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14 février 2018 3 14 /02 /février /2018 07:00
Trop de style tue le style la Cheffe de Marie NDiaye, trop d’esbroufe tue la sincérité le triple toilé Marc Veyrat

Le chirurgien m’a dit : « reposez-vous ! », bon petit soldat je me suis reposé pendant toute la sainte journée et, allongé sur mon lit, bien carré dans les oreillers, j’ai lu à m’en brûler les yeux.

 

J’ai commencé par des romans que je brûlais de lire puis, je me suis attaqué à un livre acheté il y a quelques mois, La cheffe roman d’une cuisinière de Marie Ndiaye chez Gallimard collection blanche,  et qui m’avait rebuté dès les premières pages.

 

Ma résolution « Tu vas aller au bout cette fois-ci quoiqu’il t’en coûte… » C’est ce que j’ai fait en panachant ma lecture par des livres plus attrayants.

 

J’y suis arrivé, non sans mal, partagé entre le brio du style, bien léché, soigné, chantourné, et le manque de chair et de saveurs.

 

Une fois le roman refermé je suis allé fouiner sur la Toile et j’y ai trouvé une critique, dans l’Express, qui reflétait bien mon ressenti

 

D. P.: « Trop de style tue le style, quel qu'il soit. Libre à Marie NDiaye de déployer sa phrase sur des lignes et des lignes, à grand renfort de relatives. Mais elle l'alourdit trop souvent par un excès d'adjectifs et d'adverbes dispensables: j'y vois moins d'élégance que de préciosité, moins de subtilité que de coquetterie. Proust me suffit, ses épigones m'ennuient. Surtout quand l'écriture est à ce point redondante, notamment à propos de la personnalité et du physique de la cheffe. Résultat, on est vite gavé et l'appétit manque pour savourer les morceaux réussis... »

 

Ce qui m’a le plus gêné c’est que cet excès de style colle très mal à la personnalité du narrateur, garçon de cuisine, amoureux platonique de la Cheffe. C’est Marie NDiaye qui s’exprime, pas lui. C’est froid, c’est intemporel, les personnages se meuvent sur la scène, à plat, sans vie.

 

Enfin le pire, les passages en italiques, obscurs, dérisoires, qui serviront à l’auteur pour la chute de son histoire.

 

J’ai choisi, les rares passages, où le fumet de la cuisine s’exprime, s’exhale.

 

Avant, de vous les proposer, quelques mots sur la cérémonie du guide rouge 2017, ringarde à souhait, qui a vu la consécration d’un chef qui se la pète : Marc Veyrat, affublé de sa défroque et de son chapeau à large bord. L’homme avait exigé sa troisième étoile, sinon il claquait la porte, et le lui a donné. Triomphe du marketing, un mec qui se veut le héros de la naturalité est sponsorisé par les jambons Madrange. Pour la face obscure du personnage, bien peu du petit monde vibrionnant et satisfait de la critique gastronomique n’a osé élever la voix. Faut pas fâcher si on veut être invité. 

 

Guide Michelin 2018 : la révolution n'a pas eu lieu  ICI 

 

Michelin, la gloire sans le glamour ICI 

 

Pages 73-74

 

« Voici comment elle travailla dans la maison des Landes, l’été de ses seize ans.

 

Elle commença par le beau, le splendide poulet de la ferme Joda dont elle dut sacrifier la chair tendre, pleine et jaune pour parvenir à ses fins qu’elle condamnerait par la suite comme je vous l’ai dit, mais elle n’était pas encore là dans l’obscure petite cuisine ensablée et c’est dans la pure conscience d’agir comme il fallait qu’elle hacha très finement toute la chair du poulet qu’elle avait préalablement découpée au plus près de la carcasse, elle passa au hachoir à viande cette chair onctueuse et dense dont la raison d’être réclamait pourtant qu’on la reçoive telle quelle en bouche, cuite avec simplicité et, surtout, dans son intégrité.

