Le 25 août j’ai reçu un courriel (1), via mon blog, de Bruno de Boüard dans lequel indiquait « j’aimerais, si vous le souhaitez, vous faire partager mes recherches sur le domaine et la famille de Boüard. J'en fais partie, du moins de la famille, ayant vécu mes dix premières années dans la maison familiale. »
Après réflexion, et une gestion de retraité de mon courrier, j’ai accepté le principe d’une publication sur mon blog sous sa signature si elle cadrait avec ma ligne éditoriale.
Bien évidemment, en tant qu’hébergeur, j’assume la responsabilité des écrits de Bruno de Boüard, qui n’ont aucun caractère polémique, et j’accepte par avance de publier un éventuel droit de réponse de mon ami Hubert.
Qui est Bruno de Boüard ?
« Girondin de naissance, j'ai passé mes dix premières années au château Mazerat avec mes parents et frères et soeur, auprès de mes grands-parents paternels. Je suis le fils aîné d'Alain de Boüard troisième fils de Maurice de Boüard que je considère comme étant le "fondateur" du château Angélus.
Historien de formation, ancien bibliothécaire et archiviste, je suis encore un jeune retraité bien occupé (milieu associatif notamment). De par ma formation et mon intérêt pour l'histoire familiale, hérité de mon père, j'ai commencé à creuser ce sillon. Ma démarche a été renforcée lorsque j'ai eu entre les mains le livre "Angélus" de Jane Anson. Sans parler de l'exposition médiatique d'Angélus. »
« C’est à la fin du XVIIIème siècle, en 1782, que Jean de Boüard de Laforest, garde du corps du Roy, s’installe à Saint-Emilion. Sa fille, Catherine Sophie de Boüard de Laforest, épouse Charles Souffrain de Lavergne en 1795 et s’installe sur le vignoble de Mazerat, propriété de son mari » (1)
L'année 1782 est ainsi donnée comme date fondatrice de l'histoire des de Boüard au coeur du vignoble de Saint-Emilion. La fondation du Château Angélus est même datée du 1er juillet 1782 sur son compte Facebook. Existerait-il un document permettant de dater de manière aussi précise la fondation du domaine ?
Le terme de « château » semble anachronique pour évoquer un vignoble à la fin du 18e siècle. Il apparaît au milieu du 19e siècle et prend une ampleur importante à la fin du siècle, au détriment des vocables « cru », « domaine » et « clos ». Avec le Second Empire, une période de prospérité voit émerger les premières grandes constructions destinées à la vinification.
Le « Château l'Angélus » n'est pas mentionné dans les neuf premières éditions (2) de « Bordeaux et ses vins classés par ordre de mérite » d'Edouard Féret. Le « Clos de l'Angélus » apparaît dans la 10e édition de 1929 comme propriété de la Comtesse de Boüard de Laforest.
« Michel de Boüard de Laforest, historien, chartiste et recteur de l’Académie de Caen (3) a étudié les origines de sa famille » nous dit le site internet du Château Angélus. Ce qui est exact (4). Mais la communication d'Angélus prend certaines libertés avec les recherches de l'historien.
Dater l'arrivée de Jean de Boüard à Saint-Emilion en 1782 est étonnant. Michel de Boüard et les documents du « Fonds de Boüard » déposé aux Archives départementales de Gironde (5) ne le mentionnent absolument pas. Ils permettent au contraire d'avancer une hypothèse différente quant à la réalité de l'implantion de Jean de Boüard à Saint-Emilion. De par ses fonctions de garde du corps du Roi, de 1766 à 1785 au moins, il est souvent absent de son domaine de Laforest situé au Pizou en Dordogne et à St Antoine-sur-l'Isle en Gironde. Situation qui oblige son épouse à s'occuper activement du domaine. Il connaît des difficultés d’argent et s’endette dans un contexte de crise économique dès les années 1770-1780. Dans les années 1780, il commence par vendre quelques éléments de son domaine de Laforest. Dans les années 1790, les de Boüard délaissent peu à peu la maison noble de Laforest, vendue en 1795, pour leur résidence du Pizou. Dans ces conditions, pourquoi et comment Jean de Boüard aurait-il acheté des vignobles à Saint-Emilion en 1782 ?
