vrai revers.
Un peu d’humilité ne nuit pas à l’autorité.
Le vieux monde n’est pas derrière vous, il est autour de vous.
Votre chance, c’est qu’en face, les oppositions n’offrent aucune perspective valable à des gens comme moi. Auriez-vous atteint vos limites monsieur le Président de la République ?
J’ai toujours fait mien le « Dieu me garde de mes amis ! Mes ennemis, je m'en charge. »
La lecture de l’interview au Monde de celui par qui le scandale est arrivé est révélatrice du climat qui règne dans votre entourage. (voir plus bas).
Là encore c’est votre problème pas le mien, votre gestion des hommes me semble guère à la hauteur de vos ambitions.
Vous sortez de cette crise à la française, affaibli aux yeux de vos concitoyens comme sur la scène internationale, saurez-vous mettre un mouchoir sur votre orgueil pour venir simplement vous expliquez devant nous sans pour autant nous faire la morale, nous ne sommes pas des enfants.
Je ne suis pas un pêcheur à ligne et je n’ai nulle intention de le devenir lors des prochaines élections.
Votre porte-parole déclare que « Toutes les leçons seront tirées à la rentrée »
Les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
Rétablir la confiance ne se joue pas au bonneteau va falloir mouiller le maillot monsieur le Président, ne plus nous tartiner des discours mais, comme savait si bien le faire Pierre Mendès-France, venir nous dire sur quel chemin vous nous conduisez.
Bien sûr, on ne sort de l’ambigüité qu’à son détriment, mais ça je croyais que c’était l’ancien monde, celui des pères François, l’onctueux de Jarnac et le faux-bonhomme qui vous a mis le pied à l’étrier.
Sous vos dehors transgressif vous êtes fichtrement conformiste monsieur le Président de la République.
J’ai horreur des Cours et des courtisans, et Dieu sait qu’en 10 ans de service sous les ors de la République j’en ai vu défiler des oui monsieur le Ministre, des le Président a dit, l’entourage, le premier cercle des grognards, des arrivistes, ceux qui veulent sitôt nommé changer la moquette de leur bureau, ceux qui adorent faire couiner leur deux tons et briller leur gyrophare dans les rues de Paris, ceux qui sont là pour accélérer leur carrière, ceux qui profitent au nom de l’impunité, ceux qui ragotent, ceux toujours bien placé sur la photo.
Être en capacité de vous dire les yeux dans les yeux « vous déconnez monsieur le Président » c’est faire œuvre utile.
Trop de consanguinité intellectuelle nuit.
Ouvrez les portes et les fenêtres, laissez entrer la vrai vie dans votre palais !
Cette « tempête dans un verre d’eau », c’est vous qui le dites, me semble révélatrice de l’incapacité de nos élites à donner l’exemple.
Oui, l’exemplarité monsieur le Président, un truc de vieux con sans aucun doute, je ne parle ici de la vertu mais de la capacité de ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir à mettre leurs actes en conformité avec leurs paroles. Mettre à mal le fameux « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais. »
Cessez de nous prendre pour des demeurés !
Vous noterez que je ne hurle pas avec les loups monsieur le Président de la République, que je ne fais pas parler les morts – j’aurais pu le faire en évoquant les cendres de Monticello – mais votre chien fou, cet Alexandre rouleur de mécaniques, est pour moi un pur produit du défunt PS que vous avez contribué à exécuter.
Au fait pourquoi le virez-vous ce brave méritocrate couvert de faveurs ?
Un fusible ?
L’éditorialiste du Monde, le journal par qui le scandale est arrivé, écrit :
« Le président assume donc sa responsabilité personnelle et il récuse la « République des fusibles ». Cette responsabilité tient essentiellement à la confiance qu’il a naguère prodiguée à M. Benalla. Il a marqué sa « déception » et dénoncé sa « trahison ».
Mais, en même temps, applaudi par ses fidèles, il a fait l’éloge de son collaborateur, saluant son « courage », son « talent », son « engagement » (à quatre reprises) et même sa « dignité ». Alors que des enquêtes, judiciaires, parlementaires, sont toujours en cours, il a plaidé responsable, mais pas coupable, des fautes et des erreurs qui ont émaillé cette affaire. Une posture que M. Macron peut afficher d’autant plus facilement qu’il est protégé par la Constitution. »
« M. Macron s’est ainsi livré à un habile tour de passe-passe. Tout en se défendant de sacrifier des collaborateurs sur « l’autel de l’émotion populaire », il a reconnu la gravité des faits reprochés à M. Benalla et entend corriger les dysfonctionnements observés. Mais, en même temps, il a cherché à faire disparaître la crise que l’affaire a générée. Paradoxalement, en tentant de faire baisser la pression, il a admis en creux l’importance de la crise que traverse l’exécutif.