 

Elle mélangea à cette chair hachée cinq œufs, des herbes, de la mie de pain ramollie dans du lait, un peu de cumin et de girofle, puis elle réalisa un prodige de dextérité en recomposant la forme exacte du somptueux poulet des Joda : elle sculpta le hachis atour des os, le moula sur la carcasse de telle sorte qu’on pût croire que le poulet n’avait pas été touché, elle le recouvrit ensuite de sa belle peau couleur de maïs afin que l’illusion fut parfaite et que, ce pouet monstrueusement reconstruit, rebâti d’agrégats qui ne valaient pas la matière d’origine, on pût croire qu’il sortait ainsi de la basse-cour, dans une ivresse de faux-semblants que la Cheffe devait ensuite rejeter jusqu’à l’entêtement mais qui, cet après-midi-là, lui apparaissait comme l’apogée de son art, comme l’affirmation magistrale de sa supériorité sur la cuisinière de Marmande qui n’avait jamais été capable, elle, de faire passer quoi que ce soit pour quelque chose d’autre. »

 

Pages 78-79

 

« Quand elle en eut fini avec le poulet travesti au moyen de sa propre chair généreuse et innocente, elle mit à cuire un fumet de poisson en jetant dans une cocotte à demi remplie d’eau les deux kilos de fretin achetés chez un poissonnier de Vieux-Boucau, éperlans, loches, sprats, petites sardines, elle ajouta des carotte et du céleri en branche, des rondelles de poireau et des oignons, des clous de girofle et, à tout hasard, ce qui restait de safran fané, pâli, au fond du seul bocal porteur d’une étiquette qu’elle trouva dans le placard aux épices.

 

Pages 88-89

 

« Quand son bouillon de petits poissons fut suffisamment cuit, qu’elle eut vérifié qu’on ne pouvait plus distinguer les fragments de légumes des morceaux de fretin, la Cheffe entreprit d’en ôter les plus grosses arêtes, puis elle mixa le tout et s’estima satisfaite de la soupe épaisse et grumeleuse qu’elle obtint, puissamment dorée par le safran.

 

Elle plongea dedans un dos de cabillaud et un filet de lieu noir, les laissa cuire quelques minutes puis éteignit le feu…

 

Jamais elle n’avait cuisiné, jamais elle n’avait vu réaliser une soupe de poisson de cette manière, et elle n’avait encore rien lu, elle ne devait d’ailleurs jamais lire que fort peu, mal à l’aise pour déchiffrer. »

 

Page 98

 

« Elle fit rapidement, avec toute la dextérité qu’elle avait vue dans les gestes de la cuisinière de Marmande, une pâte à tarte dans laquelle elle ne mit pas de beurre mais simplement de la farine, deux œufs et de l’eau.

 

Elle disposa dessus des quartiers de pêche bien serrés, saupoudra d’une pincée de sucre, d’un peu de sel et, laconiquement, feignant de s’en apercevoir à peine, de verveine hachée menu, cueillie au pied du perron. »

 

Page 117

 

« La Cheffe détestait la pensée même d’en mettre plein la vue, là prenait source sa délicatesse. »

 

« … lors de ce premier dîner dans la maison des Landes, elle prit soin de ne pas verser elle-même la soupe de poisson dans l’assiette des Clapeau afin qu’en se penchant au-dessus de la cocotte ils fussent forcés de constater le rude et plaisant équilibre des matières et des couleurs, le dos de cabillaud au reflet rose encore intact dans le potage lustré, les bords grenus de la cocotte ouvrière qui, dans sa féroce dignité, n’était pas honorée de contenir et de présenter la soupe raffinée, elle n’était pas gratifiée, elle acceptait d’offrir à la soupe, avec une grâce un peu rêche, la faveur de son propre et indiscutable raffinement. »

 

Page 119

 

« … après avoir remporté le poulet à la cuisine pour le découper, dresser chaque morceau sur un grand plat de faïence verte, une fois qu’elle l’eut posé sur la table, monsieur Clapeau s’écria à la seule vue de l’étrange chair débordante : elle a fait un cromesquis du poulet tout entier !»

