Votre taulier, tout cassé, n’est pas homme à emprunter les voies ordinaires, à vous tartiner des phrases et des phrases pour vous vanter les mérites de la gariguette de Plougastel, qui n’est plus ce qu’était la bonne vieille fraise de la fameuse ceinture dorée, mais d’une fraise bien plus rare, plus urbaine, aujourd’hui disparue, la fraise de Staten Island.
Avant d’étaler ma science toute fraîche, afin de ne pas vexer mes amis bretons, qui sont fort susceptibles, juste quelques mots sur la fraise de Plougastel qui n’est pas française. De son petit nom latin « Fragrum » qui veut dire « Parfum », ce fruit fut découvert par Jacques Cartier, explorateur et découvreur du Canada. Au 16ème siècle, ce malouin fait de Plougastel dans le Finistère Nord (29), la terre pionnière de la fraise « Fragaria Vesca ».
La « Fragaria Chiloensis » surnommée « la blanche du Chili » vient, comme son nom l’indique, du Chili. Amédée Frézier, officier de la marine de Louis XIV, ramène ce spécimen d’une mission d’espionnage en 1714. Ces plants sont ensuite destinés à être plantés au jardin Royal de Paris et au jardin Botanique à Brest. Aujourd’hui, c’est cette variété que nous retrouvons dans nos assiettes.
Staten Island est une île et l'un des cinq arrondissements (en anglais : borough) de la ville de New York (les quatre autres étant Manhattan, Brooklyn, Queens et le Bronx).
Vous n'aviez peut-être jamais entendu parler du dernier borough de la liste ? C'est normal. Staten Island a toujours été ainsi. Différent. À la marge. Oublié.
L'île n'attire pas grand monde, hormis ses propres habitants. Quand le ciel est bleu, ils sont rejoints par quelques touristes, qui profitent de la traversée gratuite en ferry, à travers la baie, où le fleuve Hudson se jette dans l'océan Atlantique, pour se prendre en photo devant la statue de la Liberté, visible au loin. A peine le bateau a-t-il accosté à Staten Island que la plupart des passagers se précipitent sur le quai afin d'emprunter le ferry suivant: vite, vite, il faut retourner à Manhattan. La grande ville. Le « vrai New York », comme ils disent. Staten Island est l'arrondissement le moins urbain de la ville de New York.
Manhattan?
Déjà vu!
Brooklyn?
Un attrape-bobos!
À New York, la prochaine fois, offrez-vous une visite à Staten Island, un quartier qui n'est pas encore à la mode, mais qui le sera bientôt. Le ferry part toutes les trente minutes du sud de Manhattan. Sur place, il est recommandé de se déplacer en bus ou en voiture: l'île est plus étendue que Manhattan! Cédez au charme et partez le nez au vent, ou promenez-vous dans le Silver Lake Park : le plan d'eau est magnifique et vous découvrirez, en prime, un terrain de golf de 18 trous.
Appelez un taxi et filez vers le quartier chic de Todt Hill, plus au sud. Le long de Four Corners Road, en particulier, vous découvrirez que des New-Yorkais fortunés habitent un manoir des années 1930, niché au fond d'un vaste jardin. Un peu de culture ? L'Every Thing Goes Book Cafe (208 Bay Street, Tompkinsville), géré par une coopérative, propose des livres d'occasion. Ne partez pas sans manger les meilleures pizzas de New York: les restaurants italiens sont légion. Toutes les adresses utiles sur www.visit.statenisland.com
Comme promis un retour en arrière sur les fraises de Staten Island, en 1956, sous la plume du fameux Joseph Mitchell chroniqueur au New Yorker.
« La population de Sandy Ground était bien plus importante qu’aujourd’hui, et les maisons étaient encore récentes et bien plus jolies. Chaque famille était propriétaire de la maison dans laquelle elle vivait, et chacune possédait aussi un lopin de terre. Pas grand-chose, un demi-hectare en général, parfois un peu plus, en tout cas pas plus d’un hectare et demi […] Et ils en tiraient le maximum de ces terrains, chaque centimètre carré comptait. Ils élevaient des cochons et des poules, ils avaient une vache, des arbres fruitiers, de la vigne, et toujours un jardin potager. Ils plantaient des choses qui venaient du Sud, des haricots beurre, des gombos, des patates douces, de la moutarde brune, du chou cavalier et des artichauts de Jérusalem. Il y avait des fleurs dans tous les jardins, ainsi que des rosiers, et les vieilles femmes s’échangeaient des graines, des bulbes et des boutures. Ici, à l’époque, on faisait surtout de la fraise. À Sandy Ground, la terre est parfaite pour les fraises. Dans les fermes des Blancs, tout au long de Bloomingdale Road, ils en cultivaient. Les gens de Sandy Ground s’y sont mis eux aussi ; il en pousse des fraises sur un demi-hectare, vous savez ! À cette époque, un vapeur partait tous les jours du New Jersey, de New Brunswick plus précisément, il descendait le fleuve Raritan, entrait dans l’Arthur Kill et s’arrêtait d’abord à Rossville puis dans cinq ou six petites villes des bords du Kill avant de gagner le quai de Barclay Street à New-York, juste en face du Washington Market.
Eh bien, à la saison des fraises, les gens se levaient tôt le matin pour les mettre dans des petites boîtes en carton et les descendre à Rossville pour les charger sur le bateau à vapeur qui les livrait au marché. Ils mettaient une ou deux feuilles de vigne sur le dessus pour faire ressortir la beauté de leurs fraises, vert sur fond rouge. Les fraises de Staten Island étaient particulièrement réputées, on disait que c’étaient les meilleures du marché ; elles rapportaient beaucoup d’argent. La plupart allaient directement aux grands hôtels de la ville… »
Washington Market in 1912 — a century of service with many decades to go.