Ces libertés ont été reprises par Jane Anson dans son ouvrage « Angélus » (6). Elle écrit que « …d'après les recherches de Michel de Boüard de Laforest, c'est en 1800 que les vignes des Boüard de Laforest à Saint-Emilion furent léguées à Sophie [de Boüard], qui y ajouta en 1815 celles des Souffrain de Lavergne » (7). Ce qui est impossible, Michel de Boüard ne l'ayant jamais écrit. Nous ne trouvons rien non plus à ce sujet dans les archives familiales.
Comment Catherine Sophie pourrait-elle être propriétaire de ces terres, puisque deux documents familiaux démontrent que les Souffrain (sa belle-famille) en étaient les véritables propriétaires : la succession de Charles Souffrain du 23 janvier 1832 et surtout la donation-partage du 9 juillet 1843. Ainsi Jean-Charles et Jean-Théodore Souffrain héritent de leur père Charles Souffrain et de leur tante Louise Emilie Souffrain soeur de leur père, « chacun pour une moitié de deux domaines contigus : Mazerat et Chantecaille ». Charles et Louise Emilie Souffrain tenaient eux-mêmes de leurs parents Souffrain (8) ces deux domaines qui n'en faisaient qu'un à l'origine. Jean Théodore vend par la suite ses parts à son frère Jean Charles.
En 1886 Jean Charles Souffrain lègue sa propriété de Mazerat à son épouse Jeanne Eugénie née Chatenet. Jusque-là la transmission de la propriété de Mazerat se fait de Souffrain à Souffrain uniquement.
Ces successions et donation indiquent aussi que les Souffrain n'habitaient pas à Mazerat. Nous ne trouvons nulle trace des Souffrain au 19e siècle sur les listes nominatives et sur les registres de l'état civil de Saint-Emilion (9). Charles et Catherine Sophie résidaient dans leur maison rue St Thomas à Libourne avec leurs sept enfants. Tous deux y moururent. Jean Théodore habitait à Saint Magne-de-Castillon, canton de Pujols où il était juge de paix. Jean Charles résidait 20 boulevard Victor Hugo à Limoges avec son épouse Jeanne Eugénie. Elle est décédée en 1910, comme lui à Limoges.
Par contre sur les matrices cadastrales de Saint-Emilion sont mentionnés Charles Souffrain, mari de Catherine Sophie, et leurs deux fils Jean Théodore et Jean Charles, puis Jeanne Eugénie. Les Souffrain étaient bien les seuls propriétaires.
Quant aux de Boüard, leur patronyme n'est mentionné au 19e siècle à Saint-Emilion ni sur les matrices du cadastre napoléonien, ni sur les listes nominatives des recensements, ni sur les registres de l'état civil de la commune. Aucun de Boüard n'y était résident ou propriétaire.
Le patronyme apparaît à partir de 1910 lorsque Maurice de Boüard hérite du Château Mazerat de sa tante Jeanne Eugénie Souffrain. Il en reste propriétaire jusqu’à la dernière guerre. En 1911 Maurice est mentionné comme « propriétaire-exploitant » à Mazerat, avec Lydie de Boüard sa première épouse et leur fille Yvonne de Boüard (10). Elisabeth de Boüard, épouse de Maurice, est régulièrement oubliée dans l'histoire du domaine familial. Elle est pourtant citée dans des documents familiaux comme négociante-propriétaire à partir de 1923. D'autres documents familiaux font état de sommes d'argent avancées par Elisabeth de Boüard pour des achats de parcelles de vignes, dont celle du « Clos l’Angélus » achetée en 1922 au Docteur Meslin (gendre de Maurice Gurchy). Elle est mentionnée comme propriétaire de « l'Angélus » au moins jusqu'à la dernière guerre.
Après la guerre, leurs trois fils Jacques, Christian et Alain leur succèdent à la tête de la propriété.
Les deux cents ans et les huit générations des de Boüard sur la propriété de Saint-Emilion, le Château Angélus, ne sont donc qu'un mythe au service de la communication et de la notoriété d’Angélus. De même s'il est vrai qu'une lignée supposée de femmes à la tête du domaine pourrait ajouter à la notoriété d'Angélus, il n'est pas possible de remonter à l'année 1800. Il n'est pas question ici de remettre en cause le Château Angélus et la qualité de ses vins, mais simplement de refuser toute instrumentalisation de l'histoire familiale à des fins marketing (11).
(1) Site internet du Château Angélus.
(2) Dans la 9e édition de 1922 le Château Mazerat seul est propriété du Comte Maurice de Boüard de Laforest.