En malmenant les contre-pouvoirs, en laissant planer des zones d’ombre, des imprécisions, des omissions, voire des contradictions, le président de la République fait un pari osé. Le résultat de sa contre-attaque pourrait aboutir à l’inverse de l’objectif recherché et mettre de l’huile sur le feu en galvanisant ses oppositions. M. Macron espère sans doute que l’été apaisera la fièvre et que le Parlement reprendra à la rentrée le chemin de la réforme constitutionnelle. Mais il n’est pas sûr qu’il ait rempli son rôle de gardien des institutions. »
Merci de ne pas me faire le coup du microcosme parisien cher à Raymond Barre : « Les porteurs de pancartes, ceux qui scribouillent, jacassent et babillent, le chœur des pleureuses et le cortège des beaux esprits, des milieux qui ne vivent que de manœuvres, d’intrigues et de ragots. »
« Ma détente, lorsque j'étais à Matignon, était de lire le grouillement du microcosme dans Le Canard enchaîné. Je n'ai jamais vraiment souffert d'être caricaturé. »
Vous en êtes, vous et votre garde rapprochée, moi pas, sans pour autant me draper dans les oripeaux de la France profonde, du peuple invoqué pour le meilleur et pour le pire comme le font les adeptes du moulin à prière, alors je vous en prie reprenez-vous, mettez un mouchoir sur votre ego, redescendez sur le plancher des vaches.
Ne vous illusionnez pas ce petit ouragan dans un verre à pied a fait du dégât, vous allez payer cash auprès de vos électeurs :
Retweeted Bruno Jeanbart (@bjeanbart):
72% des Français jugent l’affaire Benalla grave et près d’une personne sur deux (46%) très grave. Même les électeurs d’Emmanuel Macron au premier tour de 2017 partagent ce point de vue (54%)
@opinionway pour @LCI
Je reprends ici les propos d’Axel Kahn (l’intégralité ci-dessous)
« L’affaire Benalla est sérieuse mais relativement mineure dans l’histoire de la cinquième république. Pensons à Auriol, au SAC et à ses cartes tricolores, à Pasqua et à Ouvéa,, aux CDR, à Barril et aux écoutes de l’Élysée sous Mitterrand, à l’attentat de Karachi, à Kadhafi, aux Balkany, à Cahuzac. Ici, un chargé de mission sécurité passé de Martine Aubry à Hollande puis à Macron pour lequel le nouveau président a de la sympathie et qui lui inspire confiance. C’est une confiance bien mal investie, coupable. Le dit Benalla joue indûment les cowboys à l’encontre d’un couple qui jette des bouteilles sur les CRS. Il y a brutalité mais ni blessure ni incapacité provoquée. La sanction de l’Élysée est insuffisante. Dans l’état des informations, voilà ce que l’on sait.
Cependant, la révélation de l’affaire par le Monde destinataire d’une vidéo tronquée (les jets de bouteilles, avoués par le couple, n’y figure pas), de Taha Bouhafs, activiste de la FI, semble entraîner une véritable sidération à l’Élysée. Toutes les suppositions peuvent dès lors être faites.
C’est là qu’intervient la mise en route de la revanche tant espérée de la totalité de l’éventail politique, de Poutou et de la FI à LR et au FN. Ce sérail de l’extrême gauche à l’extrême droite avait été humilié par l’insolente et impudente victoire en 2017 de cet intrus, ce blanc-bec. Il n’y a aucune unité politique dans ce sérail. La droite approuve des réformes qu’elle n’a jamais osé mettre en œuvre et que la gauche combat. Alléluia, il existe pourtant un motif d’union, la chasse au Macron, le dégommage du vainqueur honni de 2017. Enfin, il fait une faute, abattons le. Ils ne le lâcheront plus. Or, le président Macron est plus seul que ne l’a jamais été aucun Président de la cinquième République. Sans parti véritable, il ne peut compter sur aucune presse favorable. Au plus fort de l’impopularité de Mitterrand, l’Obs. et Libé ne participait pas à l’hallali. Idem avec Hollande. La haine de Sarkozy n’a jamais dissuadé Le Figaro, Valeurs Actuelles et quelques autres de le soutenir. Rien de tel avec Macron. Les publications de gauche, modérées, de droite et d’extrême droite sont aussi violentes les unes que les autres à mener la charge. Ils ne le lâcheront pas et il aura beaucoup, beaucoup de mal à poursuivre la réalisation de son projet. Je pense qu’in fine les forces politiques dominantes du pays remporteront la mise. La droite, donc. Soit. Pour ma part, je ne m’associerai pas plus à la meute aux trousses du président que je ne me suis associé à ses thuriféraires de 2017. »
Je partage !
ILS NE LE LACHERONT PLUS ... par Axel Kahn
Ceux qui suivent ce mur connaissent l’évolution de ma position vis à vis d’Emmanuel Macron. J’ai critiqué le ministre de François Hollande, inspirateur de toute sa politique économique et sociale. J’ai toujours reconnu la grande intelligence de l’homme. Lorsqu’il a été candidat, j’ai signalé qu’il n’était en rien un homme de gauche, pas un social-démocrate non plus, mais un libéral néoclassique sociologiquement et politiquement centriste, plutôt de centre droit. Je n’ai à la présidentielle voté pour lui ni au premier ni au second tour. Au deuxième tour, la défaite de MLP étant certaine et prévue large, j’ai voté blanc. Une fois le président élu, j’ai dans un billet posté le 7 mai à 20h fait un pronostic de ce que serait sans doute la présidence du nouvel élu.
Attaché à mon pays et à ses habitants plus qu’à quelque étiquette que ce soit, j’ai annoncé que je ne souhaitais pas l’échec du nouveau président, puisqu’il avait été élu. De plus, je suis très conscient que l’alternative à Emmanuel Macron est actuellement à droite. Certes pas à gauche.
