Quand j’étais invité tout gamin aux noces, en ma Vendée arriérée, traduire à un mariage de cousins, certains pouvaient se dérouler sur 3 journées, ce fut le cas de celui de mes parents à Célinière mais comme vous vous en doutez je n’y assistai pas, les libations se passaient dans la grange de la métairie aux murs tendus de draps blancs piquetés de fleurs en papier, on tuait le veau gras, on buvait sec, on faisait des fournées de 4/4, on dansait, mon rêve était d’accompagner, au petit matin les derniers fêtards, qui iraient porter la soupe à l’oignon aux nouveaux mariés.
Je n’y suis jamais allé car, en dépit de mes efforts de résistance, je sombrais dans le sommeil bien avant le petit matin ; je n’avais aucun regret car, si j’étais resté éveillé nul n’aurait songé à m’y amener, pensez-donc le spectacle d’un homme et d’une femme dans un lit, qui plus est venant théoriquement de faire la chose pour la première fois, n’était pas un spectacle pour un enfant.
J’ai longtemps cru que c’était une coutume de péquenots, je me trompais lourdement car la soupe à l’oignon est une tradition intimement liée au mariage.
C’est une tradition vieille de plusieurs siècles
« L’origine de la soupe à l’oignon remonte au 17ème siècle par le roi Louis XV qui était pris d’une fringale nocturne et n’avait à sa portée que des oignons, du champagne et du beurre comme seuls ingrédients. La recette de la soupe à l’oignon serait ainsi née. D’autres versions attribuent la soupe à l’oignon au roi Louis XIV.
La tradition veut que, à la fin des festivités du mariage, les nouveaux époux se retirent dans un endroit secret. Les invités partent alors à la recherche des jeunes mariés dans la nuit pour leur offrir une soupe à l’oignon servie dans un pot de chambre.
Dans ce que j’ai entendu raconter de ces soupes à l’oignon deux éléments comptaient beaucoup pour les participants : le secret du lieu où étaient couchés les mariés, seul un des participants était dans le secret afin d’éviter que la chasse aux mariés tourne au désastre ; le second ingrédient étant bien évidemment la confection de la soupe à l’oignon.
Pour les petites louves et les petits loups qui ne savent plus si on écrit oignon ou ognon il faut bien entendu des oignons pour faire la soupe à l’oignon.
Compter un gros oignon par personne. Pour quatre personnes, prévoir 25 cl de vin blanc, 50 g de beurre, 6 tranches de pain de mie et 100 g de fromage. Prévoir également 1 litre d’eau, 1 cuillère à soupe de farine, 1 cuillère à soupe d’huile, un peu de poivre et sel.
La préparation de la soupe ne présentant aucune difficulté pour une fois les mâles, en général avinés, s’y collaient pour le plus grand plaisir de leurs moitiés qui, chaque jour que Dieu faisait, se coltinaient la préparation des repas.
Dans un grand faitout les mecs commençaient par émincer les oignons pour les faire revenir dans le beurre salé, nous sommes en Vendée, préalablement fondu sur un feu doux. Lorsque les oignons commençaient à dorer, ils ajoutaient 2 cuillères à soupe d’eau et laissaient cuire pendant un quart d’heure. Une fois les oignons cuits, ils ajoutaient la farine pour bien enrober les oignons. Rajoutaient ensuite de l’eau chaude et le vin blanc, sel, poivre, couvrir la préparation et laisser bouillir, toujours à petit feu.
Pendant ce temps ils faisaient griller des rôtis de pain rassis qui seraient placées au fond du pot de chambre.
Pour les mariés, la soupe à l’oignon n’était pas gratinée, trop compliqué.
Les conteurs, à l’époque ils étaient nombreux, à la veillée se faisaient un plaisir de nous narrer, avec force de détails sur la tenue de la mariée, les soupes à l’oignon disons les plus gratinées. Bien évidemment, ils en rajoutaient des louches.
CAMILLE LABRO dans le Monde du 27.04.2018 a fait remonter en moi ces souvenirs d’enfance en donnant la recette de la soupe à l’oignon de Carlo Petrini
« Manger une soupe à l’oignon est la première chose que je fais quand je viens à Paris. C’est un rituel personnel incontournable depuis cinquante ans. Je vais généralement Au Pied de cochon, le restaurant ouvert 24 heures sur 24 près des Halles, par habitude, et parce que leur soupe est impeccable. Historiquement, c’est le plat des travailleurs des Halles au XIXe siècle, le mets fonctionnel par excellence. Pour moi, c’est aussi beaucoup plus que ça.
J’avais 19 ans la première fois que je suis venu à Paris. Je suis arrivé en stop depuis ma province piémontaise. C’était en août 1968, trois mois après les émeutes. La rive gauche était en ébullition, il y avait des réunions, des discussions partout, de la musique, une ambiance surchauffée. J’étais fasciné et habité de la même rage, je comprenais leurs combats. Découvrir Paris ainsi, quand on est étudiant, c’est un privilège. Je n’avais pas un sou en poche, je dormais dans une auberge de jeunesse, je me nourrissais de hot-dogs, et, parfois, vers 4 ou 5 heures du matin, j’allais déambuler et manger une soupe à l’oignon aux Halles. »
[…]
La soupe à l’oignon est emblématique de toutes les soupes du monde, du concept même de soupe, qui associe un bouillon (généralement à base de légumes) à des pâtes, du pain (souvent rassis) ou une autre céréale. Le pain sec retrouve la vie dans le bouillon… C’est un plat qui utilise les restes, parfois même les épluchures, un modèle de modération alimentaire, d’antigaspillage. Mais aussi un symbole de la civilisation agricole et de la démocratie : les potages nourrissent les plus humbles comme les plus aisés, dans tous les pays du monde. »
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Pour mémoire :
« … tout le groupe de quatre, cinq, six ou sept personnes poussa jusqu’aux Halles pour déguster une soupe à l’oignon au Pied de Cochon, un restaurant bondé d’habitués à une, deux ou trois heures du matin, où les soi-disant artistes raffinés et les noctambules qui faisaient la fête se retrouvaient à la même table pendant que les prostituées du quartier prenaient des ballons de rouge au bar, à côté des bouchers dans leur blouse et leur tablier taché de sang, un mélange de différences si radicales et d’improbable harmonie que Ferguson de demandait si une telle scène pouvait se produire ailleurs dans le monde. »
Paul Auster 4321 page 657 et 661