En dépit de la même dextérité que Chloé mettait, à piloter sa Norton 750 Commando Fastback sur les départementales menant à Elisabethville, qu’à conduire à fond la caisse la TR4 de sa mère sur les Champs, ils arrivèrent trop tard aux abords champ de bataille. Le repli, en dépit des ordres, se faisait dans la lenteur et le désordre. Ils ne purent que s’en tenir à observer et surtout à éviter de se faire coincer dans la poche formée par la Seine au nord et la nationale 13 au sud. Deux hélicos tournaient dans le ciel permettant aux phalanges policières de manœuvrer pour couper la retraite à Gamelin, blessé au bras et au visage au cours de l’échauffourée, et à ses troupes elles aussi bien cabossées. Comme Armand avais eu la bonne idée de transmettre un petit mémo à la hiérarchie de la Grande Maison avant la réunion de « Base Grand » dans lequel il annonçait l’imminence d’une action punitive à la mémoire de Gilles Tautin, sa crédibilité s’en trouverait renforcée à la condition qu’Armand les appelle au plus vite, comme s’il était sur le théâtre des opérations pour justifier qu’il n’avait pu les prévenir en temps réel. Chloé, pleins gaz, les sortait de la nasse, déposait Benoît quelques minutes plus tard devant la poste de Bouafle. Le calme du village contrastait avec le charivari qu’il venait de quitter. Dans son enclos grillagé la dame des postes l’accueillit, même s’il n’était pas un chevelu, sans aucune aménité. Pour hâter une procédure qu’elle se plaisait à faire traîner en longueur Benoît lui propulsa une carte de police sous son long nez pointu. Le sourire mauvais qu’elle lui allongea lui plut. Pour le renforcer Benoît lui balançait un méchant « bouge ton cul vieille chouette… »
Armand par bonheur n’était pas au boulot, au téléphone il m’écouta, me fila un numéro, une ligne directe, que je devais appeler immédiatement. « Baratine, dis que t’es un supplétif de l’opération double chevron. T’es bon dans ce genre d’exercice ! » Benoît repassa le plat auprès de la revêche des PTT qui exécuta la manœuvre avec une hauteur méprisante qui se transforma en étonnement lorsqu’elle obtint le correspondant. Elle ne put réprimer un « Oui monsieur le Ministre… » emprunt de déférence. En regagnant la cabine Benoît était lui-même abasourdi. Marcellin soi-même, Benoît flippait un peu. Par bonheur il put reprendre ses esprits pendant que ce cher homme lui servait les paroles qu’on adresse aux types qui en prennent plein la gueule en première ligne. Benoît se contenta d’onomatopées vaguement approbatrices puis, profitant d’un moment où il reprenait son souffle, il passait en revue toutes les obsessions du bonhomme. Confirmant les liens des enragés de la GP avec l’Internationale terroriste, revêtant Chloé, sans la citer, mais en se doutant bien que cette enflure devait avoir une fiche sur le SG de l’Elysée, du lourd manteau de grande-prêtresse de la branche italienne qu’il dépeignit sous les traits les plus noirs. Le cher homme buvait du petit lait. Le temps était venu pour Benoît de porter l’estocade. Sans aucune précaution il lui indiquait que la couverture prolétarienne d’OS chez Citroën d’Armand l’entravait et que je serais bien plus efficace s’il retrouvait sa liberté de manœuvres. Lourdement il ajoutait que coucher avec une belle italienne servait plus les intérêts de la France que de se coltiner des ailes de 2CV ou de faire le con à un poste de soudure à l’étain. Plus c’est gros, plus c’est lourd, plus ça passe. Marcellin approuvait et donnait les instructions en ce sens. Benoît empochait sans remercier en lui signifiant qu’il devait retourner au front. Les oreilles et la queue, Marcellin se confondait en propos élogieux à son égard et à celui d’Armand.