L’affaire Benalla est sérieuse mais relativement mineure dans l’histoire de la cinquième république. Pensons à Auriol, au SAC et à ses cartes tricolores, à Pasqua et à Ouvéa,, aux CDR, à Barril et aux écoutes de l’Élysée sous Mitterrand, à l’attentat de Karachi, à Kadhafi, aux Balkany, à Cahuzac. Ici, un chargé de mission sécurité passé de Martine Aubry à Hollande puis à Macron pour lequel le nouveau président a de la sympathie et qui lui inspire confiance. C’est une confiance bien mal investie, coupable. Le dit Benalla joue indûment les cowboys à l’encontre d’un couple qui jette des bouteilles sur les CRS. Il y a brutalité mais ni blessure ni incapacité provoquée. La sanction de l’Élysée est insuffisante. Dans l’état des informations, voilà ce que l’on sait.
Cependant, la révélation de l’affaire par le Monde destinataire d’une vidéo tronquée (les jets de bouteilles, avoués par le couple, n’y figure pas), de Taha Bouhafs, activiste de la FI, semble entraîner une véritable sidération à l’Élysée. Toute les suppositions peuvent dès lors être faites.
C’est là qu’intervient la mise en route de la revanche tant espérée de la totalité de l’éventail politique, de Poutou et de la FI à LR et au FN. Ce sérail de l’extrême gauche à l’extrême droite avait été humilié par l’insolente et impudente victoire en 2017 de cet intrus, ce blanc-bec. Il n’y a aucune unité politique dans ce sérail. La droite approuve des réformes qu’elle n’a jamais osé mettre en œuvre et que la gauche combat. Alléluia, il existe pourtant un motif d’union, la chasse au Macron, le dégommage du vainqueur honni de 2017. Enfin, il fait une faute, abattons le. Ils ne le lâcherons plus. Or, le président Macron est plus seul que ne l’a jamais été aucun Président de la cinquième République. Sans parti véritable, il ne peut compter sur aucune presse favorable. Au plus fort de l’impopularité de Mitterand, l’Obs et Libé ne participait pas à l’hallali. Idem avec Hollande. La haine de Sarkozy n’a jamais dissuadé Le Figaro, Valeurs Actuelles et quelques autres de le soutenir. Rien de tel avec Macron. Les publications de gauche, modérées, de droite et d’extrême droite sont aussi violentes les unes que les autres à mener la charge. Ils ne le lâcheront pas et il aura beaucoup, beaucoup de mal à poursuivre la réalisation de son projet. Je pense qu’in fine les forces politiques dominantes du pays remporteront la mise. La droite, donc. Soit. Pour ma part, je ne m’associerai pas plus à la meute aux trousses du président que je ne me suis associé à ses thuriféraires de 2017.
Axel Kahn
Entretien exclusif : Alexandre Benalla livre ses vérités
Plus d’une semaine après les révélations du « Monde », l’ex-chargé de mission de l’Elysée a accepté de répondre longuement à nos questions.
LE MONDE | 26.07.2018 à 09h26 • Mis à jour le 26.07.2018 à 10h06 |
Propos recueillis par Gérard Davet, François Krug et Fabrice Lhomme
Pour la première fois depuis le déclenchement de l’affaire qui porte son nom, Alexandre Benalla parle. Barbe rasée pour ne pas être importuné, l’ancien chargé de mission de l’Elysée, accusé d’avoir molesté deux manifestants en marge des manifestations du 1er-Mai, a accepté de répondre longuement aux questions du Monde.
L’entretien, que nous n’avons pas fait relire, s’est déroulé à Paris, mercredi 25 juillet, au domicile de Marc Francelet, un ancien journaliste reconverti dans les affaires qui se présente aujourd’hui comme « communicant ». Lors de la séance photo, réalisée en fin de journée, est apparue Michèle Marchand, figure de la presse people et très proche du couple Macron. Preuve que dans la tempête, M. Benalla n’est pas un homme seul.
Estimez-vous avoir « trahi et déçu » Emmanuel Macron ? Ce sont ses mots…
Ce sont des déclarations que je comprends. Parce que s’il y a un problème autour du président de la République, il ne doit pas être provoqué par un collaborateur. C’est quelqu’un qui avait – et qui a toujours, je pense – confiance en moi, dans mon action au quotidien. Mais au vu de ce que cette histoire a déclenché, je ne vois pas quels autres termes il aurait pu employer pour qualifier la situation. Donc forcément qu’il y a de la déception, forcément qu’il doit y avoir un sentiment de trahison…
Avez-vous le sentiment de l’avoir trahi ?
Moi, je n’ai pas le sentiment d’avoir trahi le président de la République, j’ai le sentiment d’avoir fait une grosse bêtise. Et d’avoir commis une faute. Mais cette faute, elle est plus d’un point de vue politique : je n’aurais jamais dû aller sur cette manifestation en tant qu’observateur, puis j’aurais, peut-être, dû rester en retrait.
Reprenons du début. Comment apparaissez-vous dans l’entourage de M. Macron ?
Au départ, à l’été 2016, un copain m’appelle et me dit : « Alexandre, Emmanuel Macron va sans doute se lancer dans la bataille pour la présidentielle. » On est à une période, après sa démission le 30 août, où le gouvernement lui refuse de pouvoir conserver ses officiers de sécurité. Or, c’est une personnalité quand même exposée. Progressivement, je m’oriente vers de nouvelles fonctions : directeur de la sûreté et de la sécurité du mouvement En marche ! Il y a les premiers meetings à monter, Strasbourg, Le Mans… En fait, mes fonctions, c’est de l’organisation pure et simple, car les gens d’En marche ! sont inexpérimentés.