(3) Michel de Boüard n'a jamais été recteur de l’Académie de Caen, mais doyen de la Faculté des Lettres de Caen de 1954 à 1967.
(4) « Les de Boüard de Laforest : essai historique « , Epron 1983, par Germaine de Boüard de Laforest, son épouse.
(5) Archives Départementales de Gironde – Sous-série 4 J, Fonds de Boüard (1547-1885), 4 J 914 et 915.
(6) « Angélus », Editions de La Martinière, 2015. Cet ouvrage de commande, en dehors de ses qualités esthétiques, est chargé d'erreurs et d'incohérences sur l'histoire des de Boüard et de la propriété familiale, contredisant les archives familiales et l'historien Michel de Boüard régulièrement cité comme l'historien de la famille.
(7) Catherine Sophie n'apparait jamais comme propriétaire dans les actes notariés (succession, donation...).
(8) Antoine Souffrain dit « l'Aîné » et Marguerite Augé, mariés à Libourne le 10 février 1757 (Contrat de mariage 27/01 Me Izambert).
(9) Exceptés les actes de décès de Louise Emilie et Jean Théodore, respectivement soeur et fils de Charles Souffrain, et l'acte de mariage de Jean Théodore.
(10) Archives municipales de Saint-Emilion, 1F1 : Listes nominatives de dénombrement - de Saint-Emilion de 1911.
(11) Le Château Angélus et les éditions de La Martinière ont été contactés par lettres (janvier et février 2017) au sujet de la « version officielle » de l’histoire des de Boüard et de la transmission de la propriété familiale. Plusieurs remarques et questions leur ont été adressées. Une seule réponse évasive d’Angélus à la première lettre. Devant les contradictions de « la version officielle » avec les travaux de l'historien Michel de Boüard, il a été répondu que celui-ci « ayant par ailleurs fait publiquement des déclarations plus que sujettes à caution sur un plan historique nous abordons ses travaux avec une certaine circonspection » (Lettre de Stéphanie de Boüard-Rivoal du 20 janvier 2017). Etonnante remise en cause de « l'historien familial » ! L'éditeur a déclaré transmettre le courrier à Jane Anson. Pas d’autres réponses à ce jour.
(1) Le courrier de Bruno de Boüard du 25 août 2017
Bonjour,
Ayant découvert votre blog depuis peu, je me permets de vous dire mon plaisir à le parcourir. Revigorant et "impertinent".
Appréciant également vos articles sur les vins de Bordeaux, ceux de Saint-Emilion et entre autres sur le Château Angélus, j'aimerais, si vous le souhaitez, vous faire partager mes recherches sur le domaine et la famille de Boüard. J'en fais partie, du moins de la famille, ayant vécu mes dix premières années dans la maison familiale.
Pendant des années j'ai suivi d'un oeil distrait la communication d'Angélus, sa notoriété foisonnante, sa médiatisation débordante, bien au-delà d'un verre ballon. Après le cinéma, les concerts, les expos, les conférences, l'exposition médiatique (presse, TV...)..., sans oublier l'inauguration de "haut niveau" des nouveaux chais (le Ricard était-il compatible avec un Saint-Emilion?), j'ai été étonné par l'ouvrage "Angélus" de Jane Anson, ouvrage de commande, un peu mégalo. L'histoire familiale et l'histoire du domaine dans la famille sont revues et corrigées. J'ai également apprécié les portraits familiaux dans la galerie du Château Angélus. Quelle imagination ! Pour les plus anciens du moins. Mais notoriété oblige! (35 %). Et moi qui pensais naïvement qu'une bonne bouteille se partageait en bonne compagnie, autour d'une table de bons mets avec force de bons mots. Non tout dans la Com!
Tout en déclarant refuser une quelconque instrumentalisation de l'histoire familiale à des fins douteuses, j'ai adressé un condensé de mes recherches et remarques au Château Angélus et à l'éditeur. J'attends leurs réponses... depuis plus de six mois.
Il est vrai qu'afficher (pour la galerie) 200 ans des de Boüard, sur 8 générations, à Saint-Emilion et même sur Angélus, n'est pas difficile. Mais le démontrer en est une autre. "Les gens veulent du rêve", m'a dit un membre de la famille. En réalité il faut couper la poire (ou la grappe) en deux, preuves à l'appui.
Si ma modeste contribution vous intéresse, vous pouvez me contacter.