Cher Jeff,
Ça fait un bail qu’on ne s’est vu, la dernière fois c’était, je crois, à la Bellevilloise il y a deux ans lors du salon d’Antonin. Il faisait beau sur la terrasse et nous avions longuement échangé sur ton métier, tes voisins, ce Languedoc du vin, ton pays que j’avais arpenté en un temps où un pan de la viticulture du Midi rouge s’effondrait. En t’écoutant je m’étais dit qu’il me faudrait, comme on dit à Paris, descendre chez toi pour, à nouveau, au-delà de l’imagerie officielle, prendre le pouls de cette grande région. Ce que tu m’avais confié sur les pratiques de certains ne m’avait pas étonné, à nouveau, sous les beaux discours qualitatifs des chefs, la vigne pissait dru.
De cette réalité nul n’en parlait, surtout pas ceux dont c’est le métier les « journalistes du vin » qui, le nez dans leur verre, l’ignorait ou, pire, évitait soigneusement de la regarder. Faut pas fâcher les gens qui vous invitent, le métier est déjà si difficile, payé au lance-pierres. Bref, comme le dit l’adage « les vérités ne sont pas toutes bonnes à dire ».
Bref, cher Jeff, comme le chantait ce bougon de Georges qui voulait être enterré sur la plage de Sète « Mais les braves gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux… »
Chez toi, malheureusement, ils ne sont pas si braves que ça les gens, du moins certains, faut jamais mettre tout le monde dans le même sac, ils sont, comme on dit, graves ces anonymes, ces lâches, ces pleutres qui se sont attaqué à ton lent et patient travail pour redonner à la nature tous ses droits.
Ce matin, plutôt que d’aiguiser ma plume pour tailler un costard à ce ou ces connards, je préfère laisser la tienne leur répondre.
Oui Jeff, comme le chantait le grand Jacques, t’es pas tout seul…
Avec mes amitiés…
« Je ne fais pas de prosélytisme et ne demande pas à mes confrères de faire comme moi mais j’estime que j’ai le droit de faire ce que je veux sur mes parcelles. Lorsqu’en 1987, mon père prenait la décision d’adhérer à Nature et Progrès, il était considéré comme un OVNI. Le département de l’Hérault comptait à l’époque moins de 200 ha de vigne cultivées en bio, il en compte plus de 20 000 aujourd’hui.
Je pense que l’on ne peut pas corriger la nature car elle est toujours plus forte que l’homme et qu’au final elle gagne tout le temps. Il suffit de se pencher sur les manuels de viticulture du début du siècle dernier pour lire qu’avec deux poudrage souffre et un passage cuivre, on pouvait amener la récolte à terme. A force de vouloir plus produire, en utilisant des produits de plus en plus forts, on a créé des résistances qui font qu’aujourd’hui, certains en arrivent à plus de 15 traitements chimiques pour arriver au même résultat.
On ne peut pas en vouloir à la génération précédente, ils ne savaient pas. L’agriculture moderne a constitué un progrès social pour les agriculteurs. Le remplacement du cheval par le tracteur, les désherbants pour supprimer le travail à la pioche, les engrais chimiques pour produire plus pour un coût moindre, l’agriculture moderne a permis d’adoucir la pénibilité du travail.
Mais aujourd’hui tout le monde sait. Les nappes phréatiques sont de plus en plus polluées et on est obligé d’aller de plus en plus loin pour trouver une eau à peine potable qui doit passer par des traitements de plus en plus coûteux, pour à peine arriver à respecter les normes. Les terres sont de moins en moins fertiles et demandent des apports d’engrais de plus en plus importants pour pouvoir produire les mêmes quantités.
Puisqu’on ne peut pas modifier la nature, il faut essayer de s’adapter aux modifications du climat et rechercher des solutions pour continuer à faire du vin le plus naturellement possible. Planter des arbres, des arbustes des plantes et des fleurs fait partie d’une démarche réfléchie pour l’avenir.
C’est recréer des espaces de biodiversité… En supprimant progressivement haies, arbres fruitiers, chemins, ruisseaux, pour créer des parcelles de plus en plus grandes, on crée des espaces de monoculture de la vigne qui la rendent plus vulnérable, qui nécessitent de plus en plus d’interventions, qui sont plus fragiles à l’érosion. On a supprimé des espaces équilibrés où tout le monde avait sa place pour créer des espaces modelés par l’homme qui permettent certes de travailler plus rationnellement mais sur lesquels on est obligé d’agir pour corriger. A titre d’exemple, une chauve-souris peut manger plus de 2000 insectes par nuit, si l’on avait conservé leur habitat, on ne serait pas obligé de traiter pour le vers de la grappe.
C’est lutter contre le réchauffement climatique… Vous avez tous une fois pris le plaisir, lorsque le soleil est chaud en été, de vous abriter à l’ombre d’un arbre. Il en est de même pour les parcelles de vignes. En plantant des arbres autour des vignes, on va couper le vent asséchant de l’été. De plus, en passant à travers les arbres, il va naturellement se rafraîchir. C’est une démarche durable alternative à la mise en place de l’irrigation qui certes est efficace immédiatement mais qui peut être un jour, lorsque l’on aura encore plus pollué les nappes avec de l’eau venue bientôt du Rhône, sera limité voire interdite.
C’est redonner de la beauté aux paysages…. Le travail dans les vignes est certes mécanisé mais aussi à pied. L’homme qui travaille dans une parcelle a besoin d’avoir un élément qui coupe son horizon, qui lui permet de voir le bout… Lorsque les parcelles sont de plus en plus grandes, elles ne sont plus à taille humaine et le travail devient machinal, mécanique, sans amour… Lever les yeux pour voir un oiseau se poser sur un arbre, s’abriter en bout de rang pour prendre le frais sous un olivier, voir les papillons et les abeilles au printemps venir se poser sur les bandes fleuries sont autant de petits plaisirs qui permettent à celui qui travaille dans les vignes de sentir mieux et ainsi de donner plus d’amour à son travail.
C’est investir pour l’avenir…. A l’heure du numérique ou l’on est dans l’immédiateté, C’est presque un acte militant que de planter des arbres que l’on ne verra pas adulte. On disait il n’y a pas si longtemps, « olivier de ton grand père, murier de ton père, vigne de toi ». Aujourd’hui, on voit fleurir des oliviers millénaires déplacés de leur terre de naissance pour orner des ronds-points d’entrée de ville. On est tellement dans l’immédiateté que l’on veut l’appliquer à la nature… Planter un arbre c’est du travail, des soins, de l’argent mais surtout beaucoup de plaisir. Le regarder pousser, l’attacher à un tuteur, le tailler pour lui donner une forme, l’accompagner pour qu’il devienne grand, l’imaginer adulte quand on ne sera plus là, c’est beaucoup de choses qui peuvent paraître futiles pour certains (surement pour le connard qui est venu broyer des arbres que j’avais planté il y a 5 ans) mais qui représentent beaucoup pour moi.
Alors que faire, abandonner, surement pas…. J’avais dit quand on m’avait broyé les fleurs au printemps que l’an prochain on planterait des kilomètres de bandes fleuries…. Et bien n’en déplaise à certains, nous continuerons à l’automne prochain à planter des arbres autour des vignes. Nous continuerons à en prendre soin. Nous continuerons à les imaginer grands. Et c’est avec plaisir que nous partagerons avec vous cet amour de la nature quand vous nous rendrez visite. »