Mais avez-vous la compétence pour ça ?
Oui, je l’ai apprise, sur le terrain, au Parti socialiste, dont j’ai été membre du service d’ordre de 2009 à 2012, avec Eric Plumer [chef du service d’ordre de l’époque], qui m’a formé et tout appris… J’ai fait la campagne de Hollande.
Quel est votre premier contact avec Macron ?
Très amical. Amical au sens large du terme, Macron est quelqu’un de très facile d’accès, qui a un charisme. Avec lui, vous êtes à l’aise tout de suite. J’ai rencontré pas mal de « bêtes » politiques, mais chez lui, il y a quelque chose de plus qui se dégage. Je l’ai toujours vouvoyé, il est président de la République, pas de familiarité entre lui et moi. Après, lui, il peut donner du « tu », du « vous », ça dépend de la situation, mais moi, je l’ai toujours vouvoyé.
Avant l’élection, êtes-vous armé ?
Je fais une première demande au ministère de l’intérieur, fin 2016. On me répond que ce n’est pas possible. Mais il y a deux cents personnes qui bossent au QG, représentant une « cible molle », comment les protéger de la menace terroriste ou même d’un fou ? Donc on fait la demande d’acquérir et détenir des armes dans le QG. Et on obtient finalement de la Préfecture de police l’autorisation de détenir des armes, des Glock 17 de mémoire, mais dans le QG uniquement.
N’êtes-vous jamais sorti avec ?
Non, jamais. On n’est pas mabouls, il y a un risque pour la réputation du candidat…
Avez-vous les compétences pour porter une arme ?
Bien sûr ! Je suis inscrit dans un club de tir depuis des années et je suis un réserviste de la gendarmerie. Il n’y a pas d’amateurisme là-dedans, au contraire. Et si le préfet de police a accordé l’autorisation, c’est qu’il estimait bien qu’il y avait une menace.
Comment se passe la suite, notamment l’intronisation de Macron au Louvre ?
Déjà, c’est moi qui trouve le lieu, le Louvre, parce qu’on cherchait un endroit facile à sécuriser et simple d’accès, sachant que la maire de Paris nous refuse absolument tout !
Après la passation des pouvoirs, que se passe-t-il ?
Le soir de la passation, Patrick Strzoda [directeur de cabinet du président] vient me trouver et me dit : « Le chef m’a expliqué que vous étiez un mec bien, j’ai quelque chose à vous proposer, faudra qu’on se voie dans les jours à venir… » Et je m’installe à la chefferie de cabinet, au 1er étage. Strzoda me convoque quelques jours après, me dit : « Vous avez un profil sécurité, on m’a dit que vous étiez un génie de l’organisation, je vous vois bien à la chefferie de cabinet, ça vous va ? » Et j’entre donc officiellement avec le titre de « chargé de mission auprès du chef de cabinet du président de la République ».
Un contrat de combien de temps, pour quel montant ?
Un contrat sur toute la durée du mandat, donc cinq ans, rémunéré 6 000 euros net, c’est le salaire de tous les chargés de mission.
Quel va être votre rôle ?
Moi, je dois m’occuper des affaires privées du président de la République, parce qu’il a une vie à côté de ses fonctions, avec Brigitte Macron, celle d’un Français normal. Il va au théâtre, au restaurant, part en vacances… Je suis toujours présent, avec le groupement de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et le service privé du président.
Y avait-il besoin d’une personne comme vous, en plus des membres du GSPR ?
Mais le GSPR, ils ne sont pas du tout dans l’organisation. Eux ne prennent en compte que la sécurité. Par exemple, si le président va au théâtre, moi je vais tenir compte de la tranquillité du couple présidentiel, de l’image du président, etc.
Vous avez 25 ans, et vous vous retrouvez à donner des ordres à des policiers expérimentés…
En fait, tout à l’Elysée est basé sur ce que l’on peut vous prêter en termes de proximité avec le chef de l’Etat. Est-ce qu’il vous a fait un sourire, appelé par votre prénom, etc. C’est un phénomène de cour.
Mais vous-même, vous considérez-vous proche du président ? Au Touquet, par exemple vous aviez les clefs de sa maison…
Je n’ai jamais détenu les clefs ! Elles sont à disposition du GSPR. Après il peut arriver qu’il y ait un truc à récupérer, donc il m’est arrivé de les avoir en main, mais je ne les ai jamais détenues, ni eues chez moi.
Il y a eu des frictions entre vous et le GSPR…
Des frictions, oui, mais sous forme de non-dits. Moi, j’ai toujours fait les choses, non pas pour ma personne, mais dans l’intérêt du président. Mais il y a des gens qui sont formatés d’une autre façon. On fait le sale boulot. Et on s’expose forcément. Et quand on s’expose face à ce type de personnes, ils vous disent « oui » avec un sourire, mais ils n’oublient pas… Je ne fais pas partie du club. Je le ressens mais je dois en faire abstraction, car la seule chose qui compte c’est que le président soit bien.
