« Fille de la misère » suivant selon l'expression de Charles Gide, grand universitaire, oncle de l'écrivain et théoricien des coopératives de consommation, « filles de la misère et de la nécessité » : pour ceux qui sont dépourvus de moyens financiers, le regroupement et la solidarité sont les seules armes disponibles. La coopération vinicole le fut incontestablement dans les premières années de ce siècle. Face à la crise, face aux difficultés économiques accablantes, il fallait résister, se grouper pour être plus forts et la solution coopérative, avec ses immenses qualités, s’imposa.
Les grandes idées ne meurent jamais même si elles sont parfois estropiées par certains hommes qui disent les incarner. La coopération vinicole n’est devenue que ce que les hommes en ont fait mais elle ne porte pas en elle, toute l’indignité dont certains l’affublent au nom d’une idéologie ou de présupposés qu’ils n’ont jamais vérifiés. Le faire ensemble, si ce que fait la main est bien fait, vaut aussi bien que ce peut faire l’individu isolé. Bref. J’ai choisi de vous narrer, via une grande plume, celle de Daniel Halévy, ce qu’étaient les vignes et les vignerons de Domérat (ci-dessus le blason de Domérat) Nul passéisme en cette approche mais une piqure de rappel aux urbains oublieux qui cultivent dans le confort douillet de leurs petites chapelles ce que certains se permettent de qualifier de vin équitable link
« Domérat le village, Prunet le hameau, tout cela m’est familier. Voici la maison de Rougeron ; je frappe à la porte, sa fille m’ouvre. Elle est seule, son père est dans les vignes ; elle m’y conduira.
Domérat est plus haut que Montluçon, Prunet plus haut que Domérat, et les vignes de Rougeron au plus haut de Prunet. Nous montons ; nous causons ; tous vont bien, le père, la mère, l’aïeule ; la fille est venue pour les vacances, avec son fils, maintenant un grand garçon et qui ne rêve qu’aux vignes et à la terre.
Quel admirable lieu ! C’est ici la pente de l’Auvergne. Le pays change, la terre s’élève, forme un vaste seuil en avant des montagnes, et de ce seuil penché la vue découvre Berry et Bourbonnais, une France rurale immense, étale jusqu’à la Loire.
Or, regardant vers en haut, j’aperçois, parmi les vignes, une cabane à outils entourée d’une éclatante roseraie […]
Voici Rougeron tout près, qui me fait signe. Le corps vigoureux est un peu courbé, la moustache a blanchi. La marche est sûre, mais lente […] Il y a tant d’années que nous nous connaissons. J’ai vu Rougeron dans sa jeunesse encore, et puis dans la force de sa maturité. Le voici proche des grands âges. Du moins n’a-t-il pas perdu ses peines. Notre vieil ami, le rêveur, le réformateur, l’éducateur de Domérat, jadis inconnu hors de son village, est devenu un des premiers paysans de France. Il préside la Fédération de l’Allier et la tient dans la droite ligne, hors l’intrigue et la politique. On le réclame, l’acclame dans les congrès nationaux, où s chaude et plaisante parole est aimée. Cette bonne gloire, il a trop de cœur aussi pour en être vain. Toujours plus préoccupé de ce qui reste à faire que de ce qui est obtenu, il garde en lui le fécond tourment des grandes âmes […]
« Nous retenons tant que nous pouvons, fait-il. Ah ! si nous voulions brûler les sous-préfectures, comme à Saint-Brieuc, ce ne serait pas difficile. Il n’y aurait qu’à laisser faire… »
J’ai l’impression qu’il pourrait m’en dire davantage, que je suscite en lui des préoccupations. La Fédération de l’Allier, par le temps qui court, ne doit pas être commode à conduire. Mais je ne suis pas venu renouveler ses ennuis, et je ne le presse pas de questions.
Il me ramène vers sa maison. Nous descendons ensemble, laissant en arrière le garçon et l’aïeule qui restent à ranger les fruits. Rougeron m’installe à sa table et me fait boire de son vin […]
« Que de choses restent à faire ici », murmure-t-il.
Ce n’est plus le militant qui parle, c’est le vieillard qui se souvient, regrettant de laisser après lui une tâche imparfaite.
« Le paysan devient furieux, poursuit-il. Mais s’il savait s’y prendre, il ne souffrirait pas tant. Cette question des prix, par exemple. Nous en souffrons à Domérat. Je dis qu’il y a de notre faute. Avant la guerre, nous avions nos clients d’habitude, qui nous revenaient chaque année, et ça allait tout seul. C’est incroyable, les habitudes qu’il y avait. Avant la Révolution, il y a cent cinquante ans, notre vignoble appartenait à des moines de Combrailles. Ces moines avaient l’habitude de notre vin, et dans le pays, autour d’eux, on les imitait, on buvait le vin de Domérat. Eh bien, l’usage a duré et, il y a vingt ans, avant la guerre, nous avions encore nos meilleurs clients en Combrailles. On se connaissait, on s’écrivait, on se fournissait, c’était commode, bien sûr. Aujourd’hui, c’est fini, le commerce a changé. Les achats se font par grosses quantités. Le vigneron isolé ne peut pas défendre son prix. Eh bien, il faudrait faire comme ailleurs, en Languedoc : se grouper, installer une coopérative de vinification. Alors on aurait un vin mieux fait, une qualité égale. L’acheteur en gros saurait ce qu’il achète, il viendrait et trouverait à qui parler ; le syndicat serait vendeur. Ce que je dis là, c’est pour le vin, pour la vente […]
C’était en 1934 sous la belle plume de Daniel Halévy qui, dès 1910, avait rendu visite à Rougeron à Domérat : « Nous continuons de gravir les côtes. Rougeron veut me montrer sa vigne […] la vigne communiste, le domaine de la Ruche. La voici, dominant les communaux arides, les cultures, toutes les autres vignes, saine à voir, en état de bel entretien. Rougeron la considère avec orgueil. Elle est sauvée croit-il.
