Ma ruée vers mes 3 librairies fétiches au sortir du confinement se fit sur la base d’un plan longuement mûri : 1blitzkrieg Gallimard-L’Écume des pages-Compagnie pour fondre sur 3 cibles : des romans, des polars et mes envies du moment.
3 polars dans mes prises de guerre (rappelons-nous que nous sommes en guerre) : 1 ricain, 1 Corse et 1 Israélien.
J’ai décidé de commencer, parce que les Éditions Liana Levi ne m’ont jamais déçu, et parce que les services secrets d’Israël sentent le soufre, par :
UNITÉ 8200 – Dov Alfon – Éditions Liana Levi – 385 p. avril 2019
Traduit de l'anglais par Françoise Bouillot
Cette unité existe-t-elle ?
« Oui, elle a été créée en 1952, installée dans le désert, elle a pour but la collecte de renseignements d'origine électromagnétique et le décryptage de codes au profit de l'Armée de défense d'Israël. Il n’est donc pas difficile de penser que ce roman a des accents de vérité… »
« Ce premier roman de Dove Alfon est du genre excitant. Il déclenche une frénésie et il n’est pas question de le lâcher une seconde tant le besoin de comprendre s’impose. Construit avec une grande intelligence il donne l’impression de révolutionner le roman d’espionnage alors qu’il en épouse parfaitement les codes et son intrigue est d’une grande clarté. Les personnages sont séduisants et il y a même des touches d’humour très réussies (la conversation en hébreu passée au traducteur automatique vaut son pesant de cacahuète !). » Sylvie Sagnes
On en veut encore !
« Un pied dans l’écriture, un autre dans la chose militaire, avec l’actualité politique pour trait d’union. Un parcours qui résume peut-être pourquoi, plus généralement, les Israéliens sont à l’aise avec cette matière. Au sein d’une nation aussi pénétrée du souci de sa sécurité et de la défense de ses frontières, le renseignement est une activité vitale et assumée. Et sur le CV, une ligne qui n’a rien de honteuse. Connaître ainsi le système de l’intérieur permet d’être précis et crédible quand on en parle. Ce qui n’interdit pas d’y mettre de la distance. »
Dov Alfon, 58 ans, né à Sousse en Tunisie, a vécu en France, à Créteil, jusqu’à l’âge de douze ans, donc francophone il s’exprime dans un Français impeccable et sans le moindre accent.
« À cette époque, mes parents ont connu un épisode antisémite et ils se sont dit, ce n’est pas possible, on part en Israël. Exit donc le lycée Henri IV. Je suis allé à l’école puis réserviste, et à l’âge de 21 ans je me suis retrouvé officier à la tête d’un budget équivalent à cinq millions de dollars! »
Deux ans plus tard, il rejoint les bancs de l’école hébraïque et se lance dans l’écriture. Ce sera le premier chapitre d’Unité 8200 même s’il ne le sait pas encore.
« Je l’ai mis de côté ne sachant pas trop quoi en faire. Et puis je l’ai ressorti après toutes ces années, et le premier chapitre du livre est pratiquement celui que j’avais écrit à l’époque. Cela se voit parce que c’est un peu immature. »
Dov Alfon a été le premier rédacteur en chef d’origine séfarade en 100 ans d’existence de l’excellent quotidien Haaretz.
« Il y a toujours eu un racisme de supériorité de la part des Ashkénaze, 90% des officiers des services de renseignement le sont. Et il y a cinq ans, les autorités ont changé de braquet. Ils ont compris qu’ils avaient besoin de gens qui parlaient couramment et naturellement l’Arabe, le Perse ou le Russe. »
« Il y a sans doute un peu de lui dans le personnage du colonel Abadi. La relation avec sa maman est à mourir de rire. L’homme est malmené par ses supérieurs. Problème : il est l’un des meilleurs dans sa discipline. L’alliance contre nature, entre le commissaire français fatigué Léger et le bouillonnant colonel israélien, est finement observée.
L’auteur connaît bien les qualités et travers des deux pays. Il les scénarise de façon bien sympathique.
Deux grands géants sont aussi passés au crible : les Chinois et les Russes.
Dov Alfon n’hésite pas une seule seconde.
« Le ton du livre est léger pour une situation en réalité très grave. Il faut savoir qu’aujourd’hui, si la NSA des Américains et les Chinois sont les meilleurs au monde, ils le doivent au budget que leur gouvernement respectif leur alloue, et qui concerne essentiellement la défense du pays. Mais en termes d’attaque d’une nation envers une autre nation, la Russie est Number One. Les Russes sont derrière tous les derniers tremblements de terre qui ont ébranlé les démocraties d’Europe de l’Ouest, comme le Brexit, ou même les Gilets jaunes. J’étais en signature il n’y a pas longtemps à Birmingham, en Angleterre. Un lecteur s’est approché et avant d’acheter mon livre, il voulait être sûr que je n’avais rien écrit de pro-européen. Ce qui est très habile pour les Russes, c’est qu’ils ont réussi à enclencher une colère de la part des gens contre le système et les élites qui échappent à tout discours politicien. »
Un pied dans l’écriture, un autre dans la chose militaire, avec l’actualité politique pour trait d’union. Un parcours qui résume peut-être pourquoi, plus généralement, les Israéliens sont à l’aise avec cette matière. Au sein d’une nation aussi pénétrée du souci de sa sécurité et de la défense de ses frontières, le renseignement est une activité vitale et assumée. Et sur le CV, une ligne qui n’a rien de honteuse. Connaître ainsi le système de l’intérieur permet d’être précis et crédible quand on en parle. Ce qui n’interdit pas d’y mettre de la distance.
« Voici une intrigue menée de main de maître, sans temps mort, très visuelle, et assortie de dialogues très vifs. L’écriture est fluide (merci à la traductrice) et on suit sans peine les différents événements, les rebondissements, le rôle et la place de chacun des protagonistes. Les personnages sont intéressants, notamment Oriana Talmor et Zeev Abadi et le lien qu’il tisse au fil des pages, essayant de s’épauler pour avancer. Oriana est une jeune femme pétillante, intelligente, rusée et c’est un vrai plaisir de suivre ses raisonnements. Le commissaire Léger, en bon français, est un peu bougon, râleur, méfiant mais il fait de son mieux. »
« Unité 8200 est un polar très politique, le gouvernement israélien et ses services de renseignement ne sont pas épargnés. L'ambiance de paranoïa générale, qui doit être commune à toutes les officines de ce genre, est renforcée par les luttes entre les différents services, l'opacité des décisions, la corruption du sommet de l'État, donnant de mauvaises idées à la base, le carriérisme, les ambitions et les jeux stratégiques internes dont les résultats apparaissent plus préoccupants que la vie d'un citoyen lambda disparu à Paris. Surtout si l'enquête met à jour des dysfonctionnements importants au cœur même du système. Un panier de crabes, enfermé dans un nid de frelons, posé sur une fosse aux serpents, c'est là qu'Oriana et son supérieur mettent les pieds. »