On vous taxe d’arrogance…
Non, je n’ai pas le melon. La vérité, c’est que ma nomination à ce poste, ça a fait chier beaucoup de gens. Parce qu’un gamin de 25 ans, qui n’a pas fait l’ENA, qui n’est pas sous-préfet – parce que je suis le seul à ne pas l’être dans l’équipe, je suis l’extraterrestre de la bande ! –, et en plus qui dit les choses, là où il n’y a que des non-dits, évidemment, ça suscite des rancœurs…
Avez-vous un logement de fonction ?
On met un appartement attribué « par nécessité absolue de service » à ma disposition. Le 8 ou 9 juillet, on me remet les clefs. J’avais demandé au directeur de cabinet du président, Patrick Strzoda, s’il était possible d’avoir un appartement, et il m’avait dit « bien sûr, vu les contraintes liées à vos fonctions, il y a un appartement qui est en train d’être rénové, je vous l’attribue… » Oui, un appartement de 80 mètres carrés, pas 300 comme ça a été dit.
On a parlé de la carte d’accès à l’hémicycle de l’Assemblée comme d’un passe-droit…
Moi, je ne considère pas ça comme un passe-droit. C’est une demande de ma part, cette carte. J’en avais bénéficié d’une avant Emmanuel Macron, en tant que collaborateur parlementaire bénévole. Je l’ai demandée tout simplement parce que j’aime aller à la salle de sport de l’Assemblée. C’est peut-être un caprice de ma part, je l’admets.
Une fois à l’Elysée, faites-vous une demande de port d’arme ?
Oui, je la fais, auprès du ministre de l’intérieur. Par courrier. Mais elle est refusée car d’un point de vue administratif, celle que j’avais déposée du temps d’En marche ! est encore en cours d’étude, à la direction générale de la police nationale (DGPN). Je vois alors qu’on peut faire la demande en passant par le cabinet du préfet de police, en passant par la voie hiérarchique, c’est-à-dire Patrick Strzoda. Il la transmet, sans l’appuyer. Après enquête, et considérant que ma fonction est exposée, on m’autorise à acquérir un Glock et à le détenir dans l’exercice de ma mission.
Les policiers ne vous ménagent pas…
Les syndicats de police ne disent que des conneries, ils ont trouvé le moyen d’exister alors qu’ils sont très affaiblis au sein de la police nationale. Ça ne me touche pas.
Vous étiez suspendu, rétrogradé, mais vous avez pourtant géré le retour des Bleus en juillet ou encore l’hommage à Simone Veil…
Parce que toutes les missions délicates sont pour moi, mais je ne participe plus aux déplacements du président. S’agissant du bus des Bleus, j’ai monté les réunions préparatoires mais je n’ai pas donné l’ordre d’accélérer le rythme du bus ! Je suis juste là pour informer l’Elysée s’il y a un problème. Et je ne m’occupe pas des bagages des joueurs !
Pourquoi étiez-vous habilité secret-défense ?
On a accès à des informations sensibles quand on approche le président. J’ai eu droit à une enquête très poussée de la DGSI, j’ai une habilitation secret-défense, mais je n’ai pas les codes nucléaires ! Les plans de l’Elysée, c’est classifié, les notes de services le sont, et je produis des documents qui sont classifiés, notamment la future direction de la sécurité de la présidence de la République (DSPR), à la conception de laquelle j’ai participé. Au cabinet, tout le monde est habilité.
Avez-vous voulu réorganiser le service de protection du président ?
Deux entités concourent à la même mission : le commandement militaire, la gendarmerie, et de l’autre, le GSPR. Le GSPR, c’est l’enfant terrible de l’Elysée. Il y a des incohérences qui, pour moi, sont complètement incroyables. Si demain il y a une cohabitation, vous avez la sécurité qui est sous la main du ministre de l’intérieur.
Le service de la protection de la personne [SDLP], qui coiffe administrativement le GSPR, n’a pas accès aux déplacements du président de la République, c’est leur rêve, ils nous appellent dix fois par jour pour être dans l’avion avec le président. Ils n’ont qu’un pouvoir de nuisance qu’ils savent mettre en œuvre si vous ne leur donnez pas ce qu’ils veulent, le SDLP. Ce n’est pas la création d’une garde prétorienne, le président ne va pas avoir à son service des mercenaires ou des barbouzes… On avait bien avancé, mais on avait en face un ministère de l’intérieur qui refusait de participer à l’élaboration de cela. Je n’aurais eu aucun rôle dans la future structure. Je n’avais aucun intérêt à quitter le cabinet. Lire aussi : Les personnages-clés à connaître pour comprendre l’affaire Benalla
Imaginez-vous être victime de règlements de comptes internes à la police ?
Je fais plus que l’imaginer : on a essayé de m’atteindre, de me « tuer », et c’était l’opportunité aussi d’atteindre le président de la République. Les faits, je les assume, je ne suis pas dans la théorie du complot, c’est la réalité. Sur ce qui s’est passé après, je suis beaucoup plus réservé. Il y avait en premier une volonté d’atteindre le président de la République, c’est sûr et certain. Et je suis le maillon faible, je le reconnais. Et en même temps, il y a énormément de gens qui se frottent les mains en se disant « ça y est, on s’est débarrassé de lui, il ne va plus nous emmerder, c’est fini ». Les gens qui ont sorti cette information sont d’un niveau important.
Au ministère de l’intérieur ? Des fonctionnaires ?
Des politiques et des policiers. Et je ne pense pas à Collomb en qui j’ai confiance, je ne suis personne pour lui. Mais il y a des gens qui travaillent autour de lui qui auraient pu…
Son directeur de cabinet, le chef de cabinet ?
