Le procureur de Rome Giuseppe Pignatone, dans la préface d’un livre, estimait :
« Désormais, les organisations mafieuses cherchent à éviter les actes violents et éclatants, conscientes que ceux-ci alarment l’opinion publique et attirent l’attention de la police et de la magistrature. Mieux vaut recourir à la corruption, qui n’est pas en elle-même révélatrice d’une présence mafieuse mais qui, cependant, favorise le mélange entre le monde mafieux et ‘l’autre’ monde” »
Démonstration comme l’écrit le POINT :
Le marché de la sauce tomate et du concentré de tomates représente-t-il un nouvel eldorado pour les mafias du monde entier ?
« Dans son livre L'Empire de l'or rouge : enquête mondiale sur la tomate d'industrie, aux éditions Fayard, le journaliste du Parisien Jean-Baptiste Malet lève un coin du voile sur ce juteux commerce. Au terme d'une enquête de deux ans et demie tout autour du monde, le constat de l'auteur est clair : « La tomate d'industrie est un produit de marchandise de prédilection des mafias. »
Jean-Baptiste Malet, après avoir enquêté sur les pratiques d'Amazon, a notamment exploré l'Italie, grand fournisseur de tomates, mais aussi de sauces, concentrés ou tomates pelées. Dans son livre, il révèle qu'une grande partie des tomates qui sont utilisées dans ces sauces « fabriquées en Italie » proviennent d'autres pays. C'est l'assemblage seul qui est réalisé dans la péninsule et suffit à revendiquer une fabrication locale. Les tomates utilisées sont notamment originaires de Chine, 2e producteur mondial de tomates d'industrie. Des « hybrides, [qui] poussent sous la terre et ont la peau plus épaisse » et sont souvent ramassées par des enfants et des adolescents.
« Tomato business »
Mais même les tomates italiennes ne sont pas toutes blanches puisque Jean-Baptiste Malet relève que la « quasi-totalité des Africains, Bulgares et Roumains qui travaillent dans les récoltes, notamment dans la province de Foggia (Pouilles), ne sont pas déclarés ». Le « tomato business » et ses faux étiquetages bien moins sévèrement punis par la loi que le trafic de drogue permettent aux mafias de prospérer et de blanchir de l'argent, relève l'auteur. Il estime que leur chiffre d'affaires dans ce secteur est de « 15,4 milliards d'euros en 2014 ». « Il n'a jamais été aussi facile pour les entreprises criminelles de faire fructifier des capitaux sales. » Pour lui, « la criminalité dans l'agroalimentaire a pris une telle ampleur en Italie que les institutions la désignent sous le terme d'agromafia ».
Un livre à lire absolument pour comprendre la mondialisation et mesurer l’extrême difficulté pour la détricoter. Il confirme aussi le rôle pervers, des prix plus bas que bas de la Grande distribution, dans la paupérisation des producteurs agricoles.
Lire « Enquête mondiale sur la tomate d’industrie », révélations sur un produit phare
Lire Comment la tomate d'industrie est devenue le symbole des dérives de la mondialisation
Par Eugénie Bastié
« En Italie, la criminalité dans le secteur agro-alimentaire a pris une telle ampleur que les institutions de la Péninsule la désigne d’un néologisme : agromafia. Avec la saturation des activités « traditionnelles » des mafias et sous l’effet du ralentissement économique engendré par la crise de 2008, les affaires d’agromafia n’ont cessé de se multiplier depuis une dizaine d’années. La Direction nationale antimafia a estimé le chiffre d’affaires des activités mafieuses dabs l’agriculture italienne à 12,5 milliards d’euros pour l’année 2011, soit 5,6% du produit annuel de la criminalité en Italie. Un chiffre passé à 15,4 milliards d’euros en 2014. La même année, à titre de comparaison, le groupe Danone réalisait un chiffre d’affaires de 21,14 milliards d’euros.
Les boss sont désormais présents dans toutes les branches de l’agrobusiness italien. De la mozzarelle à la charcuterie, aucun produit typiquement italien n’échappe à l’influence des clans. La fluidité de la circulation des marchandises propre à la mondialisation, le prestige dont jouissent les produits « Made in Italy », les mutations structurelles propres à l’agrobusiness ont largement contribué à l’essor de l’agromafia. De la Commission parlementaire antimafia aux syndicats italiens, tous soulignent et s’inquiètent de l’influence croissante de la criminalité organisée dans l’industrie agro-alimentaire.