 

Page 120

 

« Mal à l’aise mais bonhomme il ajouta : Vous saviez donc que j’adore les cromesquis ? »

Marie NDiaye, hantée par des femmes puissantes

 

Nathalie Crom  Publié le 29/09/2016. Mis à jour le 01/02/2018 à 09h01.

 

L’héroïne de son dernier roman est une cuisinière qui vise la perfection. Rendre compte du dépassement de soi, saisir l’insaisissable, telle est pour Marie NDiaye la force heureuse de l'écriture.

 

Trois ans après Ladivine (2013), l’envoûtant La Cheffe, roman d’une cuisinière signe le retour de Marie NDiaye, et confirme une nouvelle fois, d’éclatante façon, la place prééminente qu’occupe la romancière dans le paysage littéraire français d’aujourd’hui. Femme sévère et mutique, opiniâtre et solitaire, à l’existence tout entière vouée à son artisanat, la cheffe rejoint à son tour l’admirable cortège des héroïnes si intenses dont Marie NDiaye n’a cessé, depuis plus de trente ans et au fil d’une quinzaine de romans tous remarquables, d’ausculter les silences indéchiffrables et les empêchements. Aujourd’hui âgée de 49 ans, et de nouveau installée en France, près de Bordeaux, après une longue parenthèse berlinoise, l’auteure discrète de La Sorcière (1996), Rosie Carpe (prix Femina 2001) et Trois Femmes puissantes (prix Goncourt 2009) évoque pour nous ce nouveau roman, « l’état de bonheur » dans lequel la plonge l’écriture, sa quête d’un geste littéraire capable de dépasser la représentation pour s’emparer du « mystère de ce qu’on ne voit pas », et ainsi tendre vers le sacré.

 

La Cheffe

 

« Depuis longtemps, je tournais autour de l’idée d’écrire sur une femme qui cuisine. Ça a pris forme peu à peu, j’ai ­appris des choses sur cette profession de chef – mais je ne me suis pas renseignée, je n’ai pas enquêté, car ce n’est pas ainsi que je travaille. La cuisine n’est pas un métier manuel comme un autre. C’est physiquement très dur, et socialement peu gratifiant. Par ailleurs, selon l’image que je m’en fais, les chefs ne sont pas particulièrement de bons vivants. La cuisine telle qu’ils s’y consacrent n’a que peu à voir avec la jouissance, mais semble au contraire une affaire grave, voire angoissante lorsqu’elle est exercée au niveau où mon héroïne place la barre, c’est-à-dire très haut. Pourtant, la Cheffe trouverait sot et vaniteux de désigner sa pratique comme un art. L’art est hors de son monde : elle est tout sauf une intellectuelle, elle a juste envie de cuisiner de façon incomparable – si ce n’est pas pour viser l’excellence, alors ce métier qui l’occupe tout entière n’a pas de sens pour elle. »

 

Femmes puissantes… et mutiques

 

« C’est vrai, les héroïnes de mes livres sont généralement des femmes renfermées, obstinées, bornées même. Des femmes opiniâtres et secrètes. Cela dit, je n’ai pas conscience, lorsque j’écris, qu’elles se ressemblent tant. Mais lorsqu’on m’en parle, je me dis : ah oui, en effet… »

 

Lire et écrire

 