Le chef de cabinet, j’ai une entière confiance en lui. On s’est servis de mon affaire pour régler des comptes, ça a pris des proportions… Je dis pas que j’ai servi de fusible, je dis juste que ça a servi plusieurs intérêts, un intérêt pour atteindre le président de la République, à un moment pas mal pour lui, une bonne séquence, et voyant que ça avançait pas mal de mon côté et que j’emmerdais pas mal de monde alors que je faisais juste mon travail. Et faire son travail, c’est surtout ce qu’il ne faut pas faire, sauf si vous avez un statut particulier ou que vous faites partie de la bande. Ce n’était pas mon cas.
Pensez-vous être victime d’un complot ou d’un règlement de comptes visant Emmanuel Macron ?
C’est une façon d’attraper le président de la République par le colback. J’étais le point d’entrée pour l’atteindre, le maillon faible. Au bout d’un an, il y a des inimitiés qui se créent, il y a des gens qui ne supportent pas que vous ne fassiez pas partie du club, que vous ne soyez pas énarque, sous-préfet… Je pense que si j’avais eu un tel statut et qu’il s’était passé ce qui s’est passé le 1er mai, les choses auraient été différentes.
C’est vous qui demandez à être présent le 1er mai ?
Je ne demande pas à être observateur. Je suis invité à être sur place par Laurent Simonin, chef d’état-major à la Préfecture de police. Il me dit un jour : « Je te propose de participer sur le terrain au service en tant qu’observateur… » Ce sont eux qui me le proposent. Contrairement à ce que dit le préfet de police, quand il parle de copinage malsain, je n’ai jamais pris une bière ou mangé au restaurant avec Laurent Simonin.
Le 26 mars, je reçois le SMS de Simonin, puis le 27 avril, je reçois un appel de Simonin qui me demande toutes mes mensurations. Ensuite, je vais voir le directeur de cabinet, Patrick Stzroda, je lui dis que j’ai été invité. Il me dit, « c’est très bien, c’est une bonne expérience ». En aucun cas Stzroda ne sait que je vais me retrouver avec un casque sur la tête, à deux pas des casseurs, place de la Contrescarpe.
Dénoncez-vous une sorte d’amateurisme dans la réalisation de cette mission ?
Même si j’ai été surpris, je ne m’y suis pas opposé. La réalité des choses, c’est que la préparation et l’encadrement de cette mission d’observation, elle n’a pas été au niveau. Il n’y a pas de copinage malsain. Quand on fait venir un magistrat ou un journaliste, il y a trois policiers autour de lui. Même s’il est habillé en policier.
D’où provient l’équipement de policier que vous utilisez ?
L’officier de liaison de l’Elysee vient deux jours avant la manifestation avec un sac qu’il me remet, avec un casque, un ceinturon en cuir, un masque à gaz, un brassard police et une cotte bleue marquée police et un grade de capitaine dessus. L’équipement reste dans mon bureau. Puis, j’ai un kit oreillette et le porte-radio. On me procure ensuite des rangers et une radio. Je n’y connais rien, déjà je suis surpris. Je mets le brassard dans ma poche au cas où ça camphre, je prends la radio pour savoir ce qui se passe, dans la salle, je n’ai pas parlé à la radio, vous pouvez chercher c’est enregistré, je n’ai aucune légitimité à parler.
Comment cela se passe-t-il le 1er mai ?
Je laisse tout dans le coffre, on descend en salle de commandement pour commencer la présentation. Je salue Laurent Simonin, le directeur adjoint Eric Belleut qui me parle pendant dix minutes, même s’il l’a oublié, apparemment. Ils me présentent le dispositif. Et on part avec le major, pris en charge dans une Ford Mondeo équipée police, avec le gyrophare. Je demande ce que je fais de mes affaires. Le major me dit : « T’as pas besoin de ça, prends juste ton brassard et la radio. » Le black bloc commence à se former au niveau du pont. Ils descellent les pavés, ils avancent, mettent le feu au McDo. Je recule. C’est la confusion la plus totale, on se retrouve sur un côté. Les CRS arrivent. Un policier me dit : « T’as un brassard ? Ils savent pas si t’es un collègue. » Je le mets, j’ai une radio dans la main.
Que se passe-t-il place de la Contrescarpe ?
Une cinquantaine de jeunes sont au milieu de la place, avec des lunettes de piscine, je pense pas qu’ils avaient piscine, des masques de chantier, je ne pense pas qu’ils travaillaient sur des chantiers, des sacs à dos, des casquettes coquées, c’est un lieu de regroupement donné sur les réseaux sociaux. Les lunettes, ça sert à échapper aux lacrymos. Je prends le casque dans le coffre de la voiture car le major me dit, « on ne sait pas ce qui peut se passer et je le dissimule sous ma chemise ». Ils se déchaînent, ils envoient les verres sur les CRS, on est en retrait, on est isolés, c’est de la guérilla urbaine, des gens masqués, avec des bras d’honneur, les CRS ne savent pas qui on est, personne n’est au courant.
A un moment, je vois ces deux personnes, ce couple qui s’enlaçait tendrement au milieu de la place cinq minutes auparavant. Ils avaient insulté avant, on les avait repérés, c’était les plus agités de la bande, la fille essaie de saisir une table, elle n’y arrive pas, elle jette une chaise, son copain se met au milieu de la place, il jette une bouteille qui arrive sur la tête d’un CRS, elle reprend des bouteilles, ça arrive sur l’épaule d’un CRS, elle fait des bras d’honneur… On les voit sur la vidéo, elle est hystérique et lui aussi.
