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19 novembre 2017 7 19 /11 /novembre /2017 07:00
L’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs, Alice Zéniter dans L’art de perdre, conte celle des harkis, elle méritait le Goncourt, les lycéens le lui ont donné…

J’étais vénère  bien que je me contrefichasse des prix littéraires comme de ma première chemise car cette année ayant lu le dernier carré j’étais persuadé qu’Alice Zéniter allait avoir le Goncourt.

 

J’avais acheté son livre car le sujet, le conflit algérien vu au travers de l’histoire d’une famille, qui se déroula en toile de fond de ma jeunesse, nos frères partant dans le djebel pour ce qui n’était pas disait-on la guerre, de ses enjeux, de sa violence, de ses multiples et encore vives blessures, les rapatriés « les pieds noirs, les harkis, les anciens d’AFN, les ex-Algérie française, les travailleurs émigrés majoritairement algérien, a contribué à me structurer politiquement.

 

J’ai lu, sans que mon attention ne se relâche, ses 500 pages en Corse, en fin de journée lorsque l’air devient tendre et que la lumière s’adoucit en pensant à cette Kabylie, que j’ai sillonné lorsque j’effectuais mon service national en tant que coopérant. Béjaïa, ex-Bougie, Tizi-Ouzou, les fameuses gorges de Palestro devenu Lakhdaria, wilaya de Bouira.

 

 

Contrairement à une idée reçue l’Algérie n’est pas majoritairement arabe Kateb Yacine soulignait qu’elle n'était ni arabe ni musulman, et dans un récent article : L’Algérie arabe est une imposture 18 avril 2017 l’écrivain Karim Akouche en fait courageusement la démonstration  ICI 

 

Mouni qui gardait ma fille était Kabyle, elle me racontait. Un jour elle me présenta sa fierté, sa fille pilote de ligne qui ne pouvait exercer son métier sur Air Algérie.

 

La guerre d’Algérie a laissé bien plus que des traces, des fractures jamais réduites, de sourdes haines habillées de sales mots : bougnoules, melons, crouilles, ratons, bicots… de chaque côté de la Méditerranée notre Histoire commune reste à écrire par ceux qui n’ont pas été partie prenante de cette sale guerre.

 

« L’histoire est écrite par les vainqueurs. » plaidait, citant Churchill, Robert Brasillach pour sa défense lors du procès qui le condamnerait à mort.

 

« Le FLN a fait de l’indépendance une cité en ruines, il y a jeté les enfants et les femmes dans les bras d’un monstre qui hait les rêves et la beauté : l’islamisme-arabisme. » écrit Karim Akouche.

 

Dans l’Histoire officielle de l’Algérie les harkis, ces traîtres, ces collabos, ces bannis, n’ont pas leur place, pas plus d’ailleurs que dans la nôtre, et pourtant, l’Algérie n’était pas une colonie mais 3 départements du sol national. C’est pourtant cette France qui les abandonna, sans remords, à leur arrivée, le gouvernement gaulliste les parqua dans des camps, celui de Rivesaltes qui en avait vu défiler d’autres.

 

La narratrice, Naïma, jeune galeriste ignore tout de l'Algérie et de l'enfance de ce père, débarqué à Marseille en 1962 avec Ali son père, Yema sa mère et toute la famille. « Ce qu'on ne transmet pas, ça se perd, c'est tout. Tu viens d'ici mais ce n'est pas chez toi », lui rétorquera un artiste algérien.

 

Ce livre est un grand livre empli de boue, de sueur, de silence, d’humiliation, Alice Zeniter, elle-même petite-fille de harkis, raconte courageusement la tragédie de ces sacrifiés de l'Histoire. Sans préjugés ni certitudes ; avec exactitude et romanesque.

 

« L'Algérie les appellera des rats. Des traîtres. Des chiens. Des apostats. Des bandits. Des impurs. La France ne les appellera pas, ou si peu. La France se coud la bouche en entourant de barbelés les camps d'accueil », écrit Alice Zeniter.

 

En travaillant sur son roman, elle a découvert ces « espèces de poches secrètes où l'on met tous ceux dont les trajectoires nous embarrassent » On découvre ainsi le camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) où seront parqués les harkis après avoir « accueilli » les républicains espagnols fuyant Franco, les Juifs et les Tziganes raflés par Vichy...