Les envieux ne la menace plus. L’an passé, ils avaient arraché quatre-vingt-dix plants, et cette année seulement trois. Une vigne communiste ! La seule au monde. « Vous savez comme l’idée m’est venue ? dit Rougeron. J’ai lu un jour, dans un journal agricole, qu’un instituteur avait réussi à constituer, une bibliothèque scolaire avec le produit d’une culture de pommes de terre faite par ses élèves. J’ai pensé faisons de même. Et nous sommes sur le bon chemin. La caisse de crédit de Montluçon a fait l’avance des premiers fonds. Bientôt nous l’aurons remboursée, nos gains seront à nous. Nous construirons notre petite salle, nous rangerons nos livres, nous installerons notre champ d’expérience pour l’instruction des enfants et la nôtre aussi ; puis… »
RESPECT !
Il n’y a jamais eu de coopérative vinicole à Domérat et il n’y a plus de vignes mais rien qu’un MUSÉE de la VIGNE (voir la vidéo)
Le vin populaire, celui du peuple, a existé, il ne s’agit pas pour moi de le magnifier mais de rappeler à ceux pour qui le monde commence avec eux, qui pensent qu’ils sont le monde à eux seuls autour de leur petit nombril, que les leçons de l’Histoire ne peuvent être occultées.
- Daniel Halévy qui « écoutait et observait » avait l’art de s’effacer derrière ses interlocuteurs, puis de les faire revivre sous sa plume : « la mère dispose sur la table le pain rond à côté du fromage de chèvre et les verres où luit bientôt ce clair et chaud vin blanc que les vignerons coopérateurs de MARAUSSAN vendent à bon compte aux syndiqués du Bourbonnais. » Ce vin blanc fort est « rouge », car il provient de la première cave coopérative de France qui, fondée en 1901 à Maraussan, au nord de Béziers, se dote en 1905 d’un nouveau bâtiment au fronton de laquelle sera gravée : « Les Vignerons libres, tous pour chacun, chacun pour tous » Comment ce vin parvient-il jusqu’à Bourbon-l’Archambault en 1907 ?
- Par le chemin de fer qui traverse le Massif Central indique Jean Jaurès dans un article de l’Humanité du 7 mai 1905 :« j’ai eu une grande joie à visiter, avec les vignerons qui chômaient le 1er Mai, le vaste terrain acquis par eux et où seront creusés les fondations du nouvel édifice. Il est tout voisin de la gare, et des conduites mèneront le vin aux wagons-réservoirs qui portent aux ouvriers parisiens le bon et loyal produit des vignerons maraussanais. »
La Bellevilloise, à Paris, créée en janvier 1877 par vingt ouvriers, parmi lesquels dix-huit mécaniciens, fondent la troisième coopérative de Belleville, un petit dépôt d’épiceries qui ouvrent deux soirs par semaine et où, à tour de rôle, après leur journée de travail, ils assurent la vente. Le vin de Maraussan. À la veille de la Grande Guerre, forte de ses 9000 sociétaires, elle est la première coopérative parisienne, la première également du pays, à tel point qu’elle fait figure de modèle. Dans « La maison du Peuple de la Bellevilloise », tandis que Jean Jaurès tient des rassemblements politiques au 1er étage, on expérimente au rez-de-chaussée la première vision du « commerce équitable » suivant les principes de Joseph Proudhon, s’appuyant sur une devise qui allait marquer l’histoire des échanges : « du producteur au consommateur ».
La boucle est bouclée, Maraussan, première cave coopérative de vente en France, créée le 23 décembre 1901 par 128 viticulteurs. « La construction décidée par l'assemblée générale du 19 février 1905 est confiée aux ingénieurs Paul et Carles (de Balaruc). Qualifié à l'époque de « gigantesque bâtisse », elle était conçue à l'origine pour une capacité de production de 20 000 hectolitres. En cours de construction, elle a reçu la visite de Jean Jaurès le 2 mai 1905 et a été inaugurée le 22 août à la veille des vendanges de la même année (en présence d'un ministre belge).
En même temps que la cave sort de terre, de part et d'autre du chantier principal sont bâties les 29 grandes cuves en ciment de 500 hectolitres chacune, qui seront disposées en fer à cheval à l'intérieur de la cave. »
Bref, aujourd’hui la cave est rattachée aux vignerons de L’Ensérune qui sont rattachés au groupe Fontcalieu cher à Michel Bataille.
J’ai donc choisi les vins AB de Laure B qui comme un fait exprès répond au patronyme de Berthomieu, C’est une vigneronne engagée, qui signe une gamme de vins de cépages du Languedoc en agriculture biologique. « Elle dorlote ses vignes sur des terroirs précieux. Elle travaille la terre et le ceps avec l’amour du geste exact. L’équilibre du sol vivant, le respect du terroir, de la plante et du vin donnent naissance à des vins soyeux, élégants et minéraux. »
"Les Mots qui réveillent" au musée de la vigne... par BOUGEOTTE