Et vous décidez d’intervenir, violemment…
Ce qui se passe dans ma tête, c’est : si on reste là à rien faire, on va être isolés, et en plus, il faut donner un coup de main, on ne va pas laisser faire des délinquants ; jeter des projectiles sur un CRS, c’est violences volontaires, c’est un délit puni d’emprisonnement, c’est très clair dans ma tête. Et la faute que je commets à ce moment-là, c’est d’y aller. Et de laisser de côté mes fonctions à l’Elysée. C’est la faute pour laquelle je suis puni ensuite, ce n’est pas parce que j’ai commis un délit, c’est parce que j’ai fait une faute politique, d’image, on peut qualifier cela comme on veut, et de faire abstraction des fonctions qui sont les miennes.
Et si vous n’étiez pas collaborateur à l’Elysée, étiez-vous en droit de le faire ?
Bien sûr. Article 73 du code de procédure pénale : tout citoyen a qualité pour appréhender l’auteur d’un délit. Je ne considère pas avoir fait une arrestation, j’ai appréhendé quelqu’un et l’ai remis aux policiers. Les gens ont des agissements délictueux, ils cassaient en toute impunité, il faut le vivre, et moi, c’est ma nature, je suis trop engagé. Si je n’étais pas collaborateur de l’Elysée, je referais la même chose. Collaborateur de la présidence, je ne le referais pas.
Avez-vous avez usurpé une identité de policier ?
Le casque m’est donné, rien ne m’interdit de le porter. Je ne nie pas que l’on a l’apparence de policiers, mais le casque, on me dit de le porter, c’est pour ma sécurité personnelle. Quand je le fais, c’est clair, ce sont des situations auxquelles j’ai déjà été confronté. J’ai interpellé des personnes auteurs de délits flagrants, il y a très longtemps, en Normandie. Des personnes se faisaient agresser, j’ai interpellé l’auteur des faits et je l’ai remis aux policiers, c’est le devoir du citoyen.
On insiste, les images de votre intervention sont violentes…
Il n’y a aucun coup. C’est vigoureux. Je conçois que c’est une scène qui peut paraître violente, mais les policiers y sont confrontés des dizaines de fois par jour. Le mec a une force qui est décuplée, il est dans l’adrénaline, il est excité, il a été gazé, il ne veut pas se laisser faire. D’ailleurs, si vous regardez la vidéo, à cinq CRS, équipés et formés à ce type de situation, pendant plus de trente secondes, ils n’arrivent pas à le maîtriser. C’est des débiles, les mecs en face, lui y compris.
Je passe ma main gauche sous son aisselle, et la deuxième au niveau de son cou, et j’essaie de le lever pour l’emmener vers le major Mizerski et un autre policier. C’est exactement le même geste que j’ai fait à Emmanuel Macron quand il a pris un œuf au Salon de l’agriculture : il n’a pas déposé plainte pour violence et il n’a pas eu mal au cou plus que ça le lendemain !
Quand avez-vous réalisé que vous étiez filmé ?
Je sais depuis le début de la manifestation que je suis filmé. Je ne me cache pas.
Lorsque vous intervenez, où se trouve le policier qui vous accompagnait ?
Il est en retrait. Je me mets à sa place : c’est un major de police, il y a un collaborateur du président de la République avec lui, il ne va pas m’attraper par le cou et me mettre par terre. Ce n’est pas lui qui est fautif. Ce qui a été sous-dimensionné, ce n’est pas son action à ce moment-là, c’est le dispositif qui était censé encadrer un collaborateur du président venant sur ce type d’événement.
Que se passe-t-il ensuite ?
On s’en va à pied avec le major Mizerski, je remets mon casque dans le coffre de la voiture, on part à la Préfecture de police et on redescend en salle de commandement. Dans la salle, grosse surprise, Gérard Collomb est présent, avec le préfet de police de Paris, avec le DOPC Alain Gibelin, le cabinet du ministre et celui du préfet. Je me mets dans un coin. Ils sont en train de faire une présentation à Collomb. Quand il sort, il vient me voir et me serre la main : « Ça va ? Qu’est-ce que tu fais là ? »
Le ministre de l’intérieur vous tutoie ?
Il me tutoie, il me vouvoie, il alterne, mais là, en l’occurrence, il me tutoie. Gérard Collomb m’identifie visuellement, il sait que je travaille à la présidence de la République. Je peux le croiser deux, trois, quatre fois par semaine sur des déplacements ou quand il vient à la présidence. Alors, est-ce qu’on se connaît ? Visuellement, oui. Est-ce qu’il sait qui je suis et ce que je fais exactement ? Je n’en suis pas sûr.
Lors de ses auditions à l’Assemblée nationale et au Sénat, il a en tout cas assuré ne pas vous connaître…
Je me mets à sa place. Je pense que la connerie vient d’un échelon qui reste à déterminer à la Préfecture de police. Il pense que ce n’est pas sa connerie à lui, tout le monde est en train de l’attaquer, il fait des réponses maladroites.
Pourtant, il vous tutoie…
Il est courtois.
Que se passe-t-il après le départ du ministre ?
