En cette année de cérémonies anniversaires des 50 ans d’un mai 68 bien pacifique, Jean-François Khan qui couvrait les évènements pour l’EXPRESS souligne fort justement : « Chaque camp a construit sa mythologie, l’une totalement négative, l’autre totalement divine. Or aucune ne correspond à la complexité de Mai 68. », même si ensuite la France a connu quelques soubresauts violents, je ne peux m’empêcher d’évoquer ce que furent, en Italie, les années de plomb.
Ma pile de livres sur cette période est vertigineuse, je dissèque, je cherche à comprendre comment dans ce pays ami des jeunes de mon âge, en sont arrivés à tuer de sang-froid Aldo Moro.
Juste avant de me vautrer à vélo j’avais acheté Les noirs et les rouges d’Alberto Garlini et commencé à lire, ce que je croyais être un simple roman policier s’est révélé une fresque hallucinante de ce que fut cette période sanglante.
Je l’ai terminé, assis sur le fauteuil de la chambre 4 de l’hôpital Cochin.
Je ne revendique pas ce qui suit, comme étant de ma plume, j’ai puisé à 3 sources que vous pouvez consulter dans leur intégralité :
- Télérama : Les noirs et les rouges d’Alberto Garlini
Le « héros » du roman, Stefano Guerra est étudiant à Udine, province du Frioul, au-dessus de la Vénétie, proche de Trieste, de l’Autriche et de la Slovénie, n'est pas un fasciste d'opérette, il fait le coup de poing contre les « rouges », les chinois en référence aux maos, il cultive une forme de romantisme noir, fourbi par la geste mussolinienne. Nous sommes en 1968, il vomit l'Italie démocrate-chrétienne, sa culture décadente et sa mollesse bourgeoise. Pour lui le capitalisme endort et le système doit mourir. Course haineuse d’un jeune fasciste épris de musique et de poésie, pétri de violence, il croise Pier Paolo Pasolini, le compositeur Luciano Berio.
Sa vie bascule le jour où, lors d'une occupation de l'université de Rome, il tue, sans vraiment le vouloir, un étudiant de gauche, Mauro, fils d'un poète réputé.
Il devient un enragé, dirige un groupuscule d'extrême droite, monte ses réseaux, se convainc que les slogans des vieux squadristi forgent l'âme des guerriers. Soldat perdu, bouffé par les souvenirs de la mort de son père, qui s’est pendu sous ses yeux, il cultive avec délectation l’esprit de sacrifice puisque le vrai fasciste ne s'exalte que dans la défaite.
« En 920 pages, Alberto Garlini restitue le monde de l’extrême droite italienne pendant les années de plomb, entre 1968 et 1980, où un certain nombre d’individus nostalgiques de Mussolini et d’organisations néo-fascistes tentèrent de faire basculer le pays dans le chaos, avec « une stratégie de la tension » à travers des attentats, des actions violentes ou des manipulations, afin de légitimer un coup d’Etat. »
« Alberto Garlini ne cherche pas à glorifier ou à excuser. Il raconte sans complaisance la dérive d’une poignée d’individus pris dans les convulsions du monde. Stefano se trompe. C’est un soldat perdu. Une petite frappe à la recherche d’un idéal. Il fuit. Il frappe. Il tue. Il aime. Ce roman vertigineux, lyrique, âpre, dérangeant, élégant raconte aussi bien la saloperie du monde que sa beauté. C’est une de ces perles noires que seule la littérature, à de très rares instants, sait faire briller. »
«Pulsion de mort et de culpabilité exacerbé jusqu’à le pousser à rencontrer Antonella, la sœur de Mauro, l'étudiant qu'il a tué. Tombés amoureux, ils deviennent amants, Mauro, s’immerge dans la violence purificatrice mais le doute l’assaille lorsqu’il constate que la bombe posée dans une banque, qui ne devait exploser qu’après la fermeture, tue 14 personnes. Acteur de cet attentat il se sent floué, il cherche à comprendre, s'interroge sur ce que devient la violence quand elle n'est plus politique.»
« Pourquoi les quatorze morts et quatre-vingt blessés de l’attentat de la Piazza del Monumenta à Milan en 1969 – référence au véritable attentat contre la Banque de l’Agriculture de la Piazza Fontana à Milan – Stefano n’en peut plus de ce sang, de cette guerre sale, des manipulations des services secrets, des combines des politiciens, des retournements de veste des leaders, de la terreur, des assassinats. »
Haletant, ce beau et gros roman haletant, mieux que les livres d’histoire dissèque les années de plomb. Alberto Garlini, né en 1969, a du talent, c’est un grand romancier, son roman est un brûlot politique flamboyant.
« Alberto Garlini ne cherche pas à glorifier ou à excuser. Il raconte sans complaisance la dérive d’une poignée d’individus pris dans les convulsions du monde. Stefano se trompe. C’est un soldat perdu. Une petite frappe à la recherche d’un idéal. Il fuit. Il frappe. Il tue. Il aime. Ce roman vertigineux, lyrique, âpre, dérangeant, élégant raconte aussi bien la saloperie du monde que sa beauté. C’est une de ces perles noires que seule la littérature, à de très rares instants, sait faire briller. »
« Cette histoire est vraie puisque je l'ai inventée »
« Guerrier sauvage et intègre, Stefano Guerra n’est finalement que le fruit de la colère qui anime les trois « pères » qui forment autour de lui un cercle de haine qui l’aveugle. Il y a tout d’abord Franco Revel, guide politique et militant qui l’entraîne sur la voie révolutionnaire tout en se compromettant avec les arcanes du gouvernement en place. Il y a également Rocco, père de substitution, guide érotomane, tout droit sorti du dernier film de Pier Paolo Pasolini, Salo ou les 120 jours de Sodome. C’est cet homme monstrueux qui abreuve et influence une partie de la jeunesse d’Udine avec ses souvenirs « glorieux » lorsqu’il était membre des commandos fascistes du Duce. Et puis il y a ce père géniteur que Stefano découvre à l’âge de huit ans pendu dans une grange. On peut donc ressentir une forme d’empathie pour ce personnage tragique, très vite contrebalancée par ses actes abjectes et les propos ignobles de son entourage sur la pureté de la race à l’instar de ce comte Sperelli, jeune noble fasciste, probablement bien plus dangereux que Stefano Guerra. »
À découvrir impérativement.