La logique est simple. Les capitaux accumulés résultant des activités criminelles sur des territoires contrôlés par la Camorra (Campanie), Cosa Nostra (Sicile), la ’Ndrangheta (Calabre) ou la sacra Corona Unita (Pouilles) ont besoin de débouchés dans l’économie « blanche », afin de circuler, d’atteindre de nouveaux territoires, de générer de nouveaux profits. Quoi de plus banal, pour recycler de l’argent sale, que de belles bouteilles d’huile d’olive ou de jolies boîtes de conserve de tomates « Made in Italy » ? Ces deux produits emblématiques sont devenus des marchandises de prédilection des mafias. Une fois les investissements réalisés et l’entreprise agro-mafieuse opérationnelle, la firme se connecte à l’économie « légale » : l’entreprise devient alors un acteur (presque) comme un autre du marché. Ses marchandises empruntent les canaux de l’économie mondialisée. L’entreprise agro-mafieuse se développe, elle investit comme toute entreprise, parfois elle rachète des marques prestigieuses. Elle s’allie à d’autres sociétés, ou peut compter sur des acteurs économiques connivents. Par exemple des pizzerias à l’apparence banale pour leurs clients, mais qui sont en réalité d’autres sociétés détenues par la même organisation criminelle ou liées à elle, et qui quel que soit le prix pratiqué, se fournissent en sauce tomate, en huile, en farine ou en mozzarelle auprès de l’industrie agro-mafieuse. In fine, de la pizzeria à la sandwicherie, des rayonnages de la grande distribution aux étals des marchés africains, les produits agro-mafieux parviennent jusqu’aux assiettes des consommateurs du monde entier. Selon un rapport réalisé par le principal syndicat de producteurs italiens, la Coldiretti, en collaboration avec le think tank Eurispes, cinq mille restaurants italiens seraient liés à des groupes mafieux.
Il fait bien longtemps que les mafias ne se contentent plus du simple trafic de drogue, du racket ou de l’usure. L’entrepreneuriat criminel italien maîtrise aujourd’hui les circuits de l’agro-alimentaire globalisé, produit des marchandises et approvisionne le marché global. Les risques courus par les criminels sévissant dans le secteur agro-alimentaire sont bien moins élevés que dans d’autres types de trafics, comme celui de la drogue par exemple. Pour la criminalité organisée, un faux étiquetage de conserves de tomates ou de bouteilles d’huile d’olive peut rapporter autant qu’un trafic de cocaïne. Mais, si le réseau tombe, les peines seront beaucoup moins lourdes.
Le résultat ?
Lorsque les juges italiens antimafias confisquent des biens aux clans, 23 % sont des terres agricoles. Sur un total de 12 181 biens immobiliers confisqués aux mafias en 2013, la Coldiretti a souligné que 2 919 étaient des terres agricoles.
Dans un contexte économique où les produits alimentaire vendus cher dans les supermarchés ne profitent plus aux producteurs qui gagnent toujours moins d’argent sur leurs récoltes et où les intermédiaires gagnent toujours plus, il suffit aux membres des mafias italiennes de contrôler des secteurs clés d’une filière, comme ceux de la transformation et du conditionnement, pour pouvoir blanchir des capitaux considérables, à une cadence industrielle.
La grande distribution cherche des prix bas ?
Qu’à cela ne tienne ! Les clans, dissimulés derrière les façades d’entreprises parfaitement insérées dans le secteur, ayant les codes des industriels, peuvent lui en faire, et ils seront imbattables ! Il suffit à la criminalité organisée de sous-évaluer légèrement le prix de revient d’un produit pour blanchir (très) avantageusement de l’argent sale ; et tous les moyens lui sont permis pour atteindre ce prix idéal, qui permet de céder des volumes importants à un acheteur : exploiter une main-d’œuvre dans l’illégalité ou contrefaire le produit. Les marchés seront raflés et l’acteur mafieux pourra faire tourner ses usines pour générer de l’activité économique. En contrôlant les maillons clés de la production, en vendant des marchandises à des prix extrêmement bas, en trichant sur le droit du travail, la fiscalité, les étiquetages ou les appellations, les clans parviennent à brasser des millions d’euros… et certaines enseignes de la grande distribution finissent par proposer à leurs clients des prix fracassants. »