 

Le livre d'Alice Zeniter n'est pas pour autant un réquisitoire même si la jeune femme avoue « sa colère et son dégoût » face à cette histoire grise.

 

Le patriarche, le fils, la petite-fille : trois personnages, trois époques, trois pans d'Histoire, trois manières d'être au monde, « Sa saga aux allures de dérisoire et sinistre épopée brasse le destin de la famille Zekkar, de 1930 à aujourd'hui, et celui d'une Algérie qu'on n'en finit pas de rejeter de ce côté-ci de la Méditerranée. »

 

L'Art de perdre, est son cinquième livre, le plus puissant, le plus sensible et rayonnant, c’est un aboutissement.

 

« Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître », écrivait joyeusement la poétesse américaine Elizabeth ­Bishop (1911-1979). Elle a offert son titre à ce beau livre en mouvement, qui ne s'achève pas vraiment. Conscience à l'affût, Alice Zeniter refuse pensées toutes faites et conclusions faciles. — Fabienne Pascaud »

Ed. Flammarion, 512 p., 22 €.

 

 

« Le Monde » a remis son 5e prix littéraire à Alice Zeniter pour « LArt de perdre»

 

Il vient d’obtenir le Goncourt des lycéens, bravo à eux :

 

« Si la guerre d'Algérie appartient au passé pour les jeunes générations d'aujourd'hui, la découverte, via la littérature ou toute autre forme d'art, d'une injustice enfermée depuis longtemps dans le passé vient nous frapper de plein fouet comme si elle avait eu lieu aujourd'hui » Alice Zéniter.

L’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs, Alice Zéniter dans L’art de perdre, conte celle des harkis, elle méritait le Goncourt, les lycéens le lui ont donné…

Le point de départ :

 

« Alors ils sortirent le pressoir de l’eau, le remirent en état et l’installèrent dans leur jardin. Peu importait désormais que leurs maigres terres furent stériles car les autres venaient à eux avec les olives de leurs arpents et eux en faisaient de l’huile. Bientôt, ils furent suffisamment riches pour acheter leurs propres parcelles. Ali put se remarier et marier ses deux frères. La vieille mère s’éteignit quelques années plus tard, heureuse et apaisée. »

Page 21

[…]

 

« La richesse d’Ali et de ses frères est une bénédiction sur un cercle de cousins et d’amis beaucoup plus vaste. Elle les oblige à une solidarité élargie, concentrique et elle agrège autour d’eux une partie du village qui, leur en est reconnaissante. Mais elle ne fait pas que des heureux. Elle vient déranger la suprématie antérieure d’une autre famille, celle des Amrouche dont on dit qu’ils étaient riches à l’époque où il y avait encore des lions. Eux vivent un peu plus bas sur la crête, dans de ce que les Français appellent de manière trompeuse le « centre » de cette succession de sept mechtas, des hameaux situés  sur le fil de la roche, les uns après les autres, comme des perles éparses sur un collier trop long. En réalité, il n’y a pas de centre, pas de mitan autour duquel se seraient formées ces grappes de maisons, même la maigre route qui les relie n’est qu’une illusion : chaque mechta forme un petit monde à l’abri de ses arbres et de ses murs et l’administration française a fusionné ces univers minuscules en une circonscription administrative, un douar qui n’existe que pour elle. Les Amrouche ont d’abord ri des efforts d’Ali, Djamel et Hamza. Ils ont prédit qu’ils n’arriveraient à rien : un paysan pauvre ne deviendra jamais un propriétaire compétent, il n’a tout simplement pas assez de suite dans les idées. Le bonheur ou le malheur de chacun, disaient-ils, est gravé sur son front depuis sa naissance. Puis ils ont tordu la bouche devant le succès qui venait couronner l’entreprise d’Ali. Finalement, ils l’ont accepté, ou feint de l’accepter, en soupirant que Dieu est généreux. »

Pages 26-27

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commentaires

É
Avez-vous lu le roman de Karim Akouche, La religion de ma mère ?<br /> Il est poignant. Quel style, mais quelles émotions !
Répondre

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