« ... la vie est un roman qui a besoin d'être récrit. »
Julien Green
À la bonne distance :
Dans ma vie antérieure, du côté du 78 rue de Varenne, derrière mon bureau empire, j’aurais dit à mon Ministre : « C’est une emmerdeuse, elle va te séduire pour mieux t’assassiner… »
Le jour où elle chercha des poux dans la belle crinière argentée d’Hubert, l’homme aux bottes immaculées dans son chai, je la qualifiais de gourgandine.
Et nous sommes devenus amis, je ne suis pas son psy, ni son petit ami, son ami tout court, simplement un mec qui apprécie son courage, sa ténacité, sa pugnacité, face au torrent d’injures que déversèrent sur elle les stipendiés des châteaux.
Nous sommes voisins. Ses deux choupettes sont belles.
Je ne pose jamais de questions à mes amis, avec ou sans e, mais si ça leur dit je les écoute, on me dit distant alors que j’essaie de me situer à la bonne distance, sans intrusion ni une compassion de façade.
Il faut dire que mon élevage dans les jupons du clan des femmes du Bourg-Pailler a développé ma part féminine, la double peine des filles qui ont un job c’est, hormis de contribuer à faire bouillir la marmite, se taper le versant ménager.
Face à ça je peux dire je sais car je fais.
Ceci est écrit pour vous prévenir que la chronique à venir sur le premier roman d’Isabelle, Le Prince Charmant, c’est vous ! se situe à la bonne distance, c'est le regard amical d’un ami dépourvu de complaisance et d’un quelconque renvoi d’ascenseur.
Dans le roman d’Isabelle où la narratrice est dépourvue de prénom, deux personnages sont de vrais héros de roman : l’artisan, monsieur je sais tout faire, qui rénove la chambre de bonne sous les toits, roi du devis à rallonge, des reports en cascade, il m’a fait penser au roman, qui a rendu Peter Mayle célèbre dans le monde entier, dans lequel il dressait un portrait des artisans du Luberon avec un humour so british.
Le second héros c’est son psy. Je n’ai rien contre les psys et ceux qui les consultent mais ces rebouteux de l’âme, ces réparateurs de cœurs meurtris, ces sondeurs des plis et des replis de leurs patients, ne sont pas ma tasse de thé. Il faut dire que j’ai été vacciné, les curés, les bons frères, toute cette engeance qui me bassinait pour savoir si je visitais la culotte des filles ou si je pratiquais la lessive à la main, m’ont immunisé. Je suis bio nature dans mon petit jardin d’intérieur, j’arrache les adventices de mes mains, sans main-d’œuvre extérieure.
Celui de la narratrice est très intrusif et directif, en plus il est docteur, rien à voir avec le guignolo, ex-mao de Gauche Prolétarienne, le Gérard Miller, grand défenseur du service public, pourfendeur des élites, qui envoie sa progéniture à l’École Alsacienne.
Les autres mâles du roman, la moitié, l’amant gay, vous les découvrirez et je dois vous avouer que je ne passerais pas des vacances avec eux, drôles d’oiseaux, ils sont d’un convenu, chacun à leur manière, désespérant.
Avant de passer aux choses sérieuses, une mention spéciale au portrait de son avocat de droite, le roi du tweet, j’adore, c’est tout lui, courses à terroir d’avenir et vin nu.
Ma sainte mère aurait dit de la narratrice « elle porte la culotte ! »
Certes, elle la porte mais avec la cohorte des doutes, de la mauvaise conscience vis-à-vis des enfants, de l’envie qu’on s’occupe d’elle la forte, l’indestructible, elle est le portrait-type des femmes de 40 ans qui bossent, avec pour elle, cerise sur le gâteau, une bernique accrochée à elle comme sur un rocher.
Les mâles autour de moi me reprochent mon environnement quasi-exclusivement féminin, le vieux entouré de minettes. C’est un choix de vie, je l’assume sans flagornerie. Il me repose du féminisme de pacotille d’une génération qui se la joue cool. Je m’étonne souvent auprès de mes amies de leur constance à s’enticher, à tomber amoureuse, de loulous sans colonne vertébrale, inconsistant, fort en bouche et beaucoup moins dans l’héroïsme du quotidien.
Le roman d’Isabelle c’est du Saporta, sans fioritures, quand elle baise elle baise, quand elle pleure elle pleure, quand elle flippe elle flippe, c’est du cru, du très cru, elle ne brosse pas son portrait à son avantage.
Les bonnes âmes, les faux-cul, les hypocrites, et je ne parle pas des margoulins du vin, vont s’offusquer de cette mise à nu, de ce politically incorrect, grand bien leur fasse mais la narratrice ne charge pas la barque de sa bernique accrochée à son rocher, elle lui décerne un brevet de bon père, elle se dit heureuse qu’il soit le père de ses filles, elle ne se donne pas le beau rôle.
Sous ses grands airs de pourfendeuse, de redresseuse de torts, de chieuse, Isabelle cache une sensibilité à fleur de peau, c’est une belle personne et si, même si, elle hérisse le poil de beaucoup, bien-pensants ou simplement braves gens, elle mérite qu’on l’aime.
Lisez son roman, ce n’est pas du Harlequin ni du jus de tête pasteurisé, c’est du lait cru, du vécu, avec des odeurs, des pleurs, des rires, du brutal, de la tendresse, une tranche de la vie que l’on vit, ça fera du bien à certains d’entre vous, faire cuire un œuf et laver ses chaussettes ça ne tue pas l’amour et je rappelle que le mariage est avant tout un contrat civil.