J'ai passé en 1999, pour une mission de sauvetage du Cognac, des mois à sillonner la Charente profonde, bien sûr je suis allé à Jarnac où le papa de François exerçait la profession de vinaigrier. Déjà bien avant, lorsque Tonton résidait au château 1985, je fus expédié, sur son ordre, à Cognac, rencontrer les chefs de famille dans un petit château appartenant à René Firino Martell, afin de dénouer une autre crise : les futs débordaient et ces messieurs souhaitaient « épandre du Cognac à l’égout » (sic). Les dirigeants du Modef, d’obédience communiste, arrivèrent dans une Mercédès noire, ambiance feutrée, surannée, un entre-soi fait de vieilles rancœurs, de rancunes recuites,les maîtres et les valets…
Même si je n’ai jamais eu beaucoup d’empathie pour l’homme politique Mitterrand je me suis toujours attaché à chercher à comprendre les ressorts profonds de sa personnalité complexe. Dans le domaine littéraire, pour son écriture, comme pour ses lectures, il était d’un classicisme qui n’est guère ma tasse de thé.
Ainsi, son amour pour Jacques Chardonne, dont les livres me tombent des mains.
19 octobre 2005
Les destinées sentimentales
Regardant son tailleur de serge dans la glace de l'armoire, un matin Pauline eut envie de robes légères. Elle mit un canotier de paille blanche, une voilette de dentelle à grands dessins opaques et prit son ombrelle foncée à long manche. Elle voulait voir madame Corbeau, la couturière et s'arrêta au bureau pour demander de l'argent.
Elle sortit par l'écurie après avoir frôlé d'un petit coup des doigts les naseaux de son cheval et le cou soyeux, puis elle suivit les quais.
Les caisses de sapin rosé s'entassent au bord de la Charente, des barriques neuves roulent sur les rails de bois vers une gabare, et les laveuses agenouillées parmi les roseaux battent le linge; la rivière brille dans la lumière, glisse et se perd entre les prairies sous un ciel bleu, traversé de petits nuages effilés et ambrés qui portent encore des reflets de la côte marine. Devant une rangée d'ormes, les maisons d'un gris délicat, en pierres grenues, simples, solides, sans mystère, des persiennes blanches, un balcon en fer en corbeille, ont toutes leurs fenêtres ouvertes au soleil.
Pour s'abriter du sol étincelant, Pauline traversa le quartier des chais, par des ruelles ombreuses, entre des murs noirs, percés de larges portes basses, toujours ouvertes, qui lui soufflaient au visage une fraîcheur de cave. Les coups de marteau des tonneliers retentissaient sur les barriques sonores; on respirait une odeur vineuse, chaude, subtile
Les 29 et 30 octobre 2018, la maison de vente Piasa proposait à Paris une partie de la pléthorique bibliothèque de l'ancien président de la République. Littérature sentimentale, témoignages politiques, mais aussi fidélité à l'extrême droite littéraire de sa jeunesse.
Par Judith Benhamou-Huet
Publié le 12 oct. 2018
« Je vous admire cher François Mitterrand qui êtes porteur d'une si grande espérance, homme des tempêtes à votre tour comme l'écrira un jour l'Histoire, qui vous reconnaîtra parmi les siens.» En octobre 1977 Albert Cohen, l'auteur de « Belle du seigneur » écrit à celui qui deviendra quelques années plus tard président de la République française, pour le remercier d'avoir soutenu sa candidature au prix Nobel de littérature.
Il s'agit seulement d'une partie de sa bibliothèque, composée d'ouvrages et de quelques manuscrits du XXe siècle. On peut penser qu'une autre partie a été reçue en héritage par sa fille Mazarine. En 1990 il avait aussi offert à la médiathèque de Nevers 20.000 ouvrages. Dans sa résidence secondaire des Landes à Latché, il possédait un petit pavillon-bibliothèque d'environ 1.500 livres parfaitement classés et répertoriés par les bons soins de son épouse - elle reliait aussi avec talent certains ouvrages -, tout comme dans sa résidence privée parisienne de la rue de Bièvre. L'expert de la vente, Jean-Baptiste de Proyart, observe : «L'ensemble raconte un goût pour le roman très classique ainsi que des anecdotes de sa vie politique.»
Les libraires de la place parisienne se souviennent encore de l'assiduité de François Mitterrand en la matière : « C'était non seulement un vrai lecteur qui aimait les textes, mais encore un véritable bibliophile qui cherchait des ouvrages en édition originale sur grand papier (1) avec des reliures de qualité, si possible accompagnés d'un envoi (2). Généralement, il en savait plus que nous sur le sujet», se souvient Benoît Fargeot, libraire à Saint-Germain-des-Prés.
Laurent Coulet, installé boulevard Haussmann, recevait couramment la visite de François Mitterrand du temps de sa présidence : « C'était un client particulièrement charmant. Il profitait quelquefois de ce moment pour semer les gardes du corps et partir se promener. Généralement, ses visites se faisaient en compagnie de quelqu'un comme Anne Lauvergeon, Jacques Attali ou René-Patrice Pelat. Il ne restait pas plus de dix minutes. Il savait parfaitement ce qu'il voulait. Il aimait les grands écrivains du XXe siècle, comme Jacques Chardonne… »
Collaborateurs notoires
Justement, Jacques Chardonne, grand romancier, est aussi connu comme un collaborateur notoire. Pourtant, la vente ne contient pas moins de 27 lots consacrés au « romancier préféré » de François Mitterrand. Les trois parties des « Destinées sentimentales », éditées entre 1934 et 1936, sont estimées 800 euros. Comme chacun des livres de sa bibliothèque, ces ouvrages sont accompagnés d'une note manuscrite à l'encre bleue, un papier volant de François Mitterrand qui indique l'auteur, le titre, le prix, la date et le lieu d'achat.
La vente contient, encore dans l'esprit des écrivains connus pour leurs actes de collaboration, des ouvrages de Pierre Drieu la Rochelle, Lucien Rebatet ou Robert Brasillach.
J
Jacques Chardonne et son épouse, Camille Belguise, en 1930.
Photo : Laure Albin Guillot / Roger-Viollet
Trois raisons de relire (malgré tout)... Jacques Chardonne ICI
Hubert Prolongeau
Publié le 01/12/18 mis à jour le 15/07/20
Déshonoré par son attitude pendant l'Occupation, l’écrivain, mort il y a tout juste cinquante ans, n'en reste pas moins l'un des plus fins analystes du couple qui soit.