Dans la salle de commandement, je vois le major Mizerski et un sous-directeur de la Préfecture partir dans le fond de la salle à gauche, où il y a deux opérateurs en civil qui sont sur les réseaux sociaux, et en l’occurrence sur Twitter. Il y a des images de la place de la Contrescarpe, une heure et demie après. On me dit que c’est problématique, je regarde le truc. Moi, je ne vois toujours pas ce que j’ai fait de mal. Je ne comprends pas l’ampleur que ça va prendre, et c’est là justement mon erreur. Je connais donc l’existence de cette vidéo le soir même. Le lendemain, je reçois un coup de téléphone de Patrick Strzoda : « Alexandre, qu’est-ce que c’est que cette histoire de vidéo, est-ce que vous pouvez venir me voir ? » C’est là que je comprends que j’ai fait une faute. Il m’annonce qu’il va prendre une sanction à mon égard.
Est-ce qu’il considère que c’est une faute morale ou une faute pénale ?
La faute, c’est d’avoir exposé la présidence de la République. C’est un préfet qui a l’expérience du maintien de l’ordre. Il sait très bien qu’il n’y a pas de délit. Il n’y a pas de tabassage, comme ont pu le dire certains journalistes. C’est un citoyen qui appréhende un délinquant, point à la ligne. Je n’étais pas d’accord avec la sanction, mais je l’ai acceptée. Patrick Strzoda me rappelle dans la journée. Il me dit : « J’ai vu Alexis Kohler [secrétaire général de l’Elysée], on va vous mettre quinze jours de suspension sans traitement et on verra quelles seront vos fonctions quand vous rentrerez. »
En avez-vous parlé avec le président ?
Non, parce qu’il était en Australie à ce moment-là et que je ne vais pas le déranger avec ça, ce n’est pas mon rôle. Je n’ai jamais eu le président au téléphone pendant ma suspension. Le vendredi, je prends ma voiture et je pars en Bretagne avec ma femme. J’y reste du 4 au 15 mai, je rentre à Paris le 15 et je ne remets pas les pieds à la présidence avant le 22.
Alain Gibelin, le directeur de l’ordre public et de la circulation (DOPC), a affirmé aux députés vous avoir croisé lors de réunions pendant ces deux semaines de suspension, avant de se rétracter. Pourquoi ?
Parce qu’il ment, et c’est même la deuxième fois qu’il ment. Il dit qu’il n’a appris que le 2 mai que j’étais présent à la manifestation la veille. Ce n’est pas vrai. On a déjeuné quelques jours avant avec le général Bio-Farina [commandant militaire de l’Elysée], au 2, rue de l’Elysée. C’était une réunion de travail à propos des policiers qui font la sécurité autour du palais. A la fin de ce déjeuner, il m’a demandé si je venais toujours le 1er mai et si j’avais reçu l’équipement que je devais recevoir.
Pourquoi mentirait-il ?
Il y a des gens qui pensent à leur carrière et qui se défaussent. Je n’ai participé à aucune réunion, ni à la présidence de la République, ni par email, ni par téléphone. Je pense qu’Alain Gibelin s’en veut de ne pas avoir prévenu le préfet de police. Je pense sincèrement que le préfet n’était pas au courant de ma venue ce jour-là au cœur de la manif. Il était réellement surpris quand il m’a vu dans la salle de commandement. Alain Gibelin, lui, était parfaitement au courant et n’en a pas rendu compte à sa hiérarchie.
Que se passe-t-il à votre retour à l’Elysée après votre suspension ?
J’ai un rendez-vous avec Patrick Strzoda et le chef de cabinet, qui me disent qu’on ne va pas pouvoir faire comme avant. J’ai déjà été puni, je suis surpris. Ils me disent : « Tu es trop dedans, il faut que tu prennes un peu de recul, tu ne vas t’occuper que des événements qui se passent au palais de l’Elysée. » Je le vis comme une humiliation.
A l’intérieur du palais, vous êtes forcément amené à croiser Emmanuel Macron. Vous parle-t-il de l’affaire ?
Quelques jours après mon retour, à l’occasion d’un événement dans le palais, il me prend à part et il me dit les choses. Il me dit : « C’est une faute grave, ça va être compliqué et il faut assumer. » Il m’explique que ça n’enlève pas la confiance qu’il a en moi mais que j’ai fait une grosse bêtise.
D’où vient la vidéo que la justice vous reproche d’avoir détenue ?
Moi, je ne l’ai pas demandée. Après la publication de l’article du Monde sur Internet, je reçois un appel vers 22 heures de quelqu’un à la Préfecture de police, dont je ne citerai pas le nom : « Alexandre, on a la vidéo du gars et de la fille en train de jeter des projectiles sur les CRS, est-ce que tu la veux pour te défendre ? » Bien sûr que ça m’intéresse, si on peut prouver que les gens en face ne sont pas de simples passants mais des casseurs. Je ne sais pas d’où viennent ces images. Je suis en train de dîner dans un restaurant près du palais et quelqu’un vient me donner un CD. Il n’y a rien écrit dessus, ni « préfecture de police », ni « vidéosurveillance ». Ce CD, je ne le regarde pas et je le remets à l’Elysée à un conseiller communication. Ces images n’ont pas été diffusées.
Avez-vous demandé ensuite au service communication de l’Elysée ce qu’il avait fait de cette vidéo ?
Je crois qu’ils ont essayé de la diffuser et de la fournir à des gens, pour montrer la réalité des faits.