« Comme écrivain, la psychologie ne m’intéresse pas beaucoup. J’espère même m’en éloigner, car elle me semble réductrice. Ce qu’on peut attendre de la littérature, c’est précisément un point de vue sur l’homme qui dépasse la psychologie. Assez récemment, j’ai découvert l’oeuvre de Georges Bernanos, et, bien que je me sente extrêmement loin de sa personnalité, j’admire la façon dont il utilise le roman pour essayer de signifier ce que le roman ne devrait pas pouvoir contenir, c’est-à-dire le mystère de ce qu’on ne voit pas, de ce qui est insaisissable. Bernanos essaie de nous faire comprendre le dépassement de soi que certains êtres éprouvent, ou auquel ils aspirent. Quelque chose qui a à voir non pas du tout avec la religion ou la foi, mais avec le sacré. En fait, j’ai des lectures très diverses, que je classe en fonction de l’importance que je leur accorde. Il y a des œuvres, des écrivains que je place au-dessus de tous les autres – Bernanos est venu intégrer cette liste. Mais j’ai aussi grand plaisir à lire des ouvrages qui ne relèvent pas de la littérature, plutôt d’un divertissement de qualité. Les romans psychologiques sont plutôt dans cette seconde catégorie. »

 

Trente ans d’écriture...

 

« Mes premiers livres en témoignent, je prenais plaisir à montrer ce dont j’étais littérairement capable. Notamment de faire des phrases très longues et architecturées, voire d’écrire un roman composé d’une seule phrase (Comédie classique, 1987). Il s’agissait d’enfantillages ; j’étais tellement jeune alors, j’avais 20, 30 ans — j’ai passé l’âge depuis longtemps. Avec les années et les livres, j’ai appris à ne plus avoir peur de la simplicité. Par ailleurs, je n’ai plus la crainte de voir un roman avorter. A mes débuts, il fallait que j’atteigne cent pages pour être rassurée. A présent, si un roman devait tourner court, je le sentirais très vite, je n’aurais pas besoin d’aller si loin. Cela dit, je suis toujours allée au bout, je n’ai aucun livre inachevé dans mes tiroirs — et tant mieux, car ce doit être une telle souffrance... »

 

La vie hors les livres

 

« Quand je n’écris pas, je réfléchis à ce que je vais écrire – même si c’est dans un an. Je me promène dans tous les sens du terme : dans les paysages, dans la ville, dans les livres. Je ne suis pas angoissée, c’est même extrêmement plaisant. Et puis, un jour, vient le moment où je sens que ce que j’ai accumulé dans ma tête doit être exploité. Qu’il est temps de m’y mettre, sinon ça risquerait de s’obscurcir. J’ai aussi le désir de retrouver cet état heureux qui est celui de l’écriture, jalonné de moments de grâce, d’autres plus contrariants ou décevants. J’aime ce travail, et le travail en général. Même si, en réalité, je ne travaille pas tant que cela ; j’écris peu, et lentement. »

 

Après le Goncourt…

 

« Le Goncourt et la large reconnaissance qui a suivi ont surtout réglé pour moi le problème de l’insécurité économique. Ce n’est pas du tout un détail, c’est énorme au contraire, et ça change littéralement la vie. Sans doute aussi les propositions de travaux, comme les livrets d’opéra (1) ou les commandes de pièces de théâtre, sont-elles venues grâce au Goncourt. Mais tout cela reste superficiel. Devant ma table de travail, je suis exactement dans la même position qu’avant. »

 

Le monde extérieur

 

« Le monde contemporain n’est pas central, mais il est présent dans mes romans. Je ne vois pas comment en faire abstraction, puisqu’il s’agit du monde dans lequel je vis. Je m’y intéresse, d’ailleurs je n’imagine pas passer une journée sans lire la presse, sans savoir ce qui se passe. Cependant, témoigner de la réalité n’est jamais ce qui fonde pour moi le geste d’écriture. Ce serait une intention trop précise, or je n’aime pas écrire avec des intentions. Je ne veux rien dénoncer, surtout pas, et si le lecteur avait l’impression, achevant de lire un de mes livres, que je voulais exprimer ou signifier quelque chose de ce genre, cela voudrait dire que le roman est tout